Agents de joueurs au Maroc, comment ça marche?

Le 18 juillet, la Fédération royale marocaine de football a annoncé le gel temporaire de l'activité des agents de joueurs dans le système footballistique marocain. Mais quel est le rôle de ces acteurs ? Combien touchent-ils ? Et quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent ?

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Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Le métier d’agent de joueurs a longtemps été sous-estimé au Maroc. Souvent substitué par un membre de la famille ou un « semsar », l’agent est revenu en force ces dernières années pour devenir un acteur majeur du système footballistique.

Souvent à l’origine des transferts les plus faramineux et des contrats de sponsoring les plus juteux en Europe, ces agents sont des millionnaires invités à toutes les “soirées paillettes” réunissant dirigeants et autres stars du ballon rond. La cérémonie des prix FIFA, la cérémonie du Ballon d’Or… Ces “super-agents” défilent sur les tapis rouges en compagnie de leurs clients qui leur font gagner des millions d’euros. Avec des commissions allant de 5 à 10 % du montant du transfert, des agents comme Mino Raiola (De Ligt, Pogba, Zlatan… ) peuvent toucher jusqu’à 20 millions d’euros en une seule et unique transaction.

En revanche, au Maroc, les agents font face à plusieurs difficultés. La commission maximum des intermédiaires est fixée à 10% par la FIFA, mais les montants des transferts dépassent rarement le seuil des 10 millions de dirhams. Au-delà des montants des transactions, la concurrence déloyale, les commissions impayées et le manque de transparence de certains dirigeants plombent ce secteur.

De l’argent pas facile

Contrairement à l’image répandue dans le milieu footballistique, l’argent gagné par les intermédiaires et agents n’est pas toujours facile. Surtout au Maroc. Pour espérer obtenir l’agrément de la FRMF, il faut remplir un certain nombre de critères. Pas d’études particulières à faire, mais il faut un lien avec le football (ex-joueur, entraîneur ou dirigeant) et un casier judiciaire vierge. Être licencié dans n’importe quel domaine renforce également le dossier.

On est plus de 100 personnes à travailler avec l’agrément de la fédération, sachant que d’autres personnes exercent sans en avoir. Vous pouvez imaginer le niveau de concurrence,” nous confie Mehdi Karam, 28 ans, intermédiaire agrée travaillant avec plus d’une vingtaine de joueurs. La concurrence fait partie du quotidien de ces intermédiaires en quête de la bonne affaire. “Des fois, le défi c’est d’être en concurrence avec des personnes pour une affaire, sans pour autant les vexer. Il est très important de garder une bonne relation avec le réseau,” ajoute Mehdi Karam, qui estime que les marchés sont dispatchés de façon “quasi naturelle” entre les intermédiaires. “Chaque agent a sa zone de travail de prédilection. Certains ont des contacts en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis tandis que d’autres travaillent en Botola 1 et 2 ou en championnat amateur”, nous explique Mehdi Karam, convaincu que la force de tout agent réside dans son carnet d’adresses.

Il arrive de travailler sur un transfert pendant des mois pour finalement se faire doubler à la dernière minute par un ‘semsar’ qui n’a pas d’agrément et qui se fera payer au noir juste parce qu’il fait ami-ami avec le président du club”, nous révèle Mehdi Kamar; avec une amertume qui sent le vécu. Il précisé que certains présidents de clubs obligent les joueurs à traiter avec un agent particulier pour que le transfert se concrétise, avec des commissions qui deviennent des dessous de table pouvant aller au-delà des 10 % autorisés par la FIFA.

Si tu travailles avec un joueur qui a des principes, il refusera. Dans ce cas, si le club le veut vraiment, les dirigeants ne peuvent que se plier à ses exigences. Autrement, et si vous n’êtes pas liés avec un contrat, il te délaissera pour l’agent requis par le club,” explique-t-il.

Cette forme de concurrence déloyale mine le secteur et entache l’image des agents. D’ailleurs, le terme “agent” n’est plus utilisé par la FIFA depuis l’année dernière. La plus haute instance de football a sommé toutes les fédérations d’utiliser l’appellation “intermédiaire”, jugée plus générale. Dans ce sens, et pour mettre un terme aux pratiques malsaines qui rongent le marché marocain, la FRMF a imposé de nouvelles règles.

Ces dispositions protègent les trois parties. À titre personnel, je fais beaucoup de prospection et je travaille avec de jeunes talents. Si demain ce jeune devient une star et que vous n’avez pas de contrat qui vous lie, rien ne l’empêche d’aller voir ailleurs dès que sa valeur marchande augmente”, nous explique Rizq Aarram, agent agréé par la fédération et adepte de la prospection. 

Quand la FRMF met les points sur les i 

Face à la montée en puissance de plusieurs faux intermédiaires entre les joueurs et les clubs sans disposer de la moindre autorisation ou agrément, la FRMF a décidé de délimiter le rôle des intermédiaires. En qualifiant “d’irrégulières et non conformes” les pratiques de certains agents, la FRMF a gelé les activités de tous les agents accrédités jusqu’à la régularisation de leur situation administrative et juridique.

Désormais, pour bénéficier de l’agrément de la fédération, les intermédiaires devront passer un entretien annuel et ne pourront exercer leur profession qu’en cas d’octroi d’une licence numérotée. Un communiqué publié par la FRMF, le 18 juillet dernier, annonce la mise en place d’une base de données informatisée qui permettra de gérer, en temps réel, les contrats passés avec les intermédiaires. En invitant les agents à souscrire un engagement afin de régulariser leur situation antérieure avant la fin de l’année en cours, la fédération précise également que c’est sa commission de contrôle et de gestion qui veillera à ce que le nouveau règlement soit appliqué.

Par le biais de son communiqué, la FRMF somme les clubs de première et deuxième division de lui déclarer annuellement les contrats passés avec les agents sportifs en précisant les montants qui leur ont été versés. Les intermédiaires quant à eux sont conviés à déclarer tout contrat signé avec un joueur, et à déposer annuellement la somme de 10.000 dirhams pour l’octroi de l’agrément.

En tentant de réguler ce secteur, la fédération de Fouzi Lekjaa espère garantir la transparence des transactions effectuées dans le marché marocain.

Ces changements protègent les joueurs, les clubs et les intermédiaires. Ils vont de pair avec le passage en sociétés anonymes des associations sportives. Tout doit être transparent pour que, in fine, tout le monde paye les impôts dus à l’État”, nous confie une source proche du président Fouzi Lekjaa, qui relate que ce dernier est totalement ouvert au dialogue pour l’amélioration du “climat des affaires” du football marocain.

Reste désormais à réussir véritablement à geler les activités des agents informels pendant la transition. En plein mercato, toutes les transactions du marché marocain ont connu des interventions d’intermédiaires. “C’est vraiment compliqué de geler les activités des intermédiaires. Sans leurs interventions, les équipes ont du mal à établir les contacts. Si officiellement, ils ne peuvent pas signer pour le moment, officieusement, tout le monde pratique en attendant la régularisation de la situation”, nous révèle Rizq Aarram.

L’union voit le jour

Pour entamer le dialogue avec la fédération et disposer d’une force de proposition et de contestation, les intermédiaires marocains ont fondé l’Union Nationale des Agents Sportifs (UNAS), le 21 juillet dernier. Le président, Mohamed Rezki nous révèle que, “dans l’urgence”, l’Union a des objectifs bien précis.

L’union sera également l’interlocuteur avec la fédération. Un représentant parlera au nom de tous les agents alors qu’auparavant c’était un peu le chaos”, déclare Mohamed Rezki, président de l’Union Nationale des Agents Sportifs (UNAS) nouvellement créée.

On cherche tout d’abord à améliorer l’image des agents au Maroc. Nous, composantes du système, faisons partie du circuit. On a de l’expérience dans ce domaine, des diplômes pour certains d’entre nous. Par contre, il y a des personnes qui ont le don de salir notre réputation, et on y mettra bientôt un terme”, déclare Mohamed Rezki, convaincu que d’ici quelques années, le secteur sera régulé, à condition que “tout le monde s’implique” pour le bien du football national.

L’union sera également l’interlocuteur avec la fédération. Un représentant parlera au nom de tous les agents alors qu’auparavant c’était un peu le chaos”, souligne Mohamed Rezki. Pourtant, les agents marocains qui figurent sur la liste publiée par la fédération n’ont pas tous répondu favorablement à l’appel. Plusieurs d’entre eux étaient absents lors de la première assemblée générale pour différentes raisons. Mais à en croire le président de l’UNAS, ce n’est pas pour autant qu’ils sont “contre l’idée”. “Les professionnels découvriront l’impact que peut avoir cette Union,” a conclu Mohamed Rezki, confiant que l’UNAS peut apporter un plus au système footballistique national.

Malgré ces efforts de régularisation, le marché des transferts marocains comporte plusieurs irrégularités et failles qui mettent en péril sa transparence. À titre d’exemple, aucun club de Botola 1 ou Botola 2 ne communique officiellement le prix d’acquisition ou de vente d’un joueur. Une attitude qui prouve que le marché marocain est loin d’être au niveau des marchés européens, pourtant, ce secteur est l’essence même de la route vers le “vrai professionnalisme”.