Bacs en masse, facs à la ramasse

Les universités sont confrontées à une augmentation massive du nombre de bacheliers. Un flux difficilement absorbable.

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L’année scolaire 2019 s’est soldée par une belle performance. Avec 78% de réussite à l’examen du baccalauréat, le nombre d’élèves à décrocher le fameux sésame constitue un record historique. Si ce taux de réussite est plutôt une bonne nouvelle, il présente un nouveau défi à relever pour l’enseignement supérieur : celui de la massification. Selon les estimations du ministère, ils seront plus de 250.000 nouveaux étudiants à rejoindre les universités et écoles publiques à la rentrée prochaine, contre 237.000 en 2018, et un peu plus de 200.000 en 2017.

L’augmentation accrue du nombre de bacheliers est un phénomène qui s’explique par “la pression démographique tout d’abord, mais également par l’amélioration qualitative du cycle secondaire”, explique Youssef Loulidi, directeur des stratégies et des systèmes d’information au sein du ministère de l’Enseignement supérieur. “Le taux de réussite au baccalauréat des élèves scolarisés est passé de 51% à 78% entre 2010 et 2019, soit une augmentation de 27 points”, souligne-t-il.

Un déséquilibre entre les établissements

L’accueil des étudiants apparaît de ce fait comme un nouveau challenge pour les cycles supérieurs. Certains établissements comme l’université Cadi Ayyad de Marrakech subissent une “augmentation de 20% des effectifs étudiants par an”, explique son président Moulay Lhassan Hbid. Un “grand défi” selon lui, notamment en matière “d’accueil et d’encadrement pédagogique et administratif adéquats.” A ce titre, l’université ouvrira 16 nouvelles filières à la rentrée prochaine.

La pression est déjà intense dans les établissements dits à “accès ouvert”. C’est le cas par exemple des formations en droit, très demandées par les étudiants. “A la faculté de Sciences juridiques, économiques et sociales, l’effectif atteint parfois les 5000 étudiants dès la première année. Cela crée un certain déséquilibre entre les établissements à accès ouvert et ceux à accès régulés, où les flux sont maîtrisés par la sélection en amont”, précise Ibrahim Akdim, vice-président de l’université de Fès

Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, les établissements à accès ouvert accueillent environ 87 % des étudiants. Or, l’accroissement de l’offre en termes de places et d’encadrement pédagogique reste “relativement faible par rapport à la forte progression des effectifs”, concède Youssef Loulidi.

Plus d’étudiants, moins de professeurs.

Les espaces doivent être adaptés pour l’accueil des nouveaux étudiants, c’est certain, mais le souci majeur est le manque d’enseignants”, témoigne Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, professeure à l’université Hassan II de Casablanca. “La majorité des départs à la retraite ne sont pas remplacés”, ajoute-t-elle. Même constat du côté d’Abdellatif Miraoui, ancien président de l’université Cadi Ayyad de Marrakech. “Le flux d’étudiants progresse à une vitesse incroyable, mais le nombre d’enseignants lui, stagne. Je prends l’exemple de l’université Cadi Ayyad. Il y avait 29.000 étudiants en 2011, contre 110.000 actuellement. Cependant, le nombre de professeurs est resté identique, et le personnel administratif a même diminué. Cela pose des problèmes, notamment sur la qualité des formations”.

Même si l’Etat envisageait une embauche massive de professeurs, il se retrouverait face au manque de “personnel qualifié”, analyse Miraoui qui prône “un vrai changement de paradigme,” en mettant notamment l’accent sur le numérique et les possibilités d’apprentissage qui en découlent : cours en ligne, diminution du présentiel dans les universités…“Il faut transformer ces difficultés en opportunités, et ce, en rendant les étudiants plus autonomes. C’est une qualité fortement cotée dans le monde du travail”, conclut Midaoui.

27 nouveaux établissements d’ici à 2022

Pour faire face à la pression, au ministère de l’Enseignement supérieur, on entend procéder à la création de 27 nouveaux établissements universitaires d’ici 2022, tout en développant en parallèle , “le e-learning comme mode d’enseignement alternatif, à travers la mise en place d’une plateforme numérique nationale”, précise Youssef Loulidi, du ministère de l’Enseignement supérieur.

Mais ce recours au numérique est-il à même d’absorber le surplus d’étudiants? “Les arrivées massives de bacheliers ne se projetteront pas systématiquement dans le temps,” rassure Youssef Loulidi. “Nous sommes déjà à 78 % de taux de réussite au baccalauréat. Dans le meilleur des cas, même dans les pays les plus développés, ce taux ne va jamais au-delà de 85 %. Nous devrions donc nous attendre à une stabilisation des entrants dans les années à venir.”

Une meilleure orientation en amont

D’ici là, augmenter le nombre de places dans les universités est l’une des solutions prônées, mais pas la seule. Il faudra également “améliorer le système d’orientation,” explique Mohamed Tahiri, directeur de l’enseignement supérieur au sein du ministère éponyme. Objectif, atténuer l’abandon scolaire qui se manifeste massivement dès la première année de fac. “Une perte de temps pour les étudiants, et de places à offrir par les établissements”, ponctue Tahiri.

Il est vrai que le système actuel d’orientation des étudiants n’est pas parfait,” concède Ibrahim Akdim, vice-président de l’université de Fès. “Les étudiants font parfois des choix sur des critères subjectifs, et affluent vers certaines filières, comme en droit, qui ne correspondent pas aux besoins du marché de l’emploi,” relève-t-il.

Mettre en valeur la formation professionnelle

Il faudrait que l’on travaille davantage sur le fait que ces bacheliers n’aillent pas tous vers l’enseignement supérieur, mais qu’ils puissent s’orienter vers la formation professionnelle. Aujourd’hui, nous sommes dans une proportion de 75% dans le supérieur, et 25% dans la formation professionnelle. Il faudrait arriver rapidement à 60/40%”, abonde le ministre de l’Education et de l’Enseignement supérieur, Saaid Amzazi.

En dépit du fait que l’augmentation des effectifs estudiantins implique une organisation et des investissements conséquents par les acteurs du secteur, cette évolution reflète une amélioration des conditions d’éducation dans le pays. “La massification est une fierté,” s’enorgueillit Abdellatif Miraoui, ancien président de l’université Cadi Ayyad de Marrakech. “Ce n’est pas quelque chose que l’on subit. C’est la démocratisation de l’accès à l’université, et finalement un signe de développement pour un pays.” Pour autant qu’on s’y prépare…