Quelle solution pour la crise de l’hépatite C, qui tue des milliers de Marocains chaque année ?

À l’approche de la journée mondiale des hépatites, le 28 juillet, des journées de sensibilisations sont organisées dans toutes les grandes villes du Royaume. Les associations dénoncent une situation alarmante et un manque d’engagement de la part du ministère de la Santé. Ce dernier assure à TelQuel redoubler d’efforts dans le traitement de ces maladies dont 5000 Marocains décèdent chaque année.

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Hépatite C
Crédit : AFP

16 Marocains sont infectés par jour par l’hépatite C. Leurs noms viennent s’ajouter à ceux des 400.000 citoyens du Royaume qui ont déjà contractés l’infection, qui se transmets par échange sanguin. 15 en meurent chaque jour, soit 5 000 chaque année, selon une étude du Journal of Viral Hepatitis.

Si elle n’est pas traitée, l’hépatite C se transforme en cirrhose ou en cancer du foi. Dans la plupart des cas, le patient ne l’apprend qu’une fois l’un de ces symptômes détectés, et il est déjà trop tard.

Ce dimanche 28 juillet, des opérations de sensibilisations sont organisées dans toutes les grandes villes du Maroc par l’Association de lutte contre le sida (ALCS). Selon ses responsables, ces morts ne sont pas une fatalité. Ils réclament l’application d’un “plan stratégique nationale de lutte contre les hépatites virales” (PSN) élaboré par des acteurs internationaux. De son côté, le ministère de la Santé explique que certaines mesures sont déjà mises en place, et que d’autres sont dans les tuyaux.

Une stratégie pour sauver des vies

Mené par une série d’acteurs, dont Coalition PLUS, l’ALCS et financé par UNITAID, le plan stratégique ambitionne de sauver plus de 71.000 vies et d’éviter quelque 140.000 infections supplémentaires d’ici à 2050. Selon les estimations des organisations à l’origine de ce plan, il devrait aussi prévenir le cancer du foi pour 37.375 Marocains et la cirrhose pour 29.814.

Côté budget, la mise en place de ces recommandations devrait soulager le secteur médical à hauteur de 20% des coûts totaux, tous domaines confondus. La prise en charge des complications des hépatites pourrait en effet être évité avec un diagnostic et un dépistage rapide. Une économie estimée entre 44 et 52% du produit national brut du Royaume. “On pousse l’Etat à gagner de l’argent”, défend le docteur Taha Brahni, chargé de plaidoyer pour l’hépatite C à l’ALCS.

Selon Moulay Ahmed Douraidi, le responsable des droits humains de l’association, “quand Houcine El Ouardi était encore ministre de la Santé, il avait regardé nos études et notre scénario pour éliminer les hépatites au Maroc, en 2016. Il nous a dits qu’il ferait le nécessaire à l’époque, mais il n’a rien fait. Avec le ministre suivant, on a fait pareil, mais il n’a rien fait non plus”.

L’histoire du traitement

En 2014, l’association se mobilise dès la sortie des premiers antiviraux “à action directe”, ou ADD, qui auraient pu être commercialisés à un prix “abordable” au Maroc selon eux. Développés par le laboratoire américain Gilead, ces médicaments sont pourtant décriés par plusieurs ONG comme étant trop chers et certains Etats refusent la demande de licence de la firme américaine. Cette dernière autorise des laboratoires Indiens à fabriquer des génériques, mais refuse de vendre les médicaments à une centaine de pays en développement, dont le Maroc. A la suite de cette confusion, le Royaume tente un plaidoyer auprès de Gilead, sans succès.

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Alors, le gouvernement trouve une alternative. “Il y a eu une instruction royale donnée à l’industrie des génériques au Maroc pour qu’ils le fabriquent à l’époque et on a travaillé avec le ministère de la Santé et l’OMS en 2016 pour élaborer un plan stratégique sur les hépatites”, reprend Douraidi. Le 1er décembre 2015, Pharma 5 annonce qu’il développe son propre traitement, le SSB400, beaucoup moins onéreux.

Six mois plus tard, le laboratoire déclarait à TelQuel, suite au décès d’une patiente sous traitement, que leur médicament “a traité jusqu’à maintenant 3 000 patients au Maroc avec un taux de réussite de 95 %. Ce traitement a sauvé de nombreuses vies”.

“On a essayé d’être coopératif, mais ça suffit.”

L’effort du gouvernement est pour le moment jugé insuffisant par les associations. Suite à l’arrivée de ce médicament, le plan stratégique nationale est élaboré puis déposé sur la table du ministère dès 2016. Depuis, l’association explique qu’il est resté dans les tiroirs et réclame l’achat des médicaments directement par le ministère pour traiter les populations les plus vulnérables. “On a essayé d’être coopératif, mais ça suffit. Des populations vulnérables, comme les usagers de drogues, attendent ce traitement qui doit être acheté par le ministère”, explique Moulay Ahmed Douraidi.

Pendant les législatives de 2016, son association a arraché l’engagement de 8 partis, dont le PAM, le RNI, le PPF, la FGD et le MP, qui ont intégré la lutte contre les hépatites à leur programme par la suite. “On a aussi rédigé un mémorandum en 2018 et cette année pour l’inscription dans la prochaine loi des finances d’un budget dédié au plan stratégique, on l’a envoyé à tous les partis et au Parlement”, mais sans succès, explique le Dr Brahni. Pour l’association, il est plus complexe d’obtenir un financement pour l’hépatite C que pour le paludisme, la tuberculose ou le VIH, des pathologies plus connues.

Des formations ont été dispensées ces dernières années, à des médecins et différentes équipes médicales par des ONG. “Nous sommes prêts. Nos équipes sont formées et nous disposons des outils pour démarrer les dépistages et le traitement.” Des représentants de l’association ont aussi lancé des discussions avec les présidents de régions du Nord, Tanger-Tétouan-Al Hoceïma et l’Oriental, qui se sont engagés à financer, mais seulement une fois que le plan sera mis en place. “Ce lancement est vital, mais personne ne peut rien financer tant qu’il n’y a pas un cadre au niveau du ministère de la Santé. Même l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) est prête à financer le traitement dans les prisons, tout comme la DGRPR, mais il manque le plan”, reprend Douraidi.

Dans l’attente de nouvelles données

Le Dr Mohammed Youbi, à la Direction de l’Épidémiologie et de la Lutte contre les Maladies au ministère, reconnaît l’existence du PSN, mais dénonce ses limites, dans un document remis à TelQuel. Ces dernières concernent “l’indisponibilité de données épidémiologiques, représentatives de la population générale et la disponibilité de simples estimations de l’organisation mondiale de la santé (OMS)”.

Le ministère affirme que les estimations de l’OMS étaient à l’origine d’une initiative de traitement de personnes démunies contre l’hépatite C, entre 2013 et 2016, mais “dont seulement 53% des objectifs ont été atteints, faute de malades identifiés, avec pas plus de 1600 personnes prises en charge pour un objectif de 1000 malades/an. Ce fait laisse à croire que la prévalence de 1,2% estimée par l’OMS est probablement surestimée”, affirme le Dr Youbi.

Le ministère a lancé sa propre enquête nationale de séroprévalence, la première du genre, afin d’évaluer le nombre de personnes exposées aux hépatites virales. “Les données sont en cours d’analyse […] en vue de mieux cibler les interventions du PSN, avec davantage d’efficacité et d’efficience”, explique le Dr Youbi.

Les efforts du ministère de la Santé

En novembre 2017, un appel d’offres d’achat des antiviraux du ministère de la Santé a été annulé un mois après son lancement, sans être renouvelé. Au ministère, on explique cette décision par la volonté de prioriser l’enquête de séroprévalence, “pour mieux quantifier les besoins en médicaments et en dispositifs médicaux […] dans un contexte marqué par des contraintes budgétaires”. Le Dr Youbi précise que les hépatites virales sont intégrées dans les “objectifs phares” du plan santé 2025.

Le ministère assure avoir déjà lancé un processus d’approvisionnement de certains médicaments et de dispositifs nécessaires pour le diagnostic des hépatites, le dépistage, les traitements et le suivi des malades. Le Dr Youbi assure aussi que tous ces moyens sont déjà disponibles, mais dans le privé seulement et que “plusieurs malades en ont déjà bénéficié”. Le ministère de la Santé dit aussi veiller à la “mise à disponibilité des nouvelles molécules antivirales dans le marché marocain, aussi bien pour l’hépatite C que pour l’hépatite B”. Tout ça “sous régime d’assurance maladie des économiquement faibles”, c’est-à-dire le RAMED. Mais l’association de lutte contre le Sida dément. “Les personnes infectées par l’hépatite virale C et ne bénéficiant pas d’une assurance privée, notamment les Ramédistes, n’ont pas accès au traitement, ce qui les expose à une évolution vers la cirrhose et le cancer du foie”, réplique le docteur Taha Brahni.

Quand au PSN, le ministère affirme que sa mise en application a déjà partiellement démarrée, “dans certains domaines liés à la normalisation (élaboration du guide du programme d’hépatite C) à l’épidémiologie (enquête nationale) et au suivi et à l’évaluation, [au niveau de, ndlr] l’élaboration du système d’information”, reprend le Dr Youbi. Les moyens attribués dans le budget du ministère pour les hépatites s’élèvent à 65 millions de dirhams dans la seule prise en charge de l’hépatite C entre 2013 et 2016, avec 16 millions de Dirhams supplémentaires par an pour le vaccin de l’hépatite B. L’enquête de séroprévalence, quand à elle, coûte 6 millions de dirhams.

Dans le monde, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 71 millions d’individus sont infectés par l’hépatite C et environ 400.000 en meurent chaque année.