Eté 1999 : Le nouveau roi Mohammed VI passé à la loupe de la presse française

Au lendemain de la disparition de Hassan II, bien connu des médias français, Mohammed VI est un visage neuf, quasi inconnu. Si certains voyaient en lui une énigme, beaucoup attendaient du nouveau souverain qu'il incarne un Maroc nouveau. Revue de presse 20 ans plus tard.

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Mohammed VI accomplissant sa première prière du vendredi en tant que souverain, accompagné de son Premier ministre Abderrahmane Youssoufi, le 30 juillet 1999. Crédit: MOHAMED MARADJI

D’un roi à l’autre, de “Smit Sidi” à Mohammed VI. Tel était l’esprit du traitement médiatique français consacré, au lendemain du 23 juillet 1999, à la passation de pouvoir entre Hassan II et Mohammed VI. Dès le 26 juillet, les turbines des imprimeries fonctionnent à plein régime et les grands titres français consacraient leurs unes, et de nombreuses pages intérieures, aux trente-huit années du règne de Hassan II. Dans le même temps,  émergent des questionnements sur la personnalité du prince héritier amené à prendre les rênes d’un Maroc en pleine transition.

Changement de tête, donc changement de cap ? Mohammed VI constitue alors, aux yeux d’observateurs étrangers, celui que l’on appela volontiers “le prince social”, le “roi des pauvres”. Il incarne celui dont en attend la mise sur les rails d’un Maroc à destination de l’ouverture démocratique et économique. Un jeune roi dont la presse française sait à l’époque peu de choses, tant il était resté dans l’ombre d’un père et prédécesseur omniprésent.

J’enterre en même temps mon père et le prince héritier”, disait Hassan II après l’annonce de la mort de Mohammed V en 1961. Quatre décennies plus tard, la même phrase peut à nouveau s’appliquer à son propre fils, appelé à prendre les commandes du Maroc à l’aube du nouveau millénaire.

Qui est Mohammed VI ?

À 35 ans, Sidi Mohammed sort d’un vide médiatique, ce qui n’a guère d’importance, mais aussi d’une sorte de néant existentiel”, pouvait-on lire dans les colonnes du Figaro, dans un article signé Thierry Oberlé, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient. “Ses sorties publiques au Maroc ne dépassent pas le cadre de festivités culturelles, de séminaires de réflexions et d’actions caritatives”, poursuivait Le Figaro dans cet article intitulé “La révolution en douceur”.

Le traitement médiatique de l’époque s’attarde sur les années de formation du prince héritier, rares éléments tangibles permettant de décrypter la personnalité du jeune souverain. Plusieurs médias reviennent ainsi sur ses années au collège royal. “Comme ses ancêtres, Hassan II avait voulu que ses cinq enfants soient éduqués au collège royal, dans l’enceinte du palais”, écrivait Mireil Duteuil, pour Le Point, dans un long récit montrant en quoi l’avènement de Mohammed VI correspondait à l’image du Maroc en 1999. Titré “L’héritage d’un roi”, l’article soulignait que “Hassan II tenait à ce que ses enfants soient polyglottes”, et que les camarades du prince héritier ont été sélectionnés “pour devenir les amis de son fils, ses compagnons d’études et un jour, ses alliés politiques”.

Certains l’ont suivi ensuite à Rabat et sont aujourd’hui hauts fonctionnaires, banquiers, hommes d’affaires. La tradition voulait ainsi que les enfants royaux se frottent aux fils de Marocains modestes. Elle a permis au prince héritier d’avoir des points d’appui et des relais dans toutes les couches de la société. C’est en leur sein que le roi était allé chercher des conseillers et ira puiser pour étoffer le cabinet royal”, poursuivait l’hebdomadaire français.

Smit Sidi avait autour de lui, une douzaine d’amis dévoués corps et âme. Ils joueront certainement un rôle capital”, écrivait quant à lui Paris Match, prophétique. Précepteur de Mohammed VI et interrogé par l’hebdomadaire, canal privilégié du palais, Patrick Molis, un jeune énarque, se souvient à l’époque d’un “jeune homme au sens aigu de l’observation. Tenu à la réserve, il regardait beaucoup et se forgeait des opinions souvent acérées, sur tout et tout le monde”.

Un constat partagé par Paul Isoart, l’un des professeurs du futur roi, et membre du jury lors de sa soutenance de thèse, à l’Université de Nice Sophia-Antipolis. “Déjà en 1993, c’est un garçon très déterminé, qui a longuement réfléchi et qui a une parfaite connaissance des dossiers clés qui l’attendent, qu’il s’agisse de la coopération avec l’Europe, de la question du Sahara occidental ou du processus de démocratisation de son pays”, réagissait-il dans les colonnes de Nice-Matin.

Un prince héritier discret

Le quotidien français Le Monde évoque de son côté un jeune homme “très discret”, “à la limite de la timidité” sous la plume de Jean-Pierre Tuquoi qui publiera par la suite des livres-enquêtes sur le Royaume.

Sur les ondes de France Inter, le 26 juillet 1999, Jacques Delors, chez qui le futur Mohammed VI a effectué un stage à Bruxelles, évoquait “un jeune homme de son temps”. Il le décrit comme “attachant, discret et très disponible”. Pour Les Échos, l’ancien président de la Commission européenne mentionne aussi “l’attrait du roi pour les affaires sociales et géopolitiques”, soulignant “sa capacité à comprendre les aspirations de ses jeunes sujets”.

Introverti”, “timide”, “à l’ombre de…”, “La carrure d’un homme d’État”… Si une partie de la presse française s’enthousiasme pour la nouveauté, des doutes émergent également. Dans un article titré “Né pour régner mais mal préparé, le nouveau roi a rarement été associé à la décision politique”, José Garçon relève dans Libération que le “manque d’expérience réel n’en demeure pas moins l’une des incertitudes majeures d’une succession que certains jurent, ou veulent croire, ‘parfaitement préparée’, mais que d’autres prévoient ‘délicate’”.  Et de conclure : “son entourage sait parfaitement que Sidi Mohammed n’est absolument pas prêt à exercer les plus hautes fonctions”.

Le numéro 2012 de Jeune Afrique consacre sa couverture à Mohammed VI et le journaliste François Soudan, alors, cultive lui aussi ce doute autour de la personnalité du jeune roi. Il est ainsi mentionné que jusqu’au 23 juillet 1999, le prince héritier “ne s’appartenait pas, chacune de ses interventions publiques étant soumise à l’autorisation préalable du Palais et de son père”.

L’expression “ne s’appartenait pas”, bien que déshumanisante, souligne l’omniprésence de Hassan II dans les années de formation de Mohammed VI. Plus loin, elle souligne aussi, non sans ironie, le peu d’informations tangibles autour du prince héritier. Au point que même certains médias, réputés proches du Palais, ne disposent que de peu d’informations : “Le nouveau roi n’a pratiquement jamais reçu de journaliste, si ce n’est ceux de Hola! ou de Paris-Match”.

Aux yeux des Marocains, il [Mohammed VI, NDLR] a toujours été cet enfant, puis cet éternel jeune homme timide et effacé, simple et secret, debout derrière son père, que l’on sentait humain, trop humain parfois, que l’on disait attentif aux autres, compatissant aux peines de ce monde. Image incomplète sans doute, mais qui traduit bien la volonté obstinée des Marocains, de croire que tout ne peut se passer que dans la meilleure des successions possibles”, résume Jeune Afrique.

Défis conséquents

L’homme dit-on est moins soucieux d’apparat et cherchera à donner une image plus moderne de sa fonction. On l’a vu quelque peu gêné par ces marques de déférence qui consistent à baiser la main du monarque, marques qui donnent du Maroc, l’image d’un pays aux traditions incompatibles avec la modernité”, écrit L’Humanité.

“Lui, c’est lui, moi, c’est moi”, déclarait Hassan II lorsqu’il parlait de son fils, alors prince héritier. À l’opposé de cette inusable formule, de nombreux titres français font état d’une volonté de rompre avec certains héritages du règne précédent.

Néanmoins, dans cette période de transition, dans des propos rapportés par Le Figaro, le président français Jacques Chirac affiche son enthousiasme à l’égard du nouveau souverain. “J’ai pour lui une très grande estime et j’ai surtout la certitude qu’il est en mesure d’assurer la continuité, de poursuivre l’œuvre de rénovation engagée par Hassan II, qu’il est l’homme capable de renforcer, de réaffirmer au Maroc, la démocratie et le développement”, déclare l’ex-chef d’Etat français.

Chirac que l’on disait proche de Hassan II a vu Mohammed VI grandir. D’après le journaliste du Monde Jean-Pierre Tuquoi, il a tenu ces propos à Mohammed VI au moment des funérailles du roi défunt : “Majesté, je dois beaucoup à votre père et, si vous le souhaitez, tout ce qu’il m’a donné, je m’efforcerai de vous le rendre”.

Pour Jean-Pierre Tuquoi, “les défis sont conséquents malgré le fait que l’image de marque de la monarchie n’a jamais été aussi flatteuse à l’étranger”. Néanmoins, le début de règne de Mohammed VI ne s’annonce pas “moins rude pour autant. Des dossiers, embourbés depuis des années, attendent une solution : des changements dans la conduite des affaires publiques s’imposent, une revitalisation de l’économie est indispensable… Ce sont beaucoup de défis pour un roi solitaire et introverti, peu ou mal préparé, malgré les apparences, à la tâche qui l’attend”.

Le journaliste relevait notamment une économie marocaine “disparate et inégale en fonction des régions”, et dont l’harmonisation était attendue pour trouver une “réelle compétitivité et permettre au pays d’aspirer à jouer un rôle dans sa région”.

Les Échos décrivent pour leur part une économie “au profil de montagnes russes […], car très liée aux aléas de l’agriculture”. Le quotidien économique note que “la croissance économique est plutôt lente sur la longue période : +2,9 % annuels sur la dernière décennie, alors que +6% serait un minimum pour pouvoir s’attaquer aux problèmes sociaux et au chômage”.

Pour Mireille Duteil, du Point, Mohammed VI “entretenait des relations suivies avec les officiers supérieurs. Il connaît les gens et les dossiers”. L’une des tendances positives qui se dessine alors est la bonne entente, constatée, de Mohammed VI avec le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi, choisi un an plutôt pour diriger l’Alternance. “Il entretient des relations d’amitié avec le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi […] et connaît personnellement nombre des ministres de l’actuel gouvernement. […] Il a, selon ses proches, l’intention de les laisser gouverner pleinement. La transition politique, jusqu’alors, un peu théorique, pourrait se concrétiser”. Abderrahmane Youssoufi, justement, affirme que “la jeunesse est dirigée par l’un des siens”, dans un entretien paru dans le Nouvel Observateur.

Un “Juan Carlos en pays musulman” ?

Un roi jeune donc (35 ans au moment où il accède au trône), vu comme “un Juan Carlos en pays musulman” par Julia Ficatier de La Croix, dans un parallèle souvent repris par la presse française. Dans les faits, à l’instar du limogeage de Driss Basri, les premiers mois apparaissent optimistes pour le paysage médiatique français. En réaction à l’autorisation accordée à Abraham Serfaty de rentrer au Maroc, Edwy Plenel, alors au Monde, y voit un signe fort : “Moins d’un mois après la fin du long deuil décrété après la mort de son père, le nouveau roi du Maroc, Mohammed VI, inaugure son règne par une initiative d’une grande portée et dont il faut se réjouir”. Une geste dans lequel il perçoit “une volonté de rupture avec un passé trop entaché de forfait et d’injustice, qu’Hassan II avait d’ailleurs lui-même commencé à solder, à la fin de son règne, conscient qu’il fallait libéraliser son royaume pour garantir sa pérennité”.

Reste qu’en dehors des affaires internes au Maroc, l’avènement de Mohammed VI s’inscrit dans un contexte incertain à l’échelle du monde arabe. “Le rythme des successions s’accélère aux quatre coins du monde arabe. L’ère des relèves monarchiques, ou présidentielles, a commencé, plongeant les peuples si blasés soient-ils, dans l’incertitude quand ce n’est pas l’inquiétude”.

Si les passages de relais, selon Claude Lorieux, spécialiste du Moyen-Orient, semblent “plus aisés dans les monarchies que dans d’autres régimes”, du Maghreb au Machrek, “des millions d’hommes attendent un sursaut. Ils lancent un vrai défi aux dirigeants en place et aux jeunes qui, à Rabat comme à Amman, prennent en main le destin de leurs peuples”.

Mohammed VI formait alors avec Abdallah II, et Bachar el-Assad cette nouvelle génération de dirigeants arabes confrontés à des thématiques communes immédiatement après la succession à leur père. “La question de l’intégrisme est loin d’être réglée […] Ajouté à cela quelques intrigues de palais, des menaces de dysfonctionnement dans les institutions et une rentrée sociale aux contours imprévisibles. Autant d’ingrédients qui rendent l’épreuve de début de règne difficile”, écrit Jeune Afrique, dans un article dressant un parallèle entre les transitions au Maroc et en Jordanie.

Un fil rouge que suivra Mohammed VI, et les sentiments mitigés des rédactions au moment de faire le bilan de l’an I du règne, en juillet 2000. Un bilan en contraste avec l’opinion publique française, puisque 76% des Français déclaraient alors avoir “une très bonne image du Maroc” et que 86% pour d’entre eux estimaient larrivée au pouvoir de Mohammed VI “positive”.

Alors que Mohammed VI s’apprête à célébrer ses 20 ans de règne, le paysage médiatique français braque à nouveau ses projecteurs sur le Maroc. Dans un édito publié dans Le Journal du dimanche et diffusé sur Europe fin juin, François Clémenceau considère que “Mohammed VI a compris qu’il fallait partager le pouvoir”. Quant au Point, il affiche en Une de son édition du 11 juillet : “Maroc : La nouvelle puissance”…