La triste situation des prisons marocaines

Conditions d’incarcération dégradante, surpopulation, mortalité en milieu carcéral, maltraitance… Le rapport de l’Observatoire marocain des prisons (OMP) dresse un tableau sombre de la situation des prisons marocaines pour l’année 2018. 

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La prison de Ain Sebaa. Crédit: Yassine Toumi/TELQUEL

Le président de l’Observatoire marocain des prisons (OMP), Abdellatif Rafoua, a présenté hier à Rabat son rapport annuel 2018 sur la situation des détenus et des différents établissements pénitentiaires du Royaume. Ce rapport s’inscrit dans le cadre “d’une vision globale visant l’exercice des fonctions morales et humaines, assumées avec beaucoup de volonté et de conscience, afin de témoigner de sa persévérance et de son expérience dans le domaine de la protection des droits des détenu(e)s et pour l’humanisation des conditions de détention”, indique le document.

L’OMP mentionne, de prime abord, le contexte de mise en œuvre de ce rapport. Un contexte caractérisé notamment par une régression de la situation des droits de l’Homme, et “la dégradation des conditions socio-économiques qui ont engendré des manifestations sur fond de revendications pour les droits socio-économiques, civiques et culturels, la dignité et la démocratie, dans plusieurs régions et villes du Maroc entre 2017 et 2018”, soulignent les auteurs du rapport.

Surpopulation carcérale

Les membres du bureau exécutif de l’OMP alertent notamment sur la surpopulation carcérale. Dans les détails, la population carcérale se chiffre à la fin décembre 2018, à 83.757 détenus, dont 51.025 détenus condamnés et contraints par le corps et 32.723 prévenus, avec une augmentation de 655 détenus par rapport à 2017.

Le rapport remet en lumière la problématique de la promiscuité dans les établissements pénitentiaires. Sur les 76 établissements pénitentiaires du royaume, 13 connaissent un taux d’occupation qui dépasse les 100%. Ce dernier arrive à 200% pour le cas de la prison local Al Arjat 1 de Salé, 173% pour la prison centrale Moul El Bergui de Safi et 172% pour la prison locale de Kénitra.

Des femmes en difficulté

Ce rapport dresse également la situation des catégories spécifiques et vulnérables, notamment les femmes, les mineurs et les détenus étrangers dans les prisons. En ce qui concerne la première catégorie, le document mentionne que le nombre de femmes incarcérées s’élève à 1.907, soit 2,28% de la totalité de la population carcérale. Parmi elles, 55 femmes enceintes, 103 accompagnées d’enfants. On rapporte aussi 56 cas d’accouchement enregistrés en 2018. “Bien que les femmes représentent une minorité significative de la population carcérale, elles souffrent de difficultés supplémentaires qui sont liées à leur condition de femme ainsi qu’à l’environnement social et culturel qui les condamne doublement”, alertent les auteurs du rapport.

Ces derniers rappellent également la nécessité de reconnaître la spécificité de cette catégorie dans le système législatif pénal et carcéral par l’adoption de mesures à même de garantir les droits humains spécifiques des femmes en détention et en fournissant un effort supplémentaire pour former le personnel des établissements pénitentiaires à la prise en compte de la dimension genre dans le traitement et la gestion du quotidien des femmes incarcérées.

Des enfants en prison

En 2018, le nombre de mineurs détenus s’élève à 1.224 (1,46% de la totalité de la population carcérale). Pour l’OMP, la problématique des mineurs de détention soulève notamment des questions sur “le fondement philosophique de la justice pénale en vigueur, qui préconise l’arrestation et la privation de liberté comme mécanisme de réduction de la délinquance juvénile”. Les auteurs du rapport précisent que “la place des enfants se trouve auprès de leurs familles et dans les écoles, et non pas dans les établissements pénitentiaires, qui ne présentent pas les conditions et les qualifications requises pour la réussite de leur rééducation et de leur réhabilitation sociale”.

Pour dénouer cette problématique, l’OMP considère qu’il est urgent de “faire face aux causes profondes de l’accroissement de la délinquance juvénile, dans le cadre d’une vision globale et d’une stratégie multisectorielle qui prennent en compte les aspects psychologiques, sociologiques, juridiques et législatifs, y compris la nature et la psychologie des enfants”.

 

Mortalité et grève de la faim

Les établissements pénitentiaires marocains ont enregistré 180 cas de décès, dont quatre femmes, en 2018. Dans les détails, 77% des décès sont survenus dans les hôpitaux, 10% en route vers les établissements sanitaires, 8% dans les infirmeries pénitentiaires et 5% dans les cellules de détentions. “Il arrive que des cas soient liés à l’accès trop lent aux soins médicaux, d’autres cas à la maltraitance et la torture, ou alors aux répercussions psychologiques qu’entrainent le stress de la détention, la sévérité des peines, la violence entre détenus, etc.”, énumèrent les auteurs du rapport. Ces derniers soulignent l’absence d’enquête sur les véritables causes de décès.

En plus des décès, l’Observatoire, qui se réfère au dernier rapport de l’administration pénitentiaire, relève 1.573 cas de grèves de la faim enregistrés en 2018. Ces grèves sont entamées par les détenus dans 67% des cas pour des raisons liées à la nature des poursuites judiciaires, des jugements rendus et peines prononcées. Suivent les motifs liés à des situations vécues à l’intérieur des prisons (28% des cas), et d’autres raisons (5%). Pour l’OMP, le taux élevé de grèves de la faim renseigne sur la qualité du traitement à l’intérieur des établissements pénitentiaires, et rend “impératifs la médiation et le dialogue”.

Plaintes et doléances

Le document mentionne également 1.568 plaintes déposées par les détenus et leurs familles auprès de la DGAPR pour dénoncer la maltraitance (40%), la privation de soins de santé et d’hospitalisation (23%), les conditions de détention (15%), et la privation des programmes de réhabilitation et de réinsertion (7%). “Ces situations poussent parfois les détenu(e)s, qui vivent des situations désespérées, à exprimer leur mécontentement et leur souffrance d’une manière extrême, pouvant dans certains cas mettre en danger leur santé et leur sécurité, ainsi que celle des codétenu(e)s”, s’indignent les auteurs du rapport.

De son côté, l’OMP a reçu et traité en 2018, 179 dossiers de doléances des détenus, “sans compter les nombreux cas résolus par des interventions directes des membres de l’Observatoire, n’entrant pas dans les statistiques”. Ces doléances concernent particulièrement des demandes de transfert vers d’autres prisons (30%), l’accès aux soins et à l’hospitalisation (28%), ainsi que des plaintes dont l’objet porte sur la violence et les traitements inhumains et dégradants subis par les détenus (27%).

Parmi ces doléances reçues par l’OMP, 89% ont été adressées par écrit par l’OMP à la DGAPR, 5% à travers des appels téléphoniques à la DGAPR et 6% à travers des visites directes dans les lieux de détention”, soulignent les auteurs du rapport. Ils rappellent également “l’importance d’établir un cadre juridique national relatif au mécanisme de traitement des doléances des détenu(e)s et de réfléchir à la possibilité de mettre en place une commission mixte dont la mission serait la réception et le traitement des doléances des détenu(e)s et la recherche des solutions aux problèmes soulevés dans des délais respectables pour les détenu(e)s, qui se trouvent parfois dans des situations désespérées”.

Le rapport présenté par l’OMP s’appuie sur les données et les statistiques puisées dans les différents rapports publiés par les organisations de défense des droits de l’Homme, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), les commissions parlementaires, la DGAPR, mais aussi les médias. Il prend également en compte les doléances des détenus traitées et les visites d’assistance juridique et de sensibilisation réalisées par l’OMP au profit des détenus et de leurs familles au cours de l’année 2018.