Flagrant délit d’adultère : entre fantasme et législation

En 2018, plus de 3.000 personnes étaient poursuivies pour adultère selon le rapport annuel du parquet. À défaut d’aveux ou de preuves écrites explicites, l’adultère ne peut être avéré que par “flagrant délit”. Mais concrètement, comment la loi définit-elle le flagrant délit, et où commence l’adultère ?

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Image de "What Makes Men Tick (Woman Alive series, 1972)" Crédit: Creative Commons

Surprise ! C’est ce que pourrait déclamer la police judiciaire face à un couple pris en flagrant délit d’adultère. Imaginer sérieusement la scène paraît difficile : entre ce qui aurait mené la police sur place, ce qu’elle y trouve et les réalités du procès qui s’ensuivra, les possibilités sont multiples.

S’il est avéré, l’adultère est pourtant loin d’être comique. Puni par l’article 493 du Code pénal (CP), il est passible d’une peine allant d’un à deux ans de prison. Le projet de réforme du Code pénal de Mostapha Ramid, lancé en 2015 et perdu dans les couloirs du parlement, ne prévoyait pas de le dépénaliser — de même pour le meurtre ou les agressions pour crimes d’honneur, actuellement “excusables” selon les articles 418 et 420 du CP.

Dimanche dernier, une descente de police à Casablanca dans un appartement loué par une actrice et un producteur a remis le sujet sur le tapis. Les services de police dépêchés à 6h du matin auraient mis une heure à pénétrer dans l’appartement. Les preuves irréfutables de l’adultère, soupçonné par l’époux de l’actrice (résidant aux Etats-Unis), sont à ce jour encore difficilement récoltables, comme l’explique le quotidien Assabah le 10 juillet. 

Trois manières de prouver l’adultère

L’adultère est poursuivi uniquement en cas de plainte d’un conjoint offensé, ou si ce dernier réside à l’étranger et que l’infidélité est de notoriété publique. L’article 24 de la Constitution de 2011 sur le droit à la protection de la vie privée implique la nécessité du dépôt de plainte du conjoint, préalable à toute enquête ou arrestation. Si la plainte est retirée par ce dernier, les poursuites sur le conjoint fautif sont abandonnées, mais pas celles visant son/sa “complice”, qui peut alors être condamné(e) seul(e) pour cet acte effectué en binôme.

Pour prouver le délit, il y a trois possibilités prévues dans l’article 493 du CP : par aveu relaté dans des lettres ou des documents émanant du prévenu, par un aveu judiciaire, ou par un procès-verbal de constat de flagrant délit dressé par un officier de la police judiciaire.

C’est ce dernier point qu’il faut préciser. Pour surprendre les amants en flagrant délit, la police doit donc être alertée par le conjoint du soupçonné, être mandatée officiellement par le procureur du roi, et surprendre le couple en pleine action. Mais où commence l’action ? Et comment prouver qu’elle a eu lieu ? Généralement, la décision finale est laissée à l’appréciation libre du juge. “Il faut le convaincre que l’adultère a été commis”, explique Youssef Chehbi, avocat à Casablanca. Pour ce faire, des “preuves” sont collectées, par exemple des photographies ou des échantillons de sécrétions.

Trois types de flagrants délits

Une nouvelle fois, le flagrant délit est précisé par une règle de trois. Selon l’article 58 du Code de procédure pénale, le crime ou délit est flagrant lorsque :

– un fait délictueux se commet ou vient de se commettre,

– l’auteur est encore poursuivi par la clameur publique,

– l’auteur, dans un temps très voisin de l’action, est trouvé porteur d’armes ou d’objets faisant présumer sa participation au fait délictueux, ou que l’on relève sur lui des traces ou indices établissant cette participation.

Dans le cas de l’adultère, il faut donc qu’il soit commis ou vienne de se commettre face à un membre de la police judiciaire, ou que sur place, juste après l’action, des témoins attestent de ce qu’ils viennent de voir auprès de l’officier (mais des témoins seuls ne sont pas suffisants), ou encore que différentes traces, par exemple de sécrétions, soient trouvées sur ou autour des accusés. Dans la majorité des cas pratiques, selon Zineb Khadraoui et ses vingt-cinq ans d’expérience au barreau, les gens avouent avec la pression du contexte, et entrent donc dans la catégorie des “aveux judiciaires” plutôt que du flagrant délit.

Par souci d’explication jusqu’au-boutiste, il faut préciser les termes “relation sexuelle” à l’origine de la pénalisation. “Le Code pénal ne peut pas être interprété largement”, indique Lahcen Dadsi, avocat. Bien que le droit pénal soit par définition répressif, il se doit d’être en faveur des accusés en cas de flou juridique ; et de fait, il y a de multiples façons de procéder à l’acte charnel. Le débat sur les ébats est “houleux, même entre juristes”, ajoute l’avocat.

L’acte sexuel se définit par la pénétration”, explique le spécialiste Mohamed Al Houssaini Karout, professeur de droit pénal aux facultés de droit de Rabat et Casablanca, “tous ceux ayant écrit sur le sujet le disent”. Dans l’islam, dont est également inspiré le Code pénal, l’adultère est également défini par une pénétration. C’est donc le contact direct entre les deux organes sexuels qui est punissable. Le cas d’un couple inculpé pour “flagrant délit” et n’étant pas arrivé à ce stade sexuel ne peut être condamné pour adultère. Et si des échantillons de sécrétions ont été retrouvés sur place ou sur les accusés ? “L’éjaculation peut être précoce, cela ne prouve pas qu’il y a eu pénétration”.

La tentative d’adultère, impunissable

Mohamed Al Houssaini Karout précise un point important. L’adultère n’est pas un crime, mais un délit. Or, selon l’article 115 du CP, “la tentative de délit n’est punissable qu’en vertu d’une disposition spéciale de la loi”, ce qui n’est pas le cas de l’adultère. La tentative d’adultère est donc impunissable, seule la consommation de l’acte sexuel est répréhensible.

Les condamnations pour flagrant délit d’adultère sont donc sur le papier extrêmement rares, puisque si les concernés n’ont pas été surpris en plein coït, prouver l’éphémère existence du délit est quasiment impossible. Par contre, si les accusés échappent au délit d’adultère, il est fréquent qu’ils soient condamnés pour atteinte à la pudeur (article 483, jusqu’à deux ans d’emprisonnement) ou à la débauche (article 502, jusqu’à un an d’emprisonnement). Il faut rappeler que l’abandon de plainte pour adultère ne concerne que le conjoint du plaignant, ne profitant pas au “complice” qui de son état selon l’article 130 du CP “est punissable de la peine du délit”.