Le Miracle du Saint Inconnu, entre conte marocain et comédie burlesque

Le réalisateur marocain Alaa Eddine Aljem incarne ce que plusieurs médias internationaux appellent déjà “la nouvelle génération du cinéma maghrébin”. Avant la première projection à Cannes, il nous parle de son premier long métrage Le Miracle du Saint Inconnu, de comédie burlesque, et de tradition narrative marocaine.

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Section parallèle du Festival de Cannes, la Semaine de la Critique se consacre, depuis le début des années 1960, à la découverte des jeunes talents. C’est un peu l’antichambre de la course à la palme d’or. Du 15 au 23 mai, la 58e édition propose des films venus du monde entier : France, Costa Rica, Guatemala, Algérie, Maroc et Égypte.

Au total, cinq films de cinéastes maghrébins sont présents dans les quatre sélections cannoises, dont deux productions marocaines : Le Miracle du Saint Inconnu, d’Alaa Eddine Aljem (Semaine de la Critique) et Adam, de Maryam Touzani (Un Certain regard). Les deux films concourent également pour la Caméra d’Or, qui récompense un premier film présenté dans les quatre sélections. TelQuel a parlé avec Alaa Eddine Aljem, quelques heures avant sa première, à Cannes.

“Je viens tout juste d’arriver”, lâche-t-il, l’air béat. Brouhaha, rires, éclats de voix à l’autre bout du fil, Alaa Eddine Aljem s’excuse. Il est à Cannes, et ne semble pas réaliser. Le gamin de Rabat qui a étudié le cinéma à l’Ecole supérieure des arts visuels (ESAV) de Marrakech, puis à l’Institut supérieur des arts (INSAS) de Bruxelles a aujourd’hui “une attachée de presse”, une “gestion de planning”, et des interviews à gérer.

Open Doors, Sundance, Cannes

“Je me sens étrangement bien”, répond-il lorsqu’on lui demande s’il se sent nerveux avant ce grand rendez-vous international. “Un peu de trac quand même”, finit-il néanmoins par concéder. Cela fait quatre ans qu’il écrit son premier long métrage, Le Miracle du Saint Inconnu, une coproduction franco-marocaine, tournée à Marrakech. Le film est passé par l’Open Doors de Locarno et y a remporté le prix ICAM, au Screenwriters’ Lab du Sundance Institute et à La Fabrique des Cinémas à Cannes en 2016, avant d’être sélectionné lors de la 58e Semaine de la Critique. De quoi donner le tournis.

Mais Alaa Eddine Aljem garde les pieds sur terre. “Beaucoup de cinéastes que j’admire ont fait leurs premiers pas à la Semaine de la Critique. C’est vrai que je suis fier d’y être”, lâche-t-il, avant de parler des autres films sélectionnés. Ses concurrents, donc. “Il y a un renouveau du cinéma maghrébin. De nouveaux auteurs, réalisateurs et producteurs marocains, algériens et tunisiens débarquent dans l’industrie et, même si c’est encore trop tôt pour parler de génération, il y a de belles promesses. C’est stimulant”.

Ce bond, il l’explique par “les financements et l’offre de formation qui émergent”, mais aussi par “la politique” : “Avec le Printemps arabe, un coup de projecteur a été mis sur ces sociétés en mouvement constant. Le cinéma et le public se familiarisent peu à peu avec les problématiques de la région. Le Maghreb a plein de choses à dire, des histoires qui méritent d’être portées à l’écran”.

Comedy Club

Alaa Eddine Aljem regrette que “la justice sociale soit devenue le genre unique de ces pays”. “Ce cinéma tourne souvent autour de thématiques sociales lourdes et identifiées dans le marché du cinéma : inégalités de genre, pauvreté, immigration, terrorisme…”. Son film, Le Miracle du Saint Inconnu est, lui, un conte léger, drôle et délicat. Un choix assumé : “Avec les images et les symboles, on peut ouvrir la réflexion par des constructions de situations plutôt que par des enjeux dramatiques de personnages”. 

“C’est une fable moderne un peu absurde, un film choral, bâti autour de plusieurs personnages dont on ne creuse pas vraiment la psychologie. Une histoire burlesque sur le rapport à la foi, la croyance et l’observation de la transformation d’une microsociété ancestrale confrontée à une certaine modernité, explique le jeune réalisateur. J’ai voulu questionner la relation qu’entretiennent mes contemporains à la foi, à la spiritualité et à l’argent. C’est le Saint Inconnu ou le sacré sac d’argent”. 

Tourné à Marrakech, Le Miracle du Saint Inconnu raconte l’histoire d’Amine, un jeune voleur qui s’enfuit avec un joli magot. Poursuivi par les gendarmes jusqu’au fin fond des collines désertiques, il enterre son butin et déguise l’endroit en une modeste tombe. À sa sortie de prison, dix ans plus tard, le voleur cherche à récupérer son butin. Entre temps, un mausolée y a été érigé en l’honneur du “Saint-Inconnu”.

“Ce film s’inspire directement de la société marocaine, à la croisée des chemins, tiraillée entre des forces antagonistes qui ne devraient peut-être pas l’être : tradition et modernité, matière et spiritualité…”. Le Miracle du Saint Inconnu, en darija sous-titré français et anglais pour Cannes, emprunte au cinéma de Charlot, au quiproquo moliéresque et à la tradition narrative marocaine. “On est naturellement des conteurs, c’est inné au Maroc”.