Imbroglio autour d'un câble électrique rompu au large de Tanger

Un câble électrique sous-marin reliant l'Espagne au Maroc s'est brisé en septembre dernier à 9 kilomètres des côtes marocaines. Après sept mois de silence, l'opérateur espagnol en charge du câble a reconnu les faits. Il est accusé par une association écologiste espagnole d'avoir caché le fait que des milliers de litres d'un liquide toxique se sont répandus dans le détroit de Gibraltar.

Par

Baie d'Algeciras. Crédit : José Saez/Flickr.

Un des câbles électriques reliant la ville de Tarifa (sud de l’Espagne) au Maroc s’est rompu il y a sept mois. Ce n’est que le 22 mars dernier que le secrétariat d’État espagnol à l’Energie l’a annoncé, par la voix de son directeur Manuel García Hernández. Selon un rapport de Red Eléctrica de España (REE), l’opérateur électrique national espagnol, “le lieu exact de l’incident a été localisé, situé à 9,2 kilomètres de la côte marocaine et à une profondeur de 480 mètres, dans les eaux territoriales marocaines”.

L’incident est intervenu le 16 septembre 2018. Selon l’association espagnole Agaden, oeuvrant dans le domaine de la protection de l’environnement, la brisure du câble a libéré dans les eaux du Détroit une grande quantité d’un liquide toxique.

Au mois de novembre, Agaden remarque l’arrivée d’un navire de maintenance, le « Far Superior », dans la zone du câble. Alertée, l’association interpelle le ministère espagnol de l’Industrie pour lui demander des explications sur la présence dans le Détroit du bateau en question. Mais le gouvernement choisit de garder le silence. Fin novembre, REE finit par faire une déclaration pour expliquer que le câble n’est en aucun cas endommagé, et que le « Far Superior » avait été dépêché sur la zone pour effectuer “de simples tâches de maintenance de l’infrastructure électrique”.

« Toxique en cas d’ingestion »

Le 22 mars dernier, le gouvernement espagnol a donc finalement reconnu un incident, tout en insistant sur le fait que le système de sécurité du câble a réussi à contenir des fuites du liquide de refroidissement utilisé pour l’entretien de l’infrastructure. “Au moment de la déconnexion du câble 4, nous avons observé des traces du fluide isolant en dehors des zones normales d’exploitation, ce qui a actionné le système automatique de contention des fuites”, a déclaré Manuel García Hernández. Emboîtant le pas aux pouvoirs publics, REE assure que “les autorités maritimes espagnoles ont activé le Plan maritime national en déployant les moyens adéquats pour vérifier la présence de fluide isolant dans les eaux territoriales espagnoles. Les résultats étaient négatifs”.

Pourtant, l’association Agaden affirme de son côté que 29.000 litres de liquide ont bien été déversés dans les eaux du Détroit. “Comme il arrive toujours dans ces cas, l’administration et la société minimisent ce fait grave ainsi que les dommages qu’il a causés en expliquant que le fluide isolant n’a pas affecté l’environnement. Cependant, le fluide frigorigène est classé entre R21 et R22, ce qui signifie qu’il est toxique en cas d’ingestion et nocif lors du contact avec la peau”, dénoncent les écologistes.

En 2016 déjà, un incident similaire est survenu à un peu plus de cinq kilomètres de la ville marocaine de Fardioua, dans les eaux territoriales marocaines. Une autre association de protection de l’environnement avait alors essayé d’obtenir, en vain, des informations sur la nature des dégâts causés. En raison de ces problèmes à répétition, Agaden estime que ce câble de 400.000 volts n’est pas fiable et menace la vie du Détroit, qui est un environnement protégé.

Recours à l’UNESCO

“Le fait que, ces deux dernières années, il y ait eu au moins deux interruptions est un signe que quelque chose ne va pas avec les systèmes électriques. En outre, le fait que c’est une ONG qui doit donner l’alerte sur ces incidents graves est plus que regrettable, car REE parle beaucoup de transparence et assume ensuite très mal ses propos”, explique l’association.

Lors de son installation en 1996, le câble électrique avait suscité une vive polémique. Pendant de longues semaines, des mouvements de grève avaient agité la petite ville de Tarifa, habituellement calme. Les manifestants s’inquiétaient de l’impact que la connexion électrique aurait sur la fréquentation touristique de la ville ou encore sur l’industrie de pêche locale. À tel point que le chantier de l’installation avait dû être protégé par les forces de l’ordre.

Dans les jours qui viennent, l’association Agaden a promis de porter la bataille à l’échelon supérieur. Les environnementalistes accusent en effet l’opérateur REE et les autorités de s’être mis de mèche afin de cacher au public des informations importantes sur la connexion électrique Maroc-Espagne. Ainsi, “face à la répétition d’incidents négatifs menaçant la réserve naturelle du détroit”, Agden va informer l’UNESCO de ces faits pour que l’organisation internationale ouvre une enquête. Contactée par TelQuel, l’ONEE qui est le gestionnaire marocain de ce câble n’a pu être joint.