Rencontre à Dakhla avec Jozsef Steier, le chercheur qui veut verdir le Sahara

Reverdir le Sahara, c'est le but de The Green Sahara, fruit du travail de plusieurs scientifiques durant deux décennies. L’initiateur de ce projet, le professeur Jozsef Steier répond à TelQuel sur ce projet ambitieux.

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Le chercheur hongrois Joszef Steier lors de son intervention au Forum Crans Montana. Crédit: Capture d'écran YouTube/ L'Observateur du Maroc

Il y a moins de 5.000 ans, le Sahara était vert, humide et luxuriant. Avant de connaître, en l’espace de quelques siècles, l’un des changements les plus abrupts qui en a fait le désert que nous connaissons aujourd’hui. À l’heure des bouleversements climatologiques que nous traversons, plusieurs chercheurs du monde entier s’intéressent à reverdir le Sahara, qui couvre près de 9 millions de km2. Rencontré au Forum Crans Montana, Jozsef Steier est l’un d’eux. Et c’est peu dire qu’il a détonné au moment d’annoncer son projet. “Quand vous donnez quelque chose pour toute l’Afrique, vous allez attirer sur vous tous les fonds pour renforcer votre position et votre futur”, a -t-il lancé à l’adresse d’une assemblée composée de la jeunesse africaine. Lui affirme “croire dans le futur du continent et au changement du Sahara”. Depuis cinq ans, cet homme attaché à l’Afrique travaille sur de grands travaux pour reverdir le continent. Son projet, The Green Sahara, vise à utiliser une technologie de fertilisation au CO2 pour promouvoir une solution “durable et rentable”. Un projet qui, selon les intéressés, pourrait coûter 625 millions de dollars. Jozsef Steier y croit, autant qu’à l’essor d’un continent auquel il se dit profondément attaché.  “Je suis dans une situation unique : j’ai la peau blanche et le coeur noir”, sourit-il.

Telquel.ma : Pouvez-vous nous expliquer la genèse de votre projet ? 

Jozsef Steier : Depuis cinq ans je travaille à Marrakech sur les agricultures innovantes. Dans le contexte climatique actuel que nous connaissons, l’agriculture est à la fois victime et solution du changement climatique. Dans ce contexte, avec les savants du monde, nous avons commencé à développer un grand projet, celui du Sahara Vert ou Green Sahara (GS). Ce projet est le résultat d’un travail collectif sur une vingtaine d’années, entre scientifiques et milieu d’affaires. Pourquoi ? Parce que nous avons fait analyser d’autres grands projets comme la grande muraille verte, Desertec et le Plan Maroc vert, appliqué ici au Maroc. Ces derniers n’avancent pas aussi vite que la croissance grandissante de la population. C’est aussi pour ça que les jeunes sont un peu déçus du continent et s’en vont pour chercher de nouveaux défis, mais aussi un meilleur cadre pour prospérer.

Vous parlez d’une solution trois fois gagnante, rien que ça. Comment se déploiera votre projet de Sahara vert ?

Nous partons du principe de grande envergure. Pour une croissance rapide de la population, comme l’est celle du continent africain, une solution de monophase d’une petite solution locale n’est pas suffisante. Pas même à l’échelle régionale. Mais si on peut inclure un troisième intérêt, davantage global, avec le traitement du dioxyde de carbone (CO2), nous allons irriguer et fertiliser les grandes forêts avec ce CO2. L’effet est double : pallier la pénurie d’eau et la baisse des nappes phréatiques dans cette région. Aussi, nous pourrons transformer un déchet en quelque chose qui aura une grande valeur et une grande portée en matière d’écologie. C’est ce que l’on dit alors par notre formule “gagnant-gagnant-gagnant” : gagnante pour les locaux, gagnante pour le continent et gagnante pour l’humanité. Nous sommes la première organisation du monde à utiliser une technologie de fertilisation au CO2, en plein champ, et qui a été labélisé innovation importante lors de la Cop22. C’est ce qui a d’ailleurs déclenché un changement de paradigme quant au dioxyde de carbone.

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À quand peut-on s’attendre à une mise en place de ce projet ? Où se tiendra son expérimentation ? 

Nous comptons commencer à moyen terme au-dessus de la frontière mauritanienne, à 75 kilomètres au sud de Dakhla environ. Mais le lieu n’est pas encore clairement défini, nous avons rendez-vous avec les autorités compétentes, à Rabat, la semaine prochaine pour discuter des idées et du site concret. Ici, le défi existe et il est même pressant. Les gens réclament une solution. Alors nous avons raccourci le programme avec plusieurs universités et nous nous sommes dit que nous allons faire de mille hectares notre base du projet. Ce sera déjà bien plus efficace que si l’on commençait vite trop gros, comme avec 25 000 hectares sur huit ans de programme. On va raccourcir à mille hectares de structure cellulaire sur deux ans, pour obtenir la meilleure gestion possible du risque, mais aussi une  formation du personnel adéquate et compter sur l’optimisation de la technologie.

Cette question écologique apparaît comme le grand défi du continent, tant elle est responsable de la migration, responsable de la pénurie alimentaire et de l’expansion de certaines zones de sécheresse. Pourtant elle ne semble que trop peu abordée à l’échelle du continent. Comment l’expliquez-vous ? 

C’est précisément le cœur du sujet que vous touchez là. On ne peut pas discuter de la paix et de la sécurité, si vous n’insérez pas dans le contexte africain, une question fondamentale : l’écologie. C’est dans ce cadre que s’inscrit notre projet novateur, qui soutient fermement l’Objectif de développement durable numéro 15, nécessaire à notre avenir.