Bilalophobie

Par Fatym Layachi

Ton patriotisme s’exprime de manière assez saugrenue. En gros, à chaque fois qu’un de tes compatriotes (ou quelqu’un dont les parents sont tes compatriotes) s’illustre en faisant un truc cool, héroïque ou glorieux, que ce soit en sport, en sciences ou même en téléréalité, tu es contente. C’est comme ça. Ce n’est pas forcément logique. C’est viscéral.

En fait, tu en as tellement marre d’entendre parler de ta nationalité dans des histoires de terrorisme, de viols ou de faits divers sordides que tu te réjouis de n’importe quelle réussite. Tu es absolument ravie dès qu’il y a une victoire ou une bonne nouvelle aux accents du pays. Et dans ce registre, il y a quelques semaines, tu as eu une grande joie. Le candidat qui va représenter la France à l’Eurovision est d’origine marocaine. Avec Zee, vous avez trouvé ça très cool le soir de l’élection. Parce que oui, ça a été une élection, le public a voté pour ce jeune homme.

Ce chanteur s’appelle Bilal Hassani. Il ne ressemble à personne d’autre qu’à lui-même. Il a une allure de joli extraterrestre. Il joue avec ses perruques colorées avec beaucoup de poésie gentiment surréaliste. Il assume totalement sa personnalité chatoyante, son mode de vie, son orientation sexuelle. Il est libre de faire ce qu’il veut, de s’habiller comme il veut, de chanter ce qu’il veut, et puis surtout d’aimer qui il veut. Il n’a à se justifier de rien. Et puis, il a le soutien inconditionnel de sa maman qui le suit partout avec un regard bienveillant. Tu as trouvé toutes ces séquences pleines de vie et d’amour. Et en réalisant ça, tu réalises surtout que les origines, c’est joli comme une carte postale exotique, mais que tu ne peux qu’être heureuse que ce garçon ne vive pas dans son pays d’origine.

“Au Maroc, Bilal Hassani serait, au mieux, frustré et malheureux, au pire, il serait en prison”

Fatym Layachi

Ici, au mieux, il serait frustré et malheureux, au pire, il serait en prison. Et quand bien même ce ne serait pas le législateur inique qui l’enverrait croupir derrière les barreaux, ce serait ses compatriotes qui le maudiraient. Et c’est ce qu’ils font déjà sur la Toile. Il suffit d’un tour rapide sur les réseaux sociaux pour constater que tout plein de gens se défoulent et lui souhaitent bien des horreurs. Toi, ce jeune homme, tu ne le connais pas et tu n’as absolument aucun avis sur ce qu’il fait ou ce qu’il chante. Tu sais que tu finiras bien par danser sur sa chanson remixée par un DJ à la mode sur une terrasse tout aussi à la mode. Ce sera forcément le tube surcoté d’une des tes soirées foireuses. Mais là, en l’occurrence, ce n’est pas de musique dont il s’agit dans les débats qui passionnent Internet. Des anonymes appellent à la violence, certains vont même jusqu’à dire que “tuer ce déviant ne serait pas un crime !”.

Tu hallucines. Certains justifient leurs propos par des hadiths belliqueux dont personne ne pourra confirmer l’authenticité. D’autres se lancent dans des diatribes virulentes qui mélangent haine de l’Occident, fierté arabe et défense aveugle de l’islam, le tout dans une confusion des plus douteuses. Ça te donne envie de pleurer, vomir et hurler en même temps. Comment peut-on haïr autant et gratuitement ? Et puis, tu te rappelles que dans le plus beau pays du monde, la vraie vie n’est pas aussi jolie que sur Instagram. Qu’encore aujourd’hui, l’homosexualité est punie par l’article 489 du Code pénal. Là où vit Bilal, c’est l’homophobie qui est punie par la loi et tu trouves ça bien plus juste. Alors finalement, la seule chose que tu puisses rêver pour ce garçon c’est qu’un jour, dans son pays d’origine, il ait le droit de vivre comme il l’entend. Tout simplement.