Après deux décès confirmés, inquiétude autour de la grippe porcine

Une femme enceinte est décédée le 28 janvier à Casablanca, atteinte du virus H1N1, plus communément appelé « grippe porcine ». Son nourrisson est décédé le lendemain. Les rumeurs font état de nouveaux cas dans d’autres régions, sans avoir été confirmés. Quels sont les risques ?

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Virus H1N1

Le 28 janvier une femme enceinte âgée de 34 ans, Yousra H., est décédée à l’hôpital Cheikh Khalifa de Casablanca. Son nourrisson est décédé le lendemain. Les analyses ont montré qu’elle avait contracté la grippe porcine, le virus H1N1 qui touche principalement les voies respiratoires. Dès le lendemain, le ministre de la Santé Anas Doukkali appelait au calme lors d’une conférence de presse, annonçant « que l’apparition de la grippe saisonnière type A (H1N1) dans le Royaume demeure un fait normal, d’autant plus que le système national de veille et de surveillance épidémiologique enregistre annuellement, comme dans les autres pays, des cas de contamination par ce virus lors de la saison hivernale ».

Or, depuis, un vent d’inquiétude s’est emparé des réseaux sociaux, alimenté par des rumeurs de nouveaux cas. Une inquiétude alimentée par l’annonce d’un troisième décès lié au H1N1 annoncé par le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, à l’issue du Conseil de gouvernement qui s’est tenu ce 31 janvier. La victime est une femme âgée de 68 ans « souffrant d’autres maladies qui ont provoqué des complications » a annoncé le ministre dont les propos ont été relayés par nos confrères de Medias24. 

À Marrakech, un nouveau cas aurait été détecté au CHU selon plusieurs sources médiatiques régionales. Contacté par TelQuel, le CHU de Marrakech tempère : « jusqu’à maintenant, nous n’avons aucune information en ce qui concerne ce cas. Nous avons bien entendu les rumeurs au niveau des médias régionaux, mais au sein de la direction générale du CHU, il n’y a aucune confirmation ayant été éditée en ce sens. »

Aux origines à Casablanca

Traitée pour une infection urinaire ainsi qu’une pneumopathie à Fès, Yousra H, enceinte de huit mois, a été transférée à l’hôpital Cheikh Khalifa de Casablanca « dans un état critique ». Des tests effectués par prélèvements sur la patiente ont confirmée qu’elle était atteinte du virus de la grippe A H1N1. L’hôpital affirme avoir immédiatement averti la direction régionale du ministère de la Santé et les services épidémiologiques. L’hôpital a également administré un antiviral — le Tamiflu — à la patiente, mais son décès a été constaté le 28 janvier au matin. « Le médicament a été délivré après la période d’efficacité du médicament qui s’établit 48 h après la perception des premiers symptômes, » explique l’hôpital dans un communiqué. Son enfant, accouché par césarienne, est décédé le jour suivant dans le même hôpital.

Suite au décès de la jeune femme, le ministère de la Santé, par la voix de Mohamed Youbi, directeur de l’épidémiologie et de lutte contre les maladies, a annoncé que ce cas était « isolé » et ne représentait pas un risque « épidémiologique ». Ses affirmations se basent notamment sur une surveillance sanitaire que le Maroc opère sur les cas de grippe et de propagation virale durant la saison hivernale. Le Maroc communique aussi avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les éventuels cas détectés afin de prévoir d’éventuels vaccins.

Contre-expertise

Mais cette tentative de rassurer n’a pas convaincu tout le monde. À l’instar d’Ali Lotfi, chercheur et président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé, qui écrit sur sa page Facebook : « Contrairement à la réaction du ministère de la Santé dans l’un de ses communiqués sur le décès d’une patiente des suites de grippe A H1N1, le virus A (H1N1) est plus agressif et plus contagieux que ceux de la grippe saisonnière. Les scientifiques ont démontré que la grippe A avait eu des conséquences près de quatre fois plus graves que la grippe saisonnière. » Il ajoute : « Le ministère de la Santé doit revoir sa politique sanitaire et épidémiologique, car la situation demeure préoccupante eu égard aux transitions épidémiologiques, démographiques et technologiques… ». De quoi susciter les inquiétudes des internautes.

Les avis divergent. Contactée par TelQuel, Zoubida Bouayad, pneumologue et présidente de l’association SOS tuberculose nous informe que « la maladie en générale a toujours existé. C’est la typologie du virus qui a changé et qui s’est développée au Maroc. La période hivernale est propice à la propagation des infections virales. Le degré de gravité peut néanmoins fortement varier de simples douleurs articulaires et fièvre, jusqu’à des cas de détresse respiratoire aiguë. Certaines personnes sont plus exposées que d’autres, dépendant de leurs situations immunitaires, classiquement : les personnes âgées, les femmes enceintes, les enfants et les gens en situation immunodéficience ». Selon Zoubida Bouayad, « la prévalence à des atteintes respiratoires graves reste faible ».

Également contacté par TelQuel, le professeur Kamal Marhoum El Filali, chef du service des maladies infectieuses du Centre Hospitalier Universitaire Ibn Rochd de Casablanca se veut également rassurant. « Il n’y a absolument rien d’effrayant dans la découverte de ce cas de grippe H1N1. La principale crainte autour de cette souche de grippe, il y a quelques années, était que l’on ignorait sa virulence. »

La virulence de cette souche est toujours avancée comme une menace, avec un taux de mortalité plus important que pour une grippe dite « classique« . Le professeur El Filali explique « qu’il peut en effet y avoir des manifestations symptomatiques plus sévères, mais que cela s’explique par une arrivée du H1N1 dans une population marocaine qui ne connait pas cette souche et qui n’est donc pas préparée d’un point de vue immunitaire. Donc les personnes qui entreront en contact avec la maladie auront beaucoup plus de chance de la contracter. Année après année, la fréquence diminuera grâce à la constitution d’anticorps ».

Moins de décès que la grippe classique

Le Maroc n’est en tout cas isolé, et la souche « A » de cette grippe est rependue dans le monde. En 2009, une pandémie avait fait plus de 17 000 morts à l’échelle mondiale. Bien loin des 150 à 200 000 morts de la grippe « classique » chaque année. « Il est tout à fait normal que nous ayons aussi des cas de grippe A au Maroc. Il aurait été plus étonnant de ne pas en avoir. Elle fait désormais partie des souches les plus répandues dans le monde, » poursuit le chef de service.

Ainsi, le ministre de la Santé Anas Doukkali a recommandé aux Marocains de « se faire vacciner contre le virus, particulièrement les personnes atteintes de maladies chroniques, les femmes enceintes et les enfants âgés entre 6 mois et 5 ans, ainsi que les personnes âgées de plus de 65 ans et celles atteintes de maladies chroniques spécifiques. »

Il a, en outre, appelé les professionnels de la santé à « adopter des comportements préventifs consistant à se laver les mains régulièrement, à réduire le contact avec les patients atteints de grippe, à se couvrir la bouche en cas de toux et d’éternuements à l’aide d’un mouchoir jetable et à aérer les locaux d’habitation ».

Le ministère s’est également engagé à tenir « informer l’opinion publique nationale de toute nouveauté concernant la situation épidémiologique ».