Leonard Doyle, porte-parole de l'OIM: "Les réseaux sociaux s'en fichent des migrants"

En marge de la conférence intergouvernementale pour l'adoption du pacte de Marrakech, TelQuel a rencontré Leonard Doyle, le porte-parole de l'Organisation internationale des migrations (OIM) pour le questionner sur l'adoption du document onusien, mais aussi sur la politique migratoire du Maroc.

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Léonard Doyle, porte-parole de l’Organisation international pour les migrations (OIM). Crédit: Yassine Toumi

Leonard Doyle, le porte-parole du directeur général de l’Organisation internationale des migrations (OIM), faisait partie d’une délégation présente lors de la conférence intergouvernementale pour l’adoption du PMM, tenue le 11 et 12 décembre à Marrakech. Le chef de la division communication au sein de cette agence intergouvernementale liée à l’ONU  se livre à TelQuel sur ce document onusien, adopté par proclamation orale le 10 décembre, et sur la politique migratoire du royaume.

TelQuel : Au lendemain de l’adoption du pacte mondial des migrations « sûres, ordonnées et régulières », quel est le regard de l’OIM sur ce document onusien ?

Ce pacte, pour la première fois de l’Histoire, pose un cadre. La migration doit être vue à travers le prisme onusien. Cela permet à chaque pays de disposer de sa souveraineté pour prendre des décisions sur la question migratoire tout en mettant en avant les droits humains des migrants. Cette initiative souligne la nécessité de coopérer au niveau local, régional et mondial avec toutes les parties prenantes.

Pourquoi était-il important d’organiser cette conférence maintenant, et non en juillet dernier ?

Les Nations Unies et l’OIM ont pensé ensemble à l’idée de consacrer une semaine entière à la thématique de la migration englobant le Forum mondial sur la migration, le sommet Africités et aussi l’adoption du Pacte mondial sur les migrations.

Comment l’OIM considère le fait que la question migratoire cristallise les tensions en Europe ?

La majorité des pays européens sont pour l’adoption du pacte, même si des pays ont dit qu’ils se retiraient. Il y a aussi la politique qui se mêle là-dedans. Je pense qu’après un certain temps, lorsque l’on se rendra compte que ce n’est pas un défi à la souveraineté, ces pays pourront changer d’avis.

Sur le terrain, quels sont les obstacles rencontrés par l’OIM ?

Tout dépend de quels obstacles on parle. Si on parle de la Libye, dans ce pays, la politique migratoire est un peu différente d’ici (au Maroc, ndlr), ou encore de ce qui se passe en Europe ou en Asie. Ce qui est important, c’est que, partout, sur la base de tous nos projets, nous disposons des grandes lignes. Soit en ce qui concerne les droits de l’Homme, soit pour la protection de ces individus. Nous nous focalisons particulièrement sur les migrants vulnérables, c’est notre ADN.  Il faut aussi noter, que l’OIM n’est là pour soutenir les gouvernements ou les populations en difficulté, que ce soit les migrants qui sont sur la route, les déplacés, ou ceux qui sont en difficulté.

Ce qui peut bloquer, c’est le fait qu’avec la mondialisation il y a la globalisation des médias, des réseaux sociaux… Ce qui signifie que deux personnes peuvent très bien créer un business sur Facebook pour gagner de l’argent, et peuvent par la même occasion mettre les migrants dans des conditions pénibles.

À la question de savoir pourquoi il n’y a aucune pression des réseaux sociaux sur ce genre de chose ? La réponse est simple : ils refusent tout engagement, ils s’en fichent de la condition des migrants. En plus, la plupart des médias sont en grande difficulté financière. Parce que tous leurs revenus vont vers les réseaux sociaux, c’est très difficile pour la démocratie, la stabilité et le bien-être des migrants. Avec les réseaux sociaux, il y a tellement de personnes qui sont en danger.

C’est la face sombre d’Internet. Mais, il faut trouver un moyen pour que ces organisations reconnaissent le fait que dans ce qu’elles ont créé, il y a du bien, mais il y a aussi du mal.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le programme concernant les retours volontaires ? Comment les migrants peuvent-ils rentrer dans leurs pays grâce à votre aide ?

Pour nous, c’est toujours mieux que les migrants choisissent de retourner volontairement dans leur pays. S’il l’on expulse des personnes dont le seul crime est d’essayer d’améliorer leur vie, alors ça peut être très dur pour ces personnes si on les fait retourner de force chez eux. Il vaut mieux donc que ce retour se réalise volontairement. Dans ce cas-là, ils ne se sentent pas punis, ils retournent dans leur pays avec dignité.

On essaie toujours d’avoir ce qu’on appelle un système de réintégration : cela peut prendre la forme d’une aide  pour leur permettre de créer un petit business et ainsi faciliter le retour au pays. Ces personnes ont peut-être emprunté de l’argent pour partir et ont dû payer de grosses sommes.

Ils ont peut-être emprunté de l’argent pour partir et ont dû payer de grosses sommes, qui n’ont pas forcement, aux passeurs. Donc souvent ils sont en grande difficulté financière à leur retour, donc nous  cherchons les aider à travers la mise en place de formations notamment.

Depuis 2014, le Maroc a adopté une nouvelle stratégie d’immigration et d’asile (SNIA), quels ont été les changements opérés dans le Royaume depuis l’application de cette politique migratoire ?

C’est un travail en cours pour les pays de destination et de transit. Cette nouvelle donne transforme le travail et crée un environnement plus propice et favorable pour s’assurer que la migration est bien gérée, dans l’intérêt du pays et des droits des migrants. De mon point de vue, c’est un microcosme du Global Compact : on a vu une approche gouvernementale qui reconnaît la souveraineté et d’un autre côté les droits humains et le besoin de migrants de trouver du travail.

Quel soutien l’OIM apporte-t-elle au SNIA ?

On a une politique globale, nos stratégies sont internationales. Le Maroc travaille proactivement dans la thématique de la migration au niveau national et international. La stratégie adoptée par le roi est un énorme pas en avant, une initiative très positive, qui a inclus deux processus de régularisation.

Dans ce même temps, le Maroc a un rôle clé au cœur de l’Union africaine pour aider la coopération et le dialogue entre les gouvernements. Le Maroc continue d’être un pays de transit, pour les migrants qui veulent atteindre l’Europe. Mais aussi, un pays de destination avec tout ce que cela englobe en termes de complexités et de challenges.

Et tout particulièrement en ce qui concerne le défi de protéger les personnes en situation vulnérable. Les agences des Nations unies au Maroc ont un programme en commun avec le ministère délégué chargé des Affaires de la migration qui continue de contribuer de son côté à la stratégie nationale. Le Maroc a ouvert la voie pour le pacte mondial de la migration et pour les étapes à venir après le Global Compact.