Jettou décortique la gabegie du Plan d’urgence pour l’éducation

Le Plan d’urgence 2009-2012 pour l’éducation devait permettre de rattraper les retards engrangés depuis 2000 dans ce secteur. Les nouvelles réformes successives entreprises ces dernières années suggéraient déjà que ce plan n’avait pas été une réussite. Un euphémisme, à la lumière du bilan chiffré et détaillé que dresse désormais un rapport de la Cour des comptes publié le 12 décembre.

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Driss Jettou, premier président de la Cour des comptes, devea faire le point sur la situation de l'ONSSA, ce mardi à la Chambre des représentants Crédit: Rachid Tniouni

C’était un secret de polichinelle, la Cour des comptes le confirme. Le Plan d’urgence (PU) 2009-2012 pour l’éducation a été un échec. Cuisant. Alertée par plusieurs audits d’académies régionales, l’institution présidée par Driss Jettou, s’est livrée à un exercice de comparaison des objectifs affichés en 2009 avec les réalisations constatées en 2017, dont les conclusions ont été rendues publiques le 12 décembre.

Il ressort que des 43,12 milliards consentis pour le secteur, seuls 58 % ont qu’été très peu consommés, faute de « capacité de gestion suffisante ». Aussi, sur le plan quantitatif, si le nombre d’élèves et le nombre d’établissements ont augmenté depuis 2009, la capacité d’accueil reste « insuffisante », l’objectif de couverture territoriale n’est pas atteint, sans compter les milliers d’établissements « en état de dégradation » et la non-généralisation du préscolaire.

Sur le plan qualitatif, il en résulte une « aggravation » des classes surchargées, mais aussi un recours massif aux enseignants contractuels ce qui « remet en question la qualité des enseignements dispensés ». Un enseignement qui devait être réformé à coup de 12 milliards de dirhams, mais dont nombre de projets pédagogiques n’ont pas été réalisés.

Sur le volet social, la Cour des comptes note une « amélioration des indicateurs quantitatifs », mais aussi que « les mesures entreprises n’ont pas produit l’impact souhaité sur l’amélioration des conditions de scolarité et la rétention des élèves. » Conséquence : un taux d’abandon scolaire en hausse.

Les crédits n’ont pas tous été employés

Première difficulté pour les magistrats de la Cour des comptes : établir le budget alloué au Plan d’urgence entre 2009 et 2012. Destiné à rattraper le retard enregistré depuis le début des années 2000 dans la mise en œuvre de la réforme du système éducatif lancée par la Charte nationale d’éducation et de formation (CNEF), le Plan d’urgence a été « recadré » progressivement, à partir de janvier 2009, par des « fiches de recadrage » pendant 18 mois.

Aussi, la Cour des comptes s’est dépatouillée entre un budget arrêté par un bureau d’étude et validé par le ministère (33,96 milliards de dirhams), un budget dégagé par les fiches de recadrage (45,27 milliards), mais également celui effectivement autorisé par les lois de finances successives de 2009 à 2012 (43,12 milliards). C’est 23 % de plus par rapport aux crédits ouverts au cours des quatre années précédentes pour l’éducation, bien plus que les « 5 % par an préconisées par la CNEF pour la mise en œuvre de la réforme de ce secteur, » rappelle la Cour des comptes.

Tout n’a pas été utilisé. Pour ce qui est du « matériel et des dépenses diverses » 76,7% des crédits ouverts ont été engagés, et dans des proportions similaires (75,9%) ont également été émis. Mais en termes d’investissement, le taux d’engagement sur les crédits chutent à 54,4% et le taux d’émission à 10,2 %. C’est « largement inférieur au taux d’exécution des budgets sectoriels constatés au niveau du Budget général de l’État durant la même période [entre 97 et 67%, NDLR], » relève la Cour des comptes qui qualifie de « médiocres, voire faibles » les performances de gestion budgétaire dans l’éducation qui incombent à la fois au ministère et aux académies régionales.

La Cour des comptes l’explique par « l’absence d’un cadrage budgétaire clair du PU », « des capacités managériales insuffisantes au niveau de la gestion comptable et financière des projets », « la non-individualisation du budget réservé au PU » et « l’absence d’une véritable synchronisation des opérations avec les AREF et le ministère de l’Économie et des Finances ».

La Cour des comptes décrit aussi une « programmation dans l’urgence », « disproportionnée par rapport aux capacités des AREF », qui se sont « précipitées pour lancer plusieurs actions en l’absence d’un diagnostic préalable, d’une maitrise des besoins et de la disponibilité des moyens humains et logistiques nécessaires ».

Plus d’élèves, plus d’établissements, mais…

« Concernant les progrès réalisés en matière de généralisation de la scolarité et d’amélioration de ses conditions, le système éducatif a connu, sur le plan quantitatif, une progression significative, » relève la Cour des comptes. En effet, les effectifs des élèves sont passés de 5,7 millions en 2009 à 6 millions en 2017, pendant que le nombre des établissements scolaires a augmenté de 9.397 à 10.756. Toutefois, le système éducatif souffre de plusieurs dysfonctionnements liés, notamment, à :

L’insuffisance de la capacité d’accueil dans la mesure où les réalisations relatives à l’extension de l’offre scolaire demeurent insuffisantes. Ainsi, sur un objectif de 1164 établissements scolaires prévus par le PU, les réalisations n’ont été que de 286 établissements, soit 24,6 %. Quant à l’objectif de l’extension des établissements existants prévu pour 7052 nouvelles salles, les réalisations n’ont pas dépassé 4062 salles, soit 57,6 %.

La non-couverture de l’ensemble des communes rurales par des collèges. L’objectif de couvrir toutes les communes rurales par des collèges dotés d’internats a été fixé par la CNEF et repris dans le PU. Toutefois, cette couverture n’a pas été atteinte. Elle est passée de 52,8 % en 2008/2009 à 66,5 % en 2016/2017.

L’exploitation des établissements scolaires en état de dégradation. Malgré les moyens dédiés à la réhabilitation et à l’aménagement des établissements scolaires, le système éducatif continue à exploiter, au titre de l’année scolaire 2016/2017, 6437 établissements sans réseaux d’assainissement, 3 192 établissements non raccordés au réseau d’eau potable et 681 établissements non branchés au réseau d’électricité, ainsi que 9 365 salles délabrées.

La non-généralisation de l’enseignement préscolaire. En matière d’introduction du préscolaire dans les écoles, le PU a fixé un objectif de 80 % en 2012 et la généralisation en 2015. Toutefois, cet objectif est loin d’être atteint. Au titre de l’année scolaire 2016/2017, sur les 7 667 écoles primaires, seulement 24 % dispensent l’enseignement préscolaire.

La qualité empire

Pour ce qui est de l’amélioration de la qualité du système éducatif, la Cour des comptes pointe qu’« un certain nombre d’indicateurs confirment la non-atteinte des objectifs visés, notamment » et ce « malgré le budget dédié à l’amélioration des conditions de scolarité ». La Cour des comptes pointe notamment :

l’aggravation de la situation de l’encombrement, qui a enregistré, respectivement pour le cycle primaire, collégial et qualifiant, des taux de 21,2 %, 42 % et 22,3 % au titre de l’année scolaire 2016/2017 contre 7,3 %, 16,5 % et 26,1 % en 2008. La situation du cycle collégial est la plus préoccupante en la matière ;

le recours à des enseignants contractuels : les recrutements effectifs des enseignants durant la période du PU ont dépassé les besoins initiaux arrêtés par les services du MEN, montrant de ce fait que le déficit en enseignants est une donnée structurelle du système éducatif. Pour combler ce déficit, le système éducatif a procédé au recrutement de 54 927 enseignants par voie de contrat, durant la période 2016 – 2018. L’affectation de ces derniers directement aux classes d’enseignement, sans formation pédagogique requise, remet en question la qualité des enseignements dispensés.

la non-mise en œuvre de l’ensemble des projets du pôle « pédagogie ». Le PU a prévu un budget d’environ 12 milliards de DH pour la mise en œuvre de dix projets inscrits dans le pôle pédagogique. Toutefois, malgré l’importance des dépenses effectuées, certaines composantes de ce pôle portant sur la réforme des curricula, la mise en place d’un système d’information et d’orientation efficient, le renforcement de la maitrise des langues, et l’amélioration du dispositif pédagogique n’ont pas été réalisés. Par ailleurs, la mise en œuvre de certains projets, bien qu’entamée, a été suspendue faute d’une vision intégrée de la réforme souhaitée.

Les élèves désertent à nouveau

Le PU prévoyait des mesures d’appui social pour faciliter l’accès à l’enseignement obligatoire une réalité et réduire l’abandon scolaire. Pour la Cour des comptes, « la mise en œuvre des mesures d’appui social destinées aux élèves issus de milieux défavorisés a permis une amélioration de ces indicateurs au titre de l’année scolaire 2016/2017 ». Du moins quantitative. Les mesures ont en effet touché :

– 1 million de bénéficiaires des cantines ;

- 113 632 bénéficiaires de l’hébergement et de la restauration dans les internats ;

– 138 995 bénéficiaires du transport scolaire ;

– 859 975 bénéficiaires de programme Tayssir ;

– 3,8 millions de bénéficiaires de fournitures scolaires.

Mais, relève la Cour des comptes, « les mesures entreprises n’ont pas produit l’impact souhaité sur l’amélioration des conditions de scolarité et la rétention des élèves ». Les insuffisances de ces mesures sont liées à la défaillance de la planification, aux conditions d’hébergement et de restauration dans les internats et les cantines, à l’absence d’une stratégie intégrée en matière d’appui social ciblant les élèves issus des familles démunies, au système de ciblage des bénéficiaires, ainsi qu’à l’insuffisance des moyens alloués.

Aussi, l’abandon scolaire « reste un véritable défi que notre système éducatif doit relever pour améliorer son rendement interne » estime la Cour des comptes. En effet, le taux d’abandon scolaire avait « nettement diminué entre 2008 et 2012, mais il a de nouveau enregistré une augmentation en 2017 pour dépasser les 279 000 élèves ».