Indignation et mobilisation après l’arrestation de deux musiciens de rue

L’arrestation de Badr et Mehdi, deux musiciens qui se produisaient au centre-ville de Casablanca, cristallise une confrontation longue de plusieurs mois entre les musiciens de rue d’un côté, les autorités locales et les riverains de l’autre. Présentés le 15 novembre devant le substitut du procureur du roi, ils sont poursuivis pour "outrages et violences à fonctionnaire public".

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Sit-in contre l'interdiction des artistes se produisant dans l'espace public. © DR

Après l’arrestation de deux musiciens de rue à Casablanca, la mobilisation s’organise sur la toile et du côté de la société civile. Poursuivis pour «outrage et violences à l’encontre de fonctionnaires publics durant l’exercice de leur fonction », explique Youssef Chehbi, avocat de Mehdi et Badr, les deux musiciens peuvent compter depuis le 13 novembre sur la solidarité des internautes qui ont lancé le 19 novembre le hashtag de soutien #free_Lfen.

« L’art de rue n’est pas une nuisance sonore… Emprisonner des jeunes parce qu’ils jouent de la musique dans la rue, c’est une nuisance sociale », écrit une internaute sur Facebook. Un autre abonde dans le même sens sur Twitter : « Avec de jeunes artistes en prison pour avoir voulu célébrer l’art et la culture, toute la schizophrénie marocaine dans une seule image. C’est de l’anarchie ! ». Les supporters du Raja ont également réagi via leur compte Twitter en écrivant : « Le street art n’est pas un crime ». De son côté l’association Racines a alerté plusieurs ONG culturelles et des droits de l’homme, dont Freemuse une association danoise de défense de la liberté d’expression artistique ou encore Human Rights Watch.

Les deux artistes ont été arrêtés le 13 novembre après que des agents d’autorité aient saisi leur matériel et leurs sonos au motif que leur musique portait atteinte aux habitants et commerçants du quartier. Une vidéo témoigne d’ailleurs d’une partie de l’accrochage entre les forces de l’ordre et les musiciens. « On vous a parlé gentiment, on vous a dit n’utilisez pas les sonos et pourquoi vouloir vous battre maintenant ? », lance un agent d’autorité dans une vidéo publiée le jour même de l’altercation par l’ANP Presse.

« Il (un des agents d’autorité, ndlr) a tiré violemment notre matériel, il nous a violentés et maintenant il fait semblant de s’évanouir », rétorque un des musiciens du groupe (qui n’a pas été arrêté, ndlr). « La musique est quelque chose d’important, trouvez-nous une structure et on va partir (…) la loi n’a jamais dit que la musique était interdite », insiste Badr qui est dorénavant poursuivi et en état d’arrestation.

Selon des procès-verbaux que TelQuel a pu consulter, les autorités locales ont décidé de porter plainte contre les deux artistes, sous motif d' »usage de la violence à l’encontre de trois agents d’autorités ». L’un d’eux a été transporté aux urgences de l’hôpital Moulay Youssef, souffrant d’un « mal au niveau de la cuisse », mais en est sorti sans certificat médical précisé. Badr et Mehdi ont quant à eux réfuté « avoir violenté les agents d’autorités », mais ont toutefois « avoué les faits qui leur sont reprochés » indiquent les procès-verbaux. Présentés le 15 novembre devant le substitut du procureur du roi Abderrahim El Fayd, ils sont poursuivis en vertu de l’article 263 et 267 du Code pénal.

Une opposition qui dure

Ces arrestations ponctuent un bras de fer long, de plusieurs mois, entre les musiciens d’un côté, les riverains et les autorités locales de l’autre. Ces dernières ont demandé, dans un premier temps, à l’ensemble des musiciens occupant la place des Nations Unies de baisser le son de leurs sonos et de mettre fin à leur performance à 20 heures plutôt qu’à 23 heures indique un document greffé au dossier. Mais, une demande qui n’aurait pas été « respectée » par les artistes, précise la même source.

Avant l’intervention des autorités, ce sont des riverains et des commerçants du quartier qui se seraient plaints de la « nuisance sonore » causée par les musiciens. Trois réclamations ont été déposées en ce sens, dont deux en ligne. La première a été adressée à la préfecture de l’arrondissement de Casablanca-Anfa. Non signée, elle affirme que les performances des musiciens de rue sont à l’origine d’un « mécontentement » des habitants et commerçants du quartier. « Ce boucan dérange les habitants et crée une atmosphère anxiogène qui ne permet pas aux commerçants de travailler et pollue la vie des riverains », indique le document.

Cette première plainte a été suivie de deux réclamations numériques déposées le 8 février et le 20 février dernier. Les autorités locales ont d’ailleurs interdits aux musiciens de se produire au niveau de la place des Nations Unies en mars 2017, mais la trêve ne fut que de courte durée.