Ce qu'il faut retenir de la première livraison des Football Leaks

Double-jeu de Gianni Infatino en faveur de nouveaux riches du foot européen, implication de Sarkozy, un cartel de grands clubs mené par le Real Madrid et le Bayern Munich... En une soirée, les nouvelles révélations des Football Leaks ont ébranlé le monde du foot-business en Europe.

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Nasser El Khelaïfi, Gianni Infantino, Nicolas Sarkozy et Khaldoon Al Mubarak. Crédit: Montage TelQuel

Vendredi 2 novembre au soir, quinze médias européens, regroupés dans un réseau appelé European Investigative Collaborations (EIC), dévoilent la plus grande fuite de l’histoire du journalisme. 70 millions de documents inédits – soit 3,4 téraoctets de données – traités pendant huit mois par 80 journalistes originaires de onze pays du Vieux continent. Les révélations éclaboussent le monde du foot-business et ont trait « à la fraude, au racisme, au dopage, à l’achat de matches, à l’exploitation des mineurs, à la corruption étatique, à l’espionnage, à l’impunité des dirigeants et des clubs« , énumère le site d’actualité français Mediapart.fr.

Cette fuite a un nom : les Football Leaks. En réalité, il s’agit d’une plateforme anonyme de whistleblowers (lanceurs d’alertes) nostalgiques du football populaire et résolument anti-foot-business. En 2016, les Football Leaks avaient mis au jour les mécanismes d’évasion fiscale mis en place dans l’univers du football, notamment pour le Portugais Cristiano Ronaldo, accusations soldées par un accord à l’amiable de « CR7 » avec la justice espagnole, contre un versement de 16,7 millions d’euros.

Infantino et Sarkozy, conseillers secrets du PSG et de Manchester City ?

Les premières révélations de cette « saison 2 » des Football Leaks visent essentiellement l’UEFA, l’instance de gestion du football européen. À travers ses deux anciens patrons, Michel Platini et Gianni Infatino – élu en 2016 à la tête de la FIFA -, l’UEFA « a en connaissance de cause aidé les clubs à maquiller leurs propres irrégularités pour des « raisons politiques »« , affirme Mediapart. Ces deux clubs, ce sont Manchester City et le Paris Saint-Germain, nouveaux riches du ballon rond. Leur point commun : ils sont possédés par deux Etats du Golfe, les Émirats arabes unis pour le premier, le Qatar pour le second.

Les deux clubs sont accusés d’avoir contourné le fair-play financier (FPF), instauré par Michel Platini en 2010. Le FPF interdit à un club engagé en compétition européenne de dépenser plus que ce qu’il ne gagne en propre. Les sanctions peuvent aller du simple blâme jusqu’à l’exclusion des tournois les plus prestigieux sur la scène européenne, l’Europa League et la Champions league. Or, d’après les Football Leaks, « les deux pays ont ainsi injecté ces sept dernières années la somme mirifique de 4,5 milliards d’euros, essentiellement de manière frauduleuse, pour accroître les budgets des clubs qu’ils détiennent« .

En 2014, Infantino, alors secrétaire général de l’UEFA,  aurait « négocié directement un accord avec Manchester City, en court-circuitant (…) l’organe d’enquête interne théoriquement indépendant« . Il aurait ainsi envoyé un mail aux dirigeants de Manchester City avec « un beau cadeau : 20 millions d’amendes fermes au lieu de 60. Les 40 millions restants ne seront dus que si le club ne revient pas à l’équilibre financier à l’avenir« . Un mail, dans lequel serait en copie Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française et « fervent supporter du PSG, habitué du Parc des Princes et grand ami du Qatar« , mais qui aurait « aussi aidé, dans le plus grand secret, son rival, voisin et ennemi d’Abou Dhabi » dans ses démêlés avec le FPF.

« Transparence la plus complète »

L’enquête de Football Leaks revient, entre autres, sur un contrat « douteux », de « 1,075 milliard d’euros promis sur cinq ans au PSG par l’Office du tourisme du Qatar (QTA), soit 215 millions d’euros par an ». Mais, « deux cabinets d’audit missionnés par l’UEFA ont valorisé ce contrat à… 123.000 euros par an pour l’un, et 2,8 millions d’euros par an pour l’autre« , soit « entre 77 et 1.750 fois moins que le montant affiché« . Et la décote a finalement été ramenée par l’UEFA à 100 millions d’euros. Le PSG a en définitive, « eu le même traitement, très accommodant« , insiste Mediapart. Le club parisien a lui aussi écopé d’une amende de 20 millions d’euros. Aujourd’hui, le PSG est à nouveau ciblé par la FPF après les achats à l’été 2017 de Neymar et Mbappé pour plus de 400 millions euros.

Interrogée par Mediapart, l’attachée de presse de l’ancien président de la République a assuré qu' »en sa qualité d’avocat, Nicolas Sarkozy n’a eu aucune activité de conseil auprès des personnes que vous mentionnez« . « Il n’y a eu aucun accord secret avec l’UEFA, tout a été fait dans la transparence la plus complète« , a commenté pour l’AFP Jean-Claude Blanc, directeur général délégué du PSG. Michel Platini, président déchu de l’UEFA, a répondu, dans une déclaration transmise à l’AFP, qu’il a « toujours affirmé que le fair-play financier n’avait pas vocation à tuer ou à asphyxier financièrement les clubs« , mais qu’il a toujours « publiquement » souhaité « que des sanctions puissent être prononcées« .

« Un cartel des grands clubs »

Un projet de Super Ligue privée, à l’image de la NBA, qui regrouperait quelques grands clubs européens, serait toujours d’actualité selon des documents publiés le 3 novembre dans les Football Leaks. Les journalistes de Der Spiegel disent s’appuyer sur un mail envoyé « dans la nuit du 22 octobre 2018 » à « l’assistante de Florentino Pérez, président du Real Madrid, et à ses deux adjoints« , émanant « de Key Capital Partners, une firme financière basée à Madrid qui travaille depuis longtemps avec le Real » pour soutenir cette idée.

Ce document serait un « accord préliminaire contraignant » de treize pages visant à créer une Super Ligue européenne, à partir de 2021, pour une durée de vingt ans. La compétition rassemblerait seize équipes, « d’un côté, 11 fondateurs : Bayern Munich, Real Madrid, Barcelone, Juventus, PSG, Milan AC, Manchester United, Manchester City, Chelsea, Liverpool et Arsenal« , « de l’autre, 5 invités initiaux : Atlético Madrid, AS Roma, Inter Milan, Borussia Dortmund et Marseille« .

L’accord en question stipulerait que la compétition serait gérée par une société espagnole, contrôlée exclusivement par les « fondateurs ». Aussi, ce document indiquerait « que la signature des seize clubs est prévue en novembre 2018« . « Mais on ignore où en est le projet. S’agit-il d’une simple proposition émanant d’investisseurs?  Le club madrilène a-t-il déjà évoqué cette nouvelle Super Ligue avec les quinze autres clubs figurant dans le document ? », écrivent les journalistes des Football Leaks.

« Je suis irrité par cet article, il est connu depuis longtemps que plusieurs clubs européens avaient une demande pour une Super Ligue. Le fait est qu’aucun club européen n’est revenu sur le sujet », a assuré sur la chaîne britannique Sky Karl-Heinz Rummenigge, président du directoire du Bayern Munich et qui a aussi été le président de l’Association européenne des clubs (ECA). « Nous (au Bayern) sommes totalement fidèles à notre affiliation à la Bundesliga et aux compétitions de l’UEFA, nous n’avons jamais remis cela en question« , assure encore l’ex-star du football mondial et dirigeant du club munichois.

Même son de cloche du côté de Hans-Joachim Watzke, directeur exécutif du Borussia Dortmund : « J’ai dit clairement que le Borussia Dortmund ne quitterait la planète de la Bundesliga pour aucune autre compétition. La Bundesliga est un bien culturel allemand. Nous nous sentons parfaitement bien dans la Bundesliga et nous sommes heureux si les autres clubs de Bundesliga voient les choses comme nous« .

Avec AFP

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