La grève nationale des médecins privés massivement suivie

La grève nationale du 18 octobre, rassemblant pour la première fois six syndicats des médecins du secteur privé, a été suivie « entre 80% et 100% dans certaines villes » selon le président du Syndicat national des médecins du secteur libéral.

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Crédit : Herreneck/Fotolia

Les revendications sont anciennes, mais la forme est nouvelle : c’est la première fois qu’une grève nationale des médecins privés est coordonnée par six syndicats : le Collège syndical des médecins spécialistes, l’Association nationale des cliniques privées, le Collège national des médecins généralistes, le Syndicat national des médecins généralistes, la Coordination nationale des médecins généralistes et le Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL).

Le président du SNMSL, le docteur Dassouli, s’estime très satisfait de la participation, qu’il chiffre à « 100% dans certaines villes comme Agadir, Tétouan, Oujda, Benni Mellal et Berkane et plus de 80% à Casablanca, Rabat, Marrakech et Tanger. On ne s’attendait pas à ce résultat, si cela a marché ce n’est pas grâce à nous, ce sont tous les confrères qui en ont marre », explique-t-il. Le jeudi 18 octobre, les cliniques et cabinets privés étaient donc majoritairement fermés, « seul le service d’urgence était assuré via un système d’astreinte et de relais », poursuit le responsable.

Le docteur Lazrak, président de l’Association des gynécologues privés, confirme que la grève a été suivie par la quasi-totalité des gynécologues et cliniques obstétricales à travers le pays. Le docteur Jafar Heikel, médecin libéral et par ailleurs membre du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Casablanca, déclare quant à lui (précisant qu’il s’exprime uniquement à titre privé) : « Je crois que c’est la première fois dans ce que j’ai observé au cours de mes 20 années d’exercice de la médecine, une grève du secteur privé aussi massivement suivie ». Il était lui-même gréviste.

Une grève soutenue par le secteur public

La grève nationale s’est décidée le 20 septembre dernier, lors d’une réunion en assemblée générale des six syndicats. « Ce ne sont pas les bureaux des associations qui ont décidé de la grève, mais l’assistance. Les médecins nous ont interpellés en nous disant ‘on en a marre des communiqués de presse, maintenant il faut passer à l’action, on veut la grève’ ».

Plusieurs centrales syndicales, via leur branche santé représentant le secteur public, se sont associées au mouvement : la CDT, la FDT, l’UGTM, l’UNTM, l’ODT et le syndicat universitaire SMASUP. Mustapha Chennaoui, député pour la Fédération de Gauche Démocratique et syndicaliste CDT, assure les médecins du secteur libéral de son « soutien inconditionnel. Ils travaillent en complémentarité avec le secteur public, ils sont victimes de nombreuses injustices et nous demandons à l’Etat de prendre ses responsabilités », déclare-t-il à TelQuel.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) n’a quant à lui pas pris part au mouvement, ce que regrette le docteur Dassouli : « Quand le secteur public domine au niveau du CNOM, ce qui est le cas actuellement, il ne bouge pas ». L’une des revendications des syndicats est de modifier la loi 08-12 relative à l’Ordre national des médecins, afin d’abolir le système de « vote universel », au profit d’un vote sectoriel : « Il faut permettre au secteur privé d’avoir ses propres représentants au niveau du Conseil de l’Ordre », estime le médecin. Le docteur Heikel, chargé de communication de l’Ordre des médecins de Casablanca, tient à préciser que « l’Ordre des médecins n’est pas un mouvement syndical, c’est une institution officielle. Ce n’est pas sa mission de se prononcer sur un mouvement syndical, sa mission est de réguler l’exercice de la médecine au Maroc ».

Doléances fiscales, protection sociale…

Pour le docteur Dassouli, « il y a un cumul d’injustices vécues par les médecins privés. D’abord sur la fiscalité, il est inconcevable qu’un service social paye plus d’impôts qu’une société commerciale à but lucratif. Nous demandons un alignement du secteur médical privé sur le régime des SARL, comme c’est le cas en France, en Belgique ».

Mustapha Chennaoui soutient ces doléances : « Il faut une équité sur le plan fiscal. On considère les cabinets et cliniques parfois comme des entreprises, parfois comme une profession libérale, le régime n’est pas clair. Le médecin, qu’il soit public ou privé, assure un service public et cela doit être pris en compte dans la fiscalité », estime-t-il.

Le député s’insurge aussi contre le fait « qu’ils n’ont aucune forme de protection sociale, ni assurance maladie ni retraite ». L’assurance maladie pour les professionnels de la santé et professions libérales est une revendication ancienne : « On milite pour cela depuis 16 ans, il y a eu une loi, mais on se demande quand il va y avoir une application réelle », explique le docteur Dassouli.

L’une des principales doléances est également la révision de la Tarification nationale de référence : « Les tarifs de remboursement datent de 2006 alors que les techniques ont changé, le consommable a augmenté et c’est le patient qui doit payer de sa poche. Cela nous confronte avec les patients, ils ne comprennent pas pourquoi ils payent si cher. Cela nous met mal à l’aise », poursuit le médecin.

Lui et ses collègues revendiquent également la dépénalisation de la faute professionnelle des médecins : « Nous souhaitons que les poursuites judiciaires en cas de faute professionnelle se passent au civil et non plus au pénal », poursuit le président du SNMSL.

Le ministère de la Santé « impuissant » ?

Le docteur Dassouli précise que deux réunions entre le ministère de la Santé et les représentants syndicaux ont précédé la grève. « Mais il n’a rien à nous offrir, il ne peut pas prendre de décisions seul », considère-t-il. « On ne lui en veut pas, mais il y a un problème de pouvoir de décision. Cela se joue certainement au niveau de la primature ».

C’est la raison pour laquelle les six syndicats des médecins du secteur libéral, accompagnés des centrales syndicales, ont adressé une lettre au Chef du gouvernement, en plus de celle envoyée au ministère de la Santé.

Pour le docteur Heikel, « le ministère de la Santé n’a pas toujours toutes les réponses à toutes les questions. Le chef de gouvernement est intéressé, d’autres départements ministériels aussi. Mais si le ministre de la Santé dialogue encore plus avec les syndicats et le Conseil de l’Ordre, sur une bonne partie des dossiers et notamment la Tarification nationale de référence, les choses pourraient être réglées ».

Contacté par TelQuel, le ministère de la Santé n’a pour l’heure pas encore réagi.

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