Déraillement du train à Bouknadel : L’accident aurait-il pu être évité ?

Le 16 octobre, un train circulant entre Rabat et Kénitra a déraillé, faisant au moins 7 morts et 125 blessés. Sur les réseaux sociaux, voyageurs et travailleurs des chemins de fer assurent avoir prévenu l’ONCF de la dangerosité de la situation.

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AFP

Le déraillement mardi 16 octobre d’un train reliant Rabat et Kénitra, qui a fait 7 morts et 125 blessés, aurait-il pu être évité ? Après que l’Office national des chemins de fer (ONCF) a reconnu avoir été alerté par des voyageurs de perturbations à proximité de Bouknadel, avant l’accident, la question est posée. Plusieurs témoignages postés notamment sur la page officielle de l’office, après l’accident, affirment en effet que l’ONCF a été avisé du danger sur ce tronçon.

« Vous savez que le personnel de l’ONCF était au courant d’un problème au niveau des rails du train. (…)  J’ai pris ce matin le train de 08h30 de Rabat-Ville vers Kenitra et en arrivant à Bouknadal, il a commencé à dérailler et s’incliner sérieusement. Tout le monde avait peur et on a cru que c’était notre fin. Dieu merci, on a échappé au pire. Lorsqu’on est arrivé on fait des réclamations, on a demandé au chauffeur de nous expliquer ce qui s’est passé mais comme toujours aucune réponse », soutient un des témoignages sur Facebook. « Vous étiez au courant du problème dès 9H. Ne jouez pas les idiots. J’étais à bord du train de 8h46 Salé-Tanger qui était sur le point de dérailler totalement (…) Vous deviez annuler tous les voyages après cet incident », affirme notamment une internaute dont le témoignage a été largement partagé.

Jointe par TelQuel, cette dernière, étudiante en quatrième année à l’Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) de Kénitra, en dit plus. « Je fais la navette de Rabat ou Salé vers Kénitra quatre jour par semaines, des fois cinq. Ç’est ma 4eme année de navette. Mardi, j’ai pris le train de 8h46 de Salé vers Tanger », nous raconte Jihane Tayazime, 21 ans, affirmant avoir « senti le danger » à la sortie de la gare de Bouknadel.

« J’étais assise avec deux amis dans le premier wagon de deuxième classe. J’ai senti le train dévier environ 30 ou 40 secondes de l’extrême droite à l’extrême gauche, puis vers l’extrême droite encore. Il a ensuite repris son équilibre. Les gens à bord ont crié. Moi, je n’ai réagi qu’au moment où j’ai su pour le train suivant », poursuit-elle. Si plusieurs usagers ont affirmé avoir déposé des réclamations dans ce sens auprès de l’ONCF, Jihane, elle s’étonne du fait que « les voyageurs n’ont pas été alertés (du danger) et qu’ils sont montés à bord du même train. Ce qui m’a paru insouciant ».

De son côté, l’ONCF a affirmé avoir été alerté par certains de ses passagers quant à des perturbations au niveau de la gare de Sidi Taibi, située à 10 kilomètres du lieu de l’accident de Bouknadel. L’office a par conséquent alerté les responsables de la gare de Kénitra qui ont mené sur place une inspection des infrastructures et des installations dans cette zone, a-t-on ajouté. Les ingénieurs de l’ONCF n’ont toutefois pas constaté « de défauts ou de dégâts significatifs » à Sidi Taibi, affirme la compagnie ferroviaire.

L’excès de vitesse en cause ?

Il n’y a pas que les témoignages des voyageurs qui interrogent sur les raisons de l’accident. Des extraits audio d’une conversation Whatsapp, présentée comme étant celle de travailleurs de l’office, laisse entendre que l’accident aurait pu être évité. Les échanges, authentifiés par des sources internes à l’ONCF contactées par Le Desk, expliquent que des problèmes techniques avait été signalées sur le tronçon Salé-Kénitra, au niveau de la gare de Bouknadel, des jours avant l’accident.

Selon eux, l’absence d’un panneau de signalisation de la vitesse, qui ne doit pas dépasser les 60 kilomètres/heure à l’endroit où l’accident a eu lieu, aurait été signalée dès le vendredi 12 octobre. Les intervenants parlent aussi d’un défaut d’aiguillage du TNR (train navette rapide) qui aurait aussi été rapporté à la direction de l’office, sans que celle-ci ne le prenne au sérieux.

حوار بين عمال ONCF يكشف أن مسؤولي الشركة كانو على علم بالخلل الدي يوجد في تلك السكة الحديدية و يغامرون بحياة المواطنين.#ربط_المسؤولية_بالمحاسبة#محمد_ربيع_الخليع#حادثة_انقلاب_عربة_قطار#المكتب_الوطني_للسكك_الحديدية#قطار_الموت#باراكا

Posted by Saâd Bougarn on Wednesday, October 17, 2018

Pour Lakbir Kamari, patron de la société KGE chargée de la maintenance des lignes ferroviaires caténaires, les explications de ces travailleurs sont « irresponsables ». « Tous les panneaux de signalisations sont là où ils doivent être. Un panneau ne coûte rien, je ne vois pas pourquoi il n’aurait pas été installé. Il y a des équipes qui ne s’occupent que de ce volet et des règlements à respecter », nous affirme-t-il.

Selon cet ancien ingénieur de l’ONCF, qui est dans le secteur ferroviaire depuis 52 ans, c’est l’excès de vitesse qui serait en cause. « Je me suis déplacé sur les lieux de l’accident. Apparemment, la voie ferrée est impeccable. On a vérifié les roues qui sont impeccables aussi, aucun problème non plus au niveau des rames. Reste, selon moi, une seule possibilité, celle de l’excès de vitesse », estime Lakbir Kamari, qui a été interrogé par Medias24 sur place.

« L’incident a débuté à la sortie de la gare de Bouknadel. Selon mon avis personnel, la vitesse n’a pas été respectée. Le train circule normalement à 160 km/heure, mais sur ce tronçon, le train devait circuler à 60 km. Selon moi, la première voiture s’est détachée du train et a roulé comme ça sur un kilomètre à peu près. Elle a ensuite dévié sur les bords de la voie et s’est heurtée à plusieurs obstacles sur son chemin. L’excès de vitesse a fait que l’aiguille s’est cassée », explique-t-il, soulignant que l’enquête ouverte permettra de donner plus de détails sur les raisons exactes derrière l’accident.

Appel à la vigilance 

Jointe par TelQuel, une source au sein de l’ONCF insiste sur l’importance de la vigilance face aux différents messages qui circulent sur les réseaux sociaux. « Dans ce genre de situation, lorsqu’il y a un accident de cette envergure, la place est là pour les rumeurs et les spéculations. N’importe qui peut se porter en spécialiste ou expert de la question. Ça part dans tous les sens sur les réseaux sociaux. De notre côté, on essaie de faire en sorte de répondre de manière claire et factuelle aux interrogations qui nous sont posées », explique-t-on.

« Pour l’instant, la priorité c’est que les blessés puissent se rétablir le plus rapidement possible, que le bilan ne s’alourdisse pas et que le trafic redevienne normal pour pouvoir faciliter la mobilité de nos clients », ajoute la même source, assurant que « tout témoignage fourni sera pris en compte dans le cadre de l’enquête, comme précisé dans le communiqué du procureur du roi ».

Un numéro vert (0800 00 22 99) a, par ailleurs, été mis à la disposition des familles des victimes et des blessés par l’ONCF. Ces dernières seront indemnisées au titre de la responsabilité civile de l’ONCF couverte par une assurance, a fait savoir la compagnie.

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