Comprendre la fermeture des douanes commerciales à Melilia

Depuis la nuit du 31 juillet, sur décision des douanes marocaines, plus aucun échange commercial n’est possible entre Melilia et Beni Ansar. Le président de la ville espagnole crie à l'asphyxie, les autorités marocaines se taisent. Le point.

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Dans un document révélé par El Confidencial, l’administration des douanes marocaines a annoncé la fermeture des douanes de Beni Ansar. Les douanes marocaines ont plus exactement fait savoir que « seules les marchandises commerciales qui débarqueront au port [de Beni Ansar] feront l’objet de dédouanement à l’importation ». Or, la seule voie de transit terrestre reliant le Maroc à Melilia passe par Beni Ansar. Le « préside occupé » – selon les éléments de langage officiels du Maroc – se retrouve, de fait, isolé.

« Il s’agit d’une atteinte à la souveraineté espagnole », déclare Juan José Imbroda, président de Melilia. Depuis la fermeture par les autorités marocaines des frontières commerciales au niveau de Beni Ansar, « la situation est intenable », a indiqué le dirigeant de la ville autonome lors d’une conférence de presse tenue le 14 août. Celui-ci a qualifié la décision marocaine d’ « acte hostile, frontalement opposé aux accords entre les deux pays, établis depuis un demi-siècle ».

Une « décision unilatérale » de la part du Maroc, poursuit-il, « sans aucune consultation du gouvernement espagnol », et considérée comme « un affront » pour « Melilia et l’Espagne ». La décision marocaine serait déjà à « l’origine d’une perte de 100 millions d’euros », estime Juan José Imbroda.

Silence général

Le gouvernement espagnol, via un communiqué relayé par EFE, et publié sur le site finanzas.com, a annoncé la tenue d’une réunion de responsables des ministères des Finances et des Affaires étrangères, prévue pour le 29 août à Madrid. L’objectif de cette rencontre : « Analyser la fermeture des douanes décrétée par le Maroc ».

Pedro Sanchez « ne s’est toujours pas prononcé autour du contentieux entourant les douanes de Melilia et du Maroc », s’indigne cependant Pablo Casado, président du Parti populaire espagnol. Le mutisme du chef de gouvernement espagnol a fait l’objet de critiques de la part du président du principal parti d’opposition, en visite à Melilia le 21 août. Un constat partagé par le président de Melilia qui a qualifié l’administration de Pedro Sanchez de « faible à l’intérieur et à l’extérieur du Pays ».

Le silence est partagé par les autorités marocaines. Contacté par TelQuel, le département de communication de l’administration des douanes affirme ne pas être au courant de cette décision. Le ministère des Affaires étrangères n’a pas non plus communiqué sur ce sujet. Idem du côté du porte-parole du gouvernement, injoignable depuis le début de cette crise.

La question du pourquoi reste donc toujours en suspens. Selon notre source proche des douanes, il s’agirait « d’un nouveau moyen de pression sur le nouveau gouvernement espagnol, notamment vis-à-vis de l’aide à fournir afin de contenir la vague migratoire, mais aussi d’autres sujets politiques ».Par  la décision d’exclure tout dédouanement venant par voie terrestre, « Rabat veut renforcer le port » de Beni Ansar, selon El Confidencial. Impossible d’exclure « sa signification politique importante » commente le média espagnol.

Frustration ou menaces ?

Le président de l’enclave espagnole déclare que la ville a toujours « collaboré loyalement avec le Maroc ». Plusieurs « milliers de marocains vivent grâce à Melilia et ce n’est pas pour être récompensé de cette façon », déclare Juan José Imbroda. Selon lui, la ville « fournit des soins à des milliers de Marocains dispensés à l’hôpital régional » et cela « gratuitement », y compris « des centaines de femmes qui traversent la frontière afin de donner naissance à Melilia ».

Le président de la ville rappelle aussi que près de « 5.000 travailleurs frontaliers marocains sont inscrits à la sécurité sociale » et près de « 20.000 Marocains » passent quotidiennement la frontière dans le cadre du « commerce atypique », ou autrement dit la contrebande.

Des milliers de Marocains vivent effectivement de ce commerce « atypique »,  qui représente en fait « une perte sèche pour le Maroc », précise notre source. « Les autorités font semblant de ne pas voir, mais il s’agit avant tout de millions de dirhams non prélevés à la douane, » poursuit-elle.

En constante progression, la population d’origine marocaine représente actuellement près de la moitié des habitants de Melilia, et soulève, par son nombre croissant, les craintes autour de l’hispanité de l’enclave. Dans un rapport présenté au ministère espagnol de la Défense en 2014, l’Institut royal espagnol Elcano alerte sur ce « processus de marocanisation » qui pourrait aboutir à long terme à un soutien à la demande de souveraineté du Maroc sur la ville.

Dans son ouvrage Espagne-Maroc, un voisinage prudent (éd. Slaïki, 2015, en arabe), le journaliste Nabil Driouch rapporte une anecdote savoureuse qui témoigne de la constance du Maroc à revendiquer sa souveraineté sur Melilia, et sa cousine plus à l’ouest, Sebta.

Le 5 juin 2003, Driss Jettou, alors Premier ministre, se rend chez José Maria Aznar, dans sa ferme de Quintos de Mora, dans la province de Tolède. Les deux hommes se baladent dans les prés et parlent sans langue de bois. Question d’Aznar : « Vous demandez sérieusement la souveraineté de Sebta et Melilia ?». Réponse de Jettou : « Nous ne cesserons pas de revendiquer la souveraineté de Sebta et Melilia. Cela ne nous dérange aucunement que des Espagnols aient des terrains au Maroc. Nous avons d’ailleurs donné à l’entreprise Fadesa des terrains de 700 hectares, l’équivalent de Sebta et Melilia réunies ! Ce qui nous contrarie en revanche, c’est de voir les symboles de la souveraineté marocaine absents des deux villes, de constater la présence d’éléments des forces de l’ordre et de la douane espagnols et qu’il faille un passeport ou un visa pour y entrer ».

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