Séisme en Indonésie : L'enfer de trois survivants marocains sur une île paradisiaque

Partis passer leurs vacances d’été sur les plages paradisiaques d’Indonésie, leur voyage a viré en l’espace de quelques secondes au cauchemar. Charif, 25 ans, Nizar, 34 ans et Zakaria, 32 ans, nous racontent comment ils ont survécu au tremblement de terre qui a secoué une partie de l’archipel, faisant au moins 319 morts et des centaines de blessés selon un nouveau bilan. Témoignages en immersion.

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Évacuation à Gili Trawangan. Crédit: AFP

Dimanche 5 août, un puissant séisme de magnitude 6,9 a secoué l’île indonésienne de Lombok. Située à l’est de Bali, la plus célèbre de l’archipel, elle est réputée pour ses plages paradisiaques et ses spots de surf. Au large de la côte nord-ouest de Lombok, se trouvent les petites îles Gili, très fréquentées par les touristes et où les véhicules à moteur sont complètement bannis. Arrivé dans le pays le 29 juillet, Nizar Malkiya, un Marocain résidant à Paris ne s’imaginait pas vivre un tel scénario. « Je suis arrivé en Indonésie le dimanche d’avant le séisme. J’ai appris sur place qu’il y avait eu un tremblement de terre dans la matinée, pendant que je faisais la queue pour les contrôles de police à l’aéroport de Kuala Lumpur. C’était donc trop tard pour changer de destination », nous raconte le jeune homme, âgé de 34 ans.

En effet, un premier séisme de magnitude 6,4 a touché l’île de Lombok à 6h47 heure locale le dimanche 29 juillet. Il a été suivi d’une centaine de répliques, a fait savoir l’institut américain de géophysique USGS, faisant au moins 17 morts et plus de 160 blessés. Mais selon Nizar, l’ambiance générale était presque normale à son arrivée sur l’île.

« Je suis arrivé dans la soirée à Kuta Lombok, destination principale des touristes venant surfer sur l’île. Quand j’ai vu que dans cette ville du sud de Lombok, il n’y avait aucune trace du tremblement de terre qui a eu lieu dans la matinée même, j’ai été rassuré. Les restaurants, les bars et les plages étaient pleins : la vie touristique était normale. J’ai donc décidé de rester surfer sur les plages du sud plusieurs jours », poursuit-il.

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Sable blanc et eau turquoise

Après une semaine passée dans le même village, Nizar décide de partir aux îles Gilis, « destination incontournable de Lombok, connue notamment pour la plongée et le snorkeling ». « J’ai commencé par Gli Trawangan, la plus grande. Je suis arrivé sur place, dimanche 5 août en début d’après-midi et j’ai découvert une petite île avec des plages faites de sable blanc et d’eau turquoise. Il n’y a pas de voitures dans cette île minuscule. On bouge à pied, en vélo ou sur des chariots traînés par des chevaux. Il y avait beaucoup de monde, mais moins que d’habitude d’après la population locale. Le tremblement de terre de la semaine précédente, même s’il n’avait pas fait de dégâts matériels, a eu un impact sur le nombre de touristes présents ».

Selon ce Marocain, « Gili T (diminutif donné à l’île par les touristes et ses habitants) est assez simple : il y a des hôtels, des restaurants, des bars et des dive shops. La plupart sont concentrés sur la côte ».

« J’ai exploré l’île dans l’après-midi. Et après le coucher du soleil, je suis sorti chercher à boire et à manger. Les petits restos sur la plage commençaient à s’animer. Je me suis installé dans l’un d’eux, avec des petits fauteuils posés directement sur le sable et la mer en face. Tout était beau et serein, jusqu’au moment où l’île a commencé à trembler », se souvient-il.

Crainte de tsunami

« D’abord, c’était le silence, puis la surprise. On s’est tous regardé pour voir la réaction de chacun. Après cinq secondes, il n’y avait plus de courant. Je me suis éloigné de la plage pour échapper à la mer. En même temps, j’ai aperçu une foule de personnes qui, au contraire, fuyait les bâtiments pour aller vers la plage. Je suis donc resté à ma place, tout en observant la mer pour repérer d’éventuelles vagues suspectes », poursuit-il.

Selon l’USGS, le séisme du 5 août s’est déclenché à 10 km de profondeur. L’épicentre se situait en mer à 18 km au nord-ouest de Lombok. Une alerte au tsunami a été lancée dans un premier temps avant d’être levée par les autorités. « Au moment du séisme, je venais de sortir de mon hostel (auberge de jeunesse) pour aller manger. Heureusement qu’il était en face de la plage, je suis donc resté que sur la côte. Le soleil s’était déjà couché. Je marchais quand, soudain, j’ai entendu un boom et des cris », nous confie de son côté Zakaria Boujalil, 32 ans, arrivé le 22 juillet en Indonésie pour passer ses vacances d’été.

Comme Nizar, il est arrivé le jour même du séisme à Gili Trawangan. « Tout monde courait dans tous les sens, puis il y a eu une coupure de courant. À ce moment-là, je n’ai rien compris. Je croyais qu’il y avait eu un attentat…, puis la terre a commencé à bouger très fort. Tellement fort que j’ai dû m’asseoir par terre, comme tout le monde d’ailleurs parce que c’était impossible de se tenir debout. Le tremblement a duré une vingtaine de secondes puis ça s’est arrêté », poursuit-il.

À l’instar de beaucoup de touristes présents sur place, Zakaria craignait aussi un tsunami. « J’ai rapidement jeté un coup d’œil à la mer, pour voir si elle avait reculé au cas où un tsunami se formait. La mer était à un niveau normal. Je suis revenu à l’auberge pour récupérer un petit sac à dos où j’avais mon passeport et de l’argent, pour qu’en cas de décès on arrive à m’identifier. Ensuite, je suis ressorti pour me diriger vers l’intérieur de la ville et chercher de la hauteur. Sur mon chemin, plusieurs gars essayaient de soulever un mur qui s’était écroulé. J’ai commencé à soulever aussi avec eux. Sous les décombres, il y avait un garçon. Malheureusement, il était déjà mort quand on l’a sorti de là », raconte ce Casablancais.

« À peine avais-je repris ma marche qu’une femme, la quarantaine, m’a demandé de l’aide pour la porter. Elle avait les hanches cassées d’après ce qu’elle disait et avait mal partout. Elle voulait aller à son hôtel, mais ne pouvait pas marcher. Je l’ai portée jusqu’à un terrain dégagé à côté de son hôtel, je lui ai dit que c’était mieux de rester loin des murs. Après un quart d’heure passé avec elle, elle ne voulait pas rester seule et je n’allais pas la laisser non plus dans cet état. La terre continuer de bouger environ toutes les 20 minutes. À un moment donné, un couple espagnol qui se trouvait à côté m’a demandé si on avait besoin de quelque chose, je leur ai dit ce qui s’est passé avec cette femme et le nom de son hôtel. Ils y logeaient aussi. Ils sont donc partis prévenir l’hôtel qui a envoyé une personne pour assister la dame. Je les ai laissés ensemble et j’ai continué de mon côté à chercher un abri », poursuit Zakaria.

Chat orange

« J’ai marché quelques pas, et j’ai aperçu un chat orange. Sur le coup, ça m’a étonné. Je me disais que les animaux auraient dû partir loin en cas de tremblement de terre. J’ai suivi le chat et je me suis retrouvé dans sur un grand terrain de foot. La plupart des gens voulaient partir se réfugier sur une colline. Moi, une fois que j’avais trouvé le terrain de foot, je m’y suis réfugié. Il y avait quelques touristes avec moi, mais surtout des locaux. J’écoutais du coran, les gens autour de moi répétaient Allahu Akbar et tout. Je suis resté là toute la nuit. La terre continuait à bouger à des fréquences irrégulières. J’ai rejoint les locaux pour un feu de camp, comme il faisait froid. A l’aube, le même chat orange qui m’avait guidé vers le terrain de foot est repassé devant moi bizarrement », se souvient-il.

« Après des heures interminables, la terre a cessé de bouger et le silence a disparu. Là, on a commencé à entendre des cris de désespoir, des Allahu Akbar, les hurlements des gens qui découvraient des dégâts ou des blessés. En même temps, on a aussi commencé à s’organiser, on a allumé des torches ou les téléphones pour voir ce qui se passait autour de nous. On discutait aussi avec les voisins pour voir s’ils allaient bien. On cherchait aussi les conseils des locaux pour savoir quoi faire, mais aucun ne semblait préparé à un tel événement », soutient pour sa part Nizar.

Charif Frougui, 25 ans, de nationalité marocaine, se trouvait aussi sur la même île quand le séisme a frappé. « Je venais de sortir de l’hôtel pour aller manger sur la plage. Je marchais dans une petite ruelle. A peine je l’ai dépassée, que le tremblement de terre a eu lieu. En l’espace de 20 secondes, il n’y avait plus de lumière, plus de courant et les gens criaient. J’étais sous le choc, je voyais les maisons de la ruelle que je venais de dépasser s’effondrer l’une après l’autre et la terre n’arrêtait pas de bouger », nous confie ce Souiri d’origine, installé aux Émirats arabes unis.

Lorsque la terre a arrêté de bouger, il a allumé le flash de sa caméra pour y voir plus clair. « Je suis repassé par la même ruelle. Elle était bloquée à cause des décombres. J’ai vu qu’un mur s’était effondré sur des personnes. J’ai essayé avec d’autres personnes d’aider les victimes à sortir des décombres, mais il nous fallait du matériel approprié. Certains sont morts, d’autres ont survécu. Peu de temps après, on a entendu parler d’une alerte au tsunami. Tout le monde se dirigeait vers une colline pour s’y réfugier. J’ai fait de même ».

After 20 seconds of leaving a small street to the beach, a 7.0 magnitude earthquake hit Gili Trawangan, I can not…

Posted by Charif Frougui on Wednesday, August 8, 2018

Evacuation difficile

Selon les autorités locales, l’évacuation des touristes qui se trouvaient sur les trois petites îles de Gili, étrangers pour la plupart, est désormais terminée. Mais à en croire Zakaria et les images relatant leur évacuation, celle-ci était particulièrement difficile. « J’ai dormi une heure environ sur le terrain de foot où je m’étais réfugié. Le matin, vers 6h00, quand le soleil a commencé à se lever, je suis retourné à mon auberge qui n’avait, heureusement, pas subi beaucoup de dégâts. J’ai récupéré le reste de mes affaires et j’ai attendu sur la plage avec la foule pour être évacué », raconte le jeune homme.

Selon lui, « les premiers bateaux, qui appartenaient tous à des particuliers et qui servent habituellement à faire la traversée, ont été réquisitionnés par les membres d’un club de plongée qui ont improvisé un endroit sur la plage pour administrer les premiers soins. Ils ont ensuite fait évacuer les blessés en premier. Ils ont dû recourir à la force pour pouvoir réserver les bateaux aux blessés. Franchement, ils étaient bien. Les gens n’ont commencé à monter sur les bateaux que vers 9 heures du matin ».

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Vue aérienne de la foule attendant de quitter l’île indonésienne Gili Trawangan, voisine de Lombok, lundi 6 août 2018.Crédit: AFP

« Les plus riches faisaient appel à des speedboat spéciaux. Là encore, ils devaient recourir à la force pour pouvoir garder les bateaux que pour eux. Un peu plus tard, on a aperçu le premier bateau du gouvernement, un grand. On est monté d’abord dans la bousculade dans un petit bateau artisanal qui nous a emmenés jusqu’à celui du gouvernement. On aurait dit une opération de rescousse de haraga (migrants clandestins) », poursuit Zakaria.

Arrivés au port de Bangsal de Lombok, où « les dégâts étaient encore plus visibles », beaucoup des personnes évacuées voulaient se rendre directement à l’aéroport. D’ailleurs, Zakaria et Nizar se sont croisés, un peu plus tard, au port de Bangsal. « Il était avec moi sur le bateau du gouvernement. Moi, j’ai préféré aller plus loin à un autre port situé à deux heures de celui de Bangsal, qui s’appelle Lembar. De là, j’ai pris un ferry vers Bali. Je me suis dit que l’aéroport serait full », confie-t-il encore, déplorant les prix exorbitants proposés par les locaux pour transporter les touristes vers des lieux plus sûrs. « Les touristes acceptaient, ils avaient envie de fuir ».

Aujourd’hui, les trois Marocains interrogés sont en sécurité. Zakaria a atterri le 9 août à Yogyakarta, une ville située sur l’île indonésienne de Java, entre Sumatra et Bali et compte repartir le 15 août prochain en Malaisie. Nizar, lui, compte poursuivre son voyage au Japon, alors que Charif a quitté l’Indonésie pour aller aux Philippines.

Mais le bilan du séisme du 5 août ne cesse de s’alourdir. « Les dernières informations font état de 319 morts », a déclaré au cours d’une conférence de presse jeudi 9 août le ministre de la Sécurité, Wiranto. Le précédent bilan s’élevait à 164 morts.

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