Promenade au fil des fresques de street art du festival Sbagha Bagha à Casablanca

L'oeuvre de Danaé, boulevard Zerktouni. Crédit : Yassine Toumi. Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Le festival de street art, Sbagha Bagha anime de nouveau la ville de Casablanca pour une 5ème édition. Des artistes du Maroc ou d’ailleurs se retrouvent devant de grandes toiles urbaines. Croisant les disciplines, le festival a une ambition : donner l’envie à d’autres de prendre le relais et de créer partout dans le royaume.

Quatre artistes renommés – Roa de originaire de Belgique, Werc du Mexique, Danae du Canada et Ed du Maroc – sont venus dans le cadre du festival des arts urbains Sbagha Bagha, peindre à grande échelle, sur les murs de la ville. Leurs œuvres sont réunies sous un thème commun : le monde animal. A côté des oiseaux du parc de la Ligue arabe, des chats errants nonchalamment endormis sur le trottoir, la ville de Casablanca a vu s’agrandir son bestiaire si particulier.

L’oeuvre en cours de réalisation de Roa, artiste muraliste belge.Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Au coeur du quartier Bourgogne, on peut voir dans un style sombre et pénétrant, en noir et blanc, la fresque peinte par le Belge Roa. L’artiste, sans cesse en voyage, s’inspire des animaux de chaque pays où il se rend pour travailler. Ici au Maroc, l’artiste a joué sur les textures pour créer un effet d’écailles : une tortue surplombée par un serpent voluptueux, lui-même surmonté d’un caméléon.

L’oeuvre de l’artiste mexicain Werc.Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Plus loin, à la fin du Boulevard Zerktouni, l’oeuvre colorée, vive, en rose, bleue et vert, au style très pop de l’artiste mexicain Werc tranche avec l’horizon de la mer. Le graffeur est au travail, sous un soleil de plomb, isolé sur sa nacelle, en altitude. Un lapin-homme-panthère à la symbolique énigmatique retient le regard du passant.

Danaé, l’artiste canadienne, qui a brillé par la rapidité avec laquelle elle a réalisé son oeuvre, recueille l’admiration de Sofia qui participe au festival : « J’aime beaucoup le travail de Danaé. Elle peint des créatures qui n’existent nulle part et qui me font penser à la mythologie asiatique ou aux créatures de Myazaki ». 

L’Artiste marocain Ed, devant son premier mur en solo, en cours de réalisation.Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Le Marocain Ed, a peint sur un mur plus étroit et orné de fenêtres qui situe aux abords de la place de la mosquée Hassan II. Ed est le plus jeune des artistes muralistes du festival. Il propose une peinture à traits plus humains, inspirée du paysage local et de son ambiance de fin de journée, à l’heure où les enfants envahissent les jeux vers la place de la mosquée.

Avec de grands pots d’acrylique, il a esquissé une scène de la vie de tous les jours : « La scène rassemble deux enfants qui sautillent presque, le regard tourné vers un vendeur de ballons et de masque d’animaux. L’un des enfants porte déjà un masque d’animal et l’autre le regarde avec envie, comme si celui-ci possédait un pouvoir », décrit l’artiste. Surtout connu pour son œuvre de graffiti, le jeune homme saute ici le pas et réalise sa première peinture murale. Sa source d’inspiration : il l’a trouve dans la vie de tous les jours. Carnet et crayon à la main Ed observe et note des scènes du quotidien (sur la terrasse d’un café, chez le dentiste…).

« Chaque style a sa place »

« C’est fantastique, je fais le tour de la ville exprès pour les voir », s’enthousiasme un Casablancais. A Bourgogne, deux habitantes du quartier sont venues admirer le travail de l’artiste Roa. Côtoyer des œuvres que l’on aime, ou non, fait partie de l’apprentissage esthétique, selon l’organisateur du festival, Salah Malouli. Il explique « Chaque style a sa place. Les gens doivent apprendre à vivre avec ce qui les dérange. Tu n’as pas à dire : ‘effacez ça’ ! Donner cette possibilité d’aimer et de ne pas aimer, c’est important. C’est pour ça qu’on a choisi différents  de laisser la place à styles ». 

Laboratoire de formes artistiques

Au-delà des fresques murales, au centre de la programmation, le festival mise sur l’expérimentation et le croisement des différentes formes d’expression artistiques. Ainsi, graffitis, peintures murales et bandes dessinées forment une belle synergie au cœur de la ville.

La BD du collectif Skefkef dans l’ancienne médina. Crédit : Yassine Toumi.Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Mouad Manar, l’un des quatre membres du collectif de Bédéistes marocains, Skefkef, s’est affranchi de ses planches de BD, ses feutres et crayons pour travailler à bras le corps sur un mur au centre de l’ancienne médina. Les mains calleuses, le short tacheté de peinture il ne chôme pas. C’est sa seconde participation au festival. L’événement lui offre l’opportunité de faire de la BD un art urbain, de la projeter sur un format hors norme et de la rendre visible aux yeux de tous. « Je ne crois pas que la BD soit un genre renfermé », affirme Mouad Manar. Le jeune artiste de 28 ans souhaite qu’amateurs et passionnés de BD non initiés puissent mettre la main à la pâte et profiter de la BD sur des surfaces atypiques.

Les quatre dessinateurs du collectif, à l’ouvrage sur le mur de l’ancienne médina, ont composé des vignettes aux tons travaillés et aux formes géométriques ciselées. Elles donnent à voir un récit simple : une jeune fille recueille un poisson, lui fait un câlin et le remet dans l’eau. Une BD à double sens d’interprétation : « Ce récit est à la portée de tous, les images parlent d’elles-mêmes », avance Mouad Manar.

Essaimer le street art au Maroc

Populariser le street art au Maroc, transmettre l’envie de créer à d’autres, c’est la mission que s’est fixé le directeur artistique, à l’initiative de Sbagha Bagha depuis 2013. C’est dans cette optique que, pour la seconde année, le festival organise une compétition de graffiti ouverte à tous les jeunes talents du Maroc.

L’artiste belge Roa, tombé dans la marmite de l’art de rue à l’âge de 13 ans, considère la pratique du street art de la même façon : « Si je peux inspirer un jeune adolescent qui passe dans la rue, voit ma peinture au détour et se dit : ‘moi aussi, je veux faire du street art’, alors c’est gagné ». 

Pépinière de jeunes talents, le festival veut impulser les scènes locales et les dynamiques artistiques parallèles à son organisation. Salah Malouli confie ainsi :

« Nous souhaitons montrer ce qu’on fait, comment on le met en place et laisser les autres faire. C’est très important de ne pas toujours être au centre des choses ». Il ajoute : « Ce n’est pas une question de structure, de personnes. Cela n’a pas d’avenir autrement. Les gens qui participent au battle [compétition de graffiti] viennent des quatre coins du Maroc et on essaye aussi de les encourager à faire des choses chez eux, développer des scènes locales ». 

L’art urbain s’installe dans le paysage marocain depuis quelques années déjà, notamment à travers l’organisation de manifestations régulières : le festival Remp’Arts à Azemmour (depuis 2009),  Sbagha Bagha (depuis 2013), et Jidar (2015) qui prend place chaque année à Rabat.

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