Ce qu'il faut retenir du réquisitoire du parquet

Dans son réquisitoire, le substitut du procureur général, Hakim El Ouardi, a mis en exergue les erreurs "fatales" commises par les meneurs du Hirak, conduisant à leurs poursuites pour des actes criminels, loin des revendications sociales du mouvement.

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Une montagne de polycopiés surplombe le – pourtant très haut – pupitre de Hakim El Ouardi, le 22 juin à la salle 7 de la Cour d’appel de Casablanca. Au menu ce jour-là, le réquisitoire du substitut du procureur général, dans lequel il est censé développer les moyens de ses accusations envers Nasser Zafzafi et les 53 autres détenus du Hirak à Casablanca. Eux en revanche, n’écouteront pas ce réquisitoire, puisqu’ils refusent toujours d’assister aux audiences, depuis l’annonce par leur leader, le 13 juin, de boycotter le procès. Hakim El Ouardi se félicite d’avoir rédigé « un réquisitoire long et fouillé de 1950 pages », dont plus de 500 consacrées à la synthèse des moyens justifiant les poursuites envers les accusés.

Avant de se pencher sur le fond, le procureur s’étale sur la forme. « Ce procès a-t-il été équitable ? », s’est-il interrogé, reprenant la diatribe habituelle des accusés et de leur défense. Pour y répondre, Hakim El Ouardi fait dans la chiffraille, rassemblée après huit mois d’audiences quasi-quotidiennes. 84 séances, 66 visites des avocats dans les commissariats après les arrestations, 22 expertises médicales ordonnées par le juge d’instruction, 20 jours de prise de parole de la défense pour exposer leurs demandes préliminaires – contre cinq « seulement » pour le parquet -, plus de 2.600 visites effectuées par les avocats en prison… La liste est longue.

« Nasser Zafzafi a lui-même monopolisé la parole pendant 11 séances, déviant régulièrement de l’objet des poursuites », a-t-il rappelé. Pour Hakim El Ouardi, le leader du Hirak « ne peut pas prétendre avoir été privé de temps de parole suffisant ». Quid du procès politique ? « Nasser Zafzafi ne s’est-il pas lui-même targué d’être vierge de tout antécédent politique, qualifiant les partis et les associations d’officines politiques sans intérêt ? ».

Le Hirak, une triple « illusion » ?

Le procureur se lance ensuite dans une « analyse » du discours du Hirak. Selon lui, le mouvement de contestation a failli dans son rôle en promouvant trois illusions : sacralité, pacifisme et transparence. « Les militants du Hirak ont rabâché leur fameuse expression ‘Hirak béni et sacré’, glissant dans une forme de démagogie considérant comme hérésie toute critique à son égard », a-t-il expliqué.

L’illusion de pacifisme, elle, se reflète selon lui dans le bilan humain et matériel des violences perpétrées à Al Hoceïma et ses alentours, entre octobre 2016 et mai 2017 : plusieurs centaines d’agents d’autorités blessés (604 policiers, 178 agents des forces auxiliaires, 120 gendarmes), des incendies par dizaines (environ 200.000 dirhams de pertes), ainsi que les dégâts économiques découlant de l’occupation de l’espace public pendant une longue durée.

« Pour ce qui est de la transparence, plusieurs discussions interceptées entre les membres de la commission des médias prouvent l’hégémonie exercée par Nasser Zafzafi sur les différents comités du Hirak, particulièrement celui de la communication du Hirak, ses sorties inopinées, soit sur les réseaux sociaux soit dans la rue, et ses décisions unilatérales étaient contestées à l’intérieur même du mouvement ».

Cette controverse se matérialise par « l’existence d’un groupe WhatsApp secret, où certains membres du noyau dur du Hirak soupçonnent leur leader d’avoir détourné de l’argent de la caisse du comité des finances ». Hakim El Ouardi va même jusqu’à taxer Nasser Zafzafi d’arrivisme. « Le chômeur de 40 ans, qui n’a pas de quoi se payer un café, pour reprendre ses dires, a trouvé dans le Hirak un moyen de subsistance », charge-t-il.

Erreurs « fatales »

Hakim El Ouardi résume ses griefs en trois erreurs « fatales » commises par les leaders du mouvement. D’abord, avoir misé sur l’extérieur pour exercer une pression sur l’intérieur. S’il reconnaît qu’il est inconcevable de coller l’étiquette de séparatistes à tous les Rifains, le procureur affirme que « les leaders du Hirak n’ont réagi qu’à demi-mot au soutien déclaré des indépendantistes rifains installés en Europe », mentionnant les cas de Nasser Zafzafi et Mohammed Jelloul, lors de leur confrontation à une vidéo tournée par Abdessadak Boujibar, membre fondateur du Mouvement du 18 septembre pour l’indépendance du Rif, où il apparaît en train de déchiqueter son passeport marocain. « Alors que la majorité des accusés ont condamné cet acte, Jelloul et Zafzafi ont tenté de lui trouver des excuses », étaye-t-il.

Le représentant du ministère public reproche également au Hirak d’avoir adopté un discours « violent » et « exclusif », symbolisé par des slogans « dogmatiques » et « suprémacistes » : « Ceux qui ne se joignent pas à nous sont des ayacha, le Hirak sacré a été salué de par le monde pour son exemplarité, l’Etat est dictateur et corrompu, le gouvernement est une mafia, le wali est un pion, les partis sont des officines et les associations des mercenaires… ».

Ces éléments de langage ont, d’après Hakim El Ouardi, été employés pour « prendre en otage les foules et les transformer en outils de chantage au nom de revendications ambiguës, de manière à maintenir le rythme des manifestations ».

Enfin, le procureur s’est attaqué au « nihilisme » du mouvement, son « refus au dialogue » et son « rejet convulsif » des initiatives entreprises par les institutions officielles. Ici, El Ouardi fait référence aux différents déplacements des commissions gouvernementales à Al Hoceïma et à une rencontre avortée entre Mohamed Sebbar, secrétaire général du Conseil national des droits de l’Homme et les meneurs du Hirak.

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