A Boulemane, des centaines de personnes suivent un gourou interné en quête de trésor

Convaincu qu'un trésor se cache dans une montagne de la province de Boulemane, un homme a réussi à mobiliser des centaines de personnes pour partir à sa recherche. Les chasseurs de trésor sont rentrés bredouilles... et leur gourou dans un centre psychiatrique.

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Le leader de la chasse au trésor avortée. Crédit: capture d'écran Facebook

C’est l’histoire d’un homme qui a mené lundi 11 juin une expédition messianique à la recherche d’« un trésor enfui dans une montagne » de la commune rurale de Serghina. Ce chauffeur de camion a réussi à mobiliser plusieurs centaines de personnes de la province de Boulemane et d’ailleurs pour déterrer le pactole. L’homme a été interpelé par la gendarmerie le jour même… sans qu’aucun trésor ne soit trouvé. « Il a ensuite été transféré à l’hôpital psychiatrique Ibn Hassan, » nous apprend Mohamed Zahi, président de la commune de Serghina

Cette histoire surréaliste commence il y a deux semaines au retour d’Al Hoceima de ce quarantenaire père de deux enfants. « Il est retourné à douar Tichtout où sa famille réside, après avoir quitté son travail de chauffeur de camion à Al Hoceima, » nous raconte Hafid Tiloulout, acteur associatif qui tient la page d’information Boulemane Press sur Facebook.

« Il expliquait aux gens qu’il a eu des visions, qu’un trésor se cachait sous la montagne de Serghina et qu’il fallait qu’il mobilise la population pour réussir sa mission. Un jour, il a même dit qu’un djinn est apparu et l’a sommé de prendre la route durant la nuit du destin (11 juin, ndlr) pour pouvoir récupérer, le trésor, » poursuit, notre source.

« A Serghina, personne ne croyait à son histoire illusoire »

Avec la diffusion sur les réseaux sociaux, les fantasmes de l’homme illuminé prennent une tournure improbable. « Nous avons relayé l’information sur Boulemanepress sans trop y croire, mais bizarrement l’histoire de cet homme a eu un impact assez incroyable auprès de la population », nous précise Hafid Tiloulout.

Le président de la commune rurale affirme pour sa part qu’« à Serghina, personne ne croyait à son histoire illusoire. D’ailleurs seulement quatre personnes de la commune ont fait le déplacement avec lui. Ceux qui l’ont suivi sont venus des autres localités de la province de Boulemane, mais aussi de Fès, Sefrou, Oujda, Bouarfa, etc. ».

Il poursuit : « au niveau de la commune, nous avons tenté de faire un travail de sensibilisation auprès de la population pour leur expliquer qu’on est au 21e siècle et qu’aucun trésor ne va être trouvé, mais vous savez l’analphabétisme, la pauvreté et l’ignorance peuvent aveugler et mener à des phénomènes improbables ».

De Missour (qui se trouve à 80 kilomètres de Serghina), plusieurs personnes ont fait le déplacement le jour de l’expédition messianique. À ce sujet, Yassine Mabrouki syndicaliste de la petite localité explique : « Cela fait des jours que tout le monde parle du trésor de Serghina et c’est très facile de berner les gens. La province de Boulemane est connue pour ses awliya allah salihin (les saints, ndlr) et plusieurs chasseurs aux trésors rôdent dans la région dans l’espoir de trouver des butins ensevelis sous terre. Ce mythe, mais aussi les réseaux sociaux, ont contribué à l’amplification de l’histoire de cet homme, » analyse-t-il.

« Ceux qui veulent juste l’or qu’il s’en aille »

La veille de la chasse au trésor, des « disciples » du chauffeur de camion venus de loin étaient déjà au centre de Serghina. Et le lendemain, tôt le matin, le convoi a pris la route direction la fameuse montagne. Drapeau du Maroc sur les épaules et entouré d’une foule de plusieurs centaines de personnes, le leader et inventeur du mythe déclame en prélude un discours cryptique et incohérent sur, entre autres, le foi et la croyance en Allah, avant qu’il ne scande des « Allah est grand » repris en chœur par la foule. « Sous cette montagne, il y a plus que de l’or, c’est inimaginable ce qu’elle cache (…) Si vous montez au sommet, grâce à Dieu, chacun d’entre vous va recevoir sa part (rizq), » dit-il le plus sérieusement du monde dans une des vidéos diffusées sur YouTube le 11 juin.

« Ceux qui veulent juste l’or qu’il s’en aille, mais ceux qui sont là pour résoudre les secrets, qu’ils mènent l’excursion avec nous, » prophétie-t-il sur une autre vidéo diffusée le même jour. Et de répéter « chacun va recevoir sa part jusqu’à sa demeure inchallah, mais je ne peux pas vous dire si ça viendra aujourd’hui ou demain…»

Arrivés à une certaine hauteur de la montagne, les crédules chasseurs au trésor ont été grandement déçus. « Après avoir écrit Allah, Al Watan Al Malik avec de la chaux, il leur a demandé de rentrer chez eux, » nous dit le responsable de Boulemane Press.

Sur une troisième vidéo filmée sur les hauteurs de Serghina, il s’en prend aux téléphones portables et les technologies avant de présenter des membres de sa famille qui ont pris part à l’excursion. Il donne ensuite ses consignes :  « les personnes âgées doivent avant tout se reposer, il n’y a que les jeunes qui vont mettre la main à la pâte (sans qu’on sache à quoi il fait référence, ndlr). Je vais partir avec ma famille d’abord et vous allez me suivre après ».

Une consigne qui n’était pas du goût de tout le monde. Casquette vissée à la tête, un jeune l’interpelle : « Pourquoi tu nous as obligés à monter cette montagne en plein ramadan pour écrire « Allah Al Watan Al Malik ? » ? Le mis en cause répond « Allah Al Watan Al Malik est la clé (…) Est-ce que tu sais ce qu’il y a dans cette montagne ? Ton rizq va venir jusqu’à toi, sois croyant ! ».

Les centaines de personnes mobilisées ne sont pas redescendues plus riches de leur ascension, à moins qu’ils ne s’agissent d’un enrichissement spirituel.

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