Découverte : Les dessins engagés de Soufiane Ababri

A travers ses dessins aux couleurs pastels, le Tangerois Soufiane Ababri, dénonce le racisme, l'homophobie et les mécanismes de domination en tout genre.

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Les dessins de Soufiane Ababri sont empreints d’une sensibilité toute particulière. A travers un savoureux mélange de douceur lascive et de virilité exacerbée, l’artiste dénonce le racisme, l’homophobie et les différents mécanismes de domination.

Originaire de Rabat, le dessinateur a grandi à Tanger, où sa famille est installée depuis plusieurs générations. « Ils avaient fui la famine et la sécheresse qui avait sévi dans le Rif marocain », explique l’artiste. En 2004, il part en France où il fait des études à l’école nationale supérieure des arts décoratifs, puis réalise un post-master à l’école des beaux-arts de Lyon.

Soufiane Ababri nous raconte qu’il a commencé à dessiner assez tard. « J’ai toujours dessiné, mais je considérais cela comme quelque chose de parallèle, que je n’assumais pas. Je pense que c’est en grande partie à cause de la formation que j’ai reçue dans les écoles en France », explique le dessinateur. Avant d’ajouter : « Dans mon travail je réfléchis beaucoup à la manière de déjouer les mécanismes de domination. Je pense que c’est pour cela que j’ai décidé de mettre le dessin que je marginalisais au centre de ma pratique ».

Soufiane Ababri dessine à partir de photos et d’images. « Des photos que je prends dans la rue ou d’images provenant de différentes sources, comme le cinéma, la pornographie, l’actualité ou encore les photos d’amateurs« , commente-t-il. Le fil rouge de toutes ces photos : « C’est le corps masculin avec une apparence ultra virile, une virilité exacerbée dans laquelle j’ai baigné au Maroc et dont j’ai été la première victime en tant qu’homme », confie l’artiste.

Ces œuvres, intitulées « Bedwork », sont des dessins aux crayon de couleur sur papier qu’il réalise dans son lit. « C’est en premier lieu une manière pour moi de mettre à distance l’atelier et le travail technique, cet imaginaire de l’artiste travaillant dans un atelier et tout ce que ça convoque comme vocabulaire viril », commente Soufiane Ababri.

Cette démarche, représente aussi le moyen pour lui de reprendre la position dans laquelle les peintres orientalistes aimaient peindre, souvent les femmes, les Arabes et les esclaves. « Une position passive, lascive, offerte, paresseuse. C’était une manière de les dominer. Donc je reprends cette position, mais en formulant un langage engagé qui résiste à la domination et met en lumière le rôle de la violence dans l’histoire des formes », détaille-t-il.

Soufiane Ababri se rend régulièrement au Maroc. Il vit entre Paris et Tanger. Il n’a fait qu’une seule exposition au Maroc, à l’espace LECUBE indépendant art ROOM à Rabat. « Je n’ai pas reçu d’invitation depuis. Il doit y avoir dans mon travail une dimension qui ne passe pas au Maroc », regrette l’artiste.

L’artiste a accepté de commenter quatre œuvres de la série « Bedwork » pour Telquel.ma.

« Bed Work »

 

© Soufiane Ababri

« C’est un portrait de mes amis Abdellah Taïa et Édouard Louis sur fond de rayures roses et blanches. Ce choix de fond est inspiré de la description que fait Jean Genet dans « Journal du voleur » des vêtements du forçat. Il cite : « Le vêtement des forçats est rayé rose et blanc. Si, commandé par mon cœur l’univers où je me complais, je l’élus, ai-je le pouvoir au moins d’y découvrir les nombreux sens que je veux : il existe donc un étroit rapport entre les fleurs et les bagnards. »

 

© Soufiane Ababri

« C’est une scène qui se passe à la fin du film « Querelle » de Rainer Werner Fassbinder, une adaptation du roman de « Querelle de Brest » de Jean Genet. Dans cette scène, le marin déguise Gil lassassin en homme moustachu pour quil puisse fuir dun meurtre quil na pas commis. »

 

© Soufiane Ababri

« Ce dessin représente une scène de l’aïd El Kebir. Le mouton est sacrifié par les hommes, c’est un vrai moment d’étalage de la force et de la virilité. Un moment dans lequel je n’ai jamais réussi à prendre part. Ce dessin est inspiré d’une photo de famille. »

© Soufiane Ababri

« Ce dessin est tiré d’une manifestation française. Je change juste la pancarte par la liste des personnes ayant été tuées ou violemment blessées à cause des violences policières en France. « Nous nous souviendrons », est un dessin qui met en évidence la cause de ces violences entre races, genres et classes sociales. »

© Soufiane Ababri

« Sur ce dessin, on voit un homme nu dans un lit. Il essaye d’imiter la position allongée d’un modèle féminin dans une peinture orientaliste. C’est une façon de placer le corps masculin oriental – qui est toujours représenté dans une ultra virilité –  dans une situation d’intimité où il échappe à la pression qu’on lui impose. »

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