Najib Boulif: «La mise en service de la LGV est prévue après l’Aïd El Kebir avec des tarifs modulables»

Lors du Forum International des Transports lié à l’OCDE tenu à Leipzig du 23 au 25 mai, Telquel.ma a rencontré le Secrétaire d’Etat chargé des transports Najib Boulif. Chiffres et budget de la sécurité routière au Maroc, création d’un observatoire africain, mise en service de la LGV et tarifs des billets…il dit tout.

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Mohamed Najib Boulif, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Équipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau, chargé du transport.

Le Forum International des Transport lié à l’OCDE vient d’annoncer la création d’un Observatoire africain de la sécurité routière, qui pourrait être accueilli par le Maroc. De quoi s’agit-il ?

L’observatoire africain de la sécurité routière est une idée née lors de l’IRTAD (International Traffic Safety Data and Analysis Group, ndlr, dont le Maroc est le seul pays africain membre) qui s’est tenu à Marrakech en octobre dernier. J’en ai discuté avec les responsables internationaux de la sécurité routière pour pouvoir créer un observatoire régional africain de la sécurité routière, comme il en existe un peu partout dans le monde. L’idée a fait chemin avec le Forum International des Transports (FIT). La Banque Mondiale finançait ce type d’observatoire, avec le FIT et la Fédération Internationale de l’Automobile dont le Président, Jean Todt, est également le représentant de l’ONU pour la sécurité routière, et ils seront les trois partenaires associés à ce projet. Nous avons proposé que le Maroc accueille l’observatoire.

A quoi va-t-il servir ?

L’Observatoire a pour objet essentiel l’homogénéisation des données statistiques sur la sécurité routière en Afrique. Nous avons un problème au niveau des données statistiques sur les accidents routiers au niveau du continent. L’OMS sort des statistiques qui sont presque toujours différentes de celles des pays africains. Il y a une nécessité d’homogénéiser la récolte d’information, mais aussi le traitement des données, pour gagner la confiance des autres pays au niveau statistique. Le Maroc a déjà fait un grand chemin à ce niveau, car il n’a pas de grands écarts avec les statistiques fournies par l’OMS mais certains points techniques doivent encore être adaptés.

Les pays en tête dans la sécurité routière sont essentiellement nordiques, or la culture nordique intègre une responsabilisation parfaite. Nous avons un long chemin à faire .

Qui va financer cet Observatoire ? Quel sera son budget et quand verra-t-il le jour ?

Il sera financé par les trois institutions partenaires évoquées. Pour l’instant, il s’agit d’un Memorandum of Understanding, c’est-à-dire d’un accord de principe. Nous allons discuter des détails de mise en œuvre avec les trois institutions, nous n’avons pas plus de détail à donner pour l’instant.  Le premier Forum Africain de la Sécurité Routière qui se tiendra à Marrakech du 13 au 15 novembre 2018 sera l’occasion d’en rediscuter.

L’Afrique représente seulement 2% des véhicules mais 20% des morts sur la route. Comment expliquez-vous ces chiffres alarmants ?

C’est un ensemble de facteurs : les infrastructures, qui sont caduques pour la plupart des pays africains, mais aussi le matériel technique, nous n’avons pas les mêmes véhicules que l’Occident, et puis il y a le comportement humain : la tradition, les fêtes sur le terrain, la culture, l’éducation… L’Afrique reste un continent en développement et n’a pas encore la maturité nécessaire pour pouvoir se responsabiliser. La plupart des pays qui sont en tête dans la sécurité routière sont essentiellement nordiques, or la culture nordique intègre une responsabilisation parfaite. Nous avons sur cela un long chemin à faire sur l’éducation des générations futures.

Les chiffres sont alarmants : plus 7% du nombre de tués au 1er trimestre.

Au Maroc, la stratégie nationale de la sécurité routière a-t-elle permis de réduire le nombre de tués sur les routes ?

Nous avons une stratégie 2017-2026 qui vise à réduire la mortalité de 50% à horizon 2026, et à descendre au dessus de la barre des 2000 tués par an. Sur les 2 dernières années nous avons fait des efforts qui ont permis de réduire d’environ 2,7% le nombre de tués, mais sur les 3 premiers mois de cette année il y a une difficulté. Les chiffres sont alarmants : plus 7% du nombre de tués au 1er trimestre. Il y a donc une reprise de la tendance haussière. Cela fait suite essentiellement à un manquement au niveau des radars, qui présentent des problèmes de maintenance. Mais nous sommes en train de régler le problème et les chiffres d’avril et mai sont plutôt encourageants qui nous permettent déjà de rattraper 3 points. Si nous faisons une bonne campagne de contrôle cet été, nous pourrons renverser la tendance d’ici octobre.

Au vu de ces chiffres, le Maroc est-il vraiment plus en avance que les autres pays africains sur le sujet ?

Certes, nous sommes bien en avance sur les autres pays africains, à la fois sur le plan des statistiques, des comportements et des stratégies… Rares sont les pays africains qui ont une stratégie nationale de sécurité routière. Le Maroc participe à l’ensemble des organisations mondiales de sécurité routière. Par exemple, nous sommes le seul pays africain au Forum International des Transports, dont nous assurerons d’ailleurs la présidence en 2020-2021, alors même que nous ne sommes membres que depuis 2015. Nous faisons tout pour faire converger nos textes de lois avec les normes internationales.

Justement, où en est la mise en place de l’Agence nationale de la sécurité routière et quelle sera la différence avec le CNPAC ?

Le projet de loi portant création de l’agence nationale de la sécurité routière  a été voté. Il faut maintenant adopter quelques textes réglementaires notamment pour voir comment basculer du CNPAC (Comité National de Prévention de la Sécurité Routière) à la nouvelle agence. Nous avons mis en place une commission au niveau du ministère. Nous espérons être opérationnels début 2019. Le CNPAC travaillait sur la sensibilisation à la sécurité routière mais n’avait pas pour objet de s’occuper des autres composantes de la sécurité routière, qui étaient jusque là traitées au niveau du ministère. Maintenant, l’agence va pouvoir regrouper l’ensemble des activités liées à la sécurité. Le but est de regrouper les moyens et les activités pour avoir bonne gouvernance et interlocuteur unique.

Quel est le budget annuel de la sécurité routière au Maroc ?

Au niveau du CNPAC, c’est 200 millions de dirhams et en ajoutant les activités du ministère, nous étions autour de 450 millions de budget global pour la sécurité routière. La nouvelle agence sera quant à elle dotée d’un budget entre 700 et 800 millions de dirhams.

L’Examen multidimensionnel de l’OCDE publié mi-mai a pointé les efforts à fournir par le Maroc en termes de logistique et de transport routier pour gagner en compétitivité. Comptez-vous réagir par des actions concrètes ?

Nous travaillons en collaboration avec l’OCDE et le Forum International des Transports, donc il y a eu en amont des discussions entre nous. Cette conclusion de l’OCDE, à laquelle nous adhérons parfaitement, découle de la stratégie nationale logistique 2010-2015 qui stipulait essentiellement qu’on ne peut améliorer le niveau de la connectivité si on n’améliore pas les conditions logistiques. Nous avons établi un certain nombre d’objectifs au niveau de la logistique, dont le but essentiel est de baisser les coûts et de faire en sorte que la logistique améliore le regroupement des entités de transport. Ainsi, nous pourrons fluidifier et regrouper au niveau régional les flux de marchandises et de personnes pour réduire ces flux. Cela va nous permettre de décarboniser, de gagner en termes de CO2, mais aussi en termes de compétitivité. Au niveau de la compétitivité logistique maritime, nous sommes dans le Top 20 mondial de la connectivité maritime. Et au niveau des infrastructures ferroviaires, nous sommes les premiers en Afrique.

Le rapport pointait également le manque de cohérence de certaines stratégies nationales. Notamment, la stratégie logistique gagnerait à être plus connectée à la stratégie sur l’efficacité énergétique.

Certes, depuis le gouvernement Benkirane, il y a eu la création du ministère des affaires générales et de la gouvernance dont l’objet essentiel est de faire converger l’ensemble des stratégies appartenant à un même domaine. Au niveau des stratégies liées au transport, à la sécurité routière et par ricochet au développement durable, il est effectivement conseillé de connecter ces stratégies entre elles et d’avoir un tableau de bord unique. Nous sommes en train de travailler sur cela avec le Secrétariat d’Etat chargé du développement durable. Nous avons maintenant une première feuille de route pour la mobilité durable et un tableau de bord. Nous sommes l’un des premiers pays au niveau mondial à avoir adopté cela suite aux COP 21, 22 et 23.

Où en est la LGV ? Serez-vous prêt pour une mise en service cet été comme cela avait été annoncé ?

Oui, la mise en service est prévue après l’Aïd El Kebir, fin août. Nous finalisons les essais qui se passent très bien. Sur le tronçon Casablanca-Kenitra, nous allons réaliser sur 4 jours le travail d’un mois de chantier du 25 au 28 mai. Des perturbations potentiellement importantes sont donc à prévoir pour les usagers.

La tarification pour les usagers est déjà finalisée ?

Les prix sont prêts mais nous ne les divulguons pas pour l’instant. L’idée est d’avoir des tarifs modulables en fonction de l’offre et de la demande, mais aussi de l’anticipation et de la date de réservation. Les billets pourront même descendre en dessous des prix actuels pour des périodes de faible affluence. Le système sera très « open », en pouvant varier du simple au triple. C’est ce qui se fait partout ailleurs dans les pays développés.

Le Forum International des transports a abordé la sécurité des femmes dans les transports publics. Une problématique importante pour le Maroc, où les femmes sont régulièrement harcelées et agressées dans les bus notamment. Quelles actions concrètes mettez-vous en œuvre pour améliorer la situation ?

Il n’y a pas vraiment d’actions concrètes au niveau du ministère des transports mais plutôt des actions locales au niveau des villes. Par exemple, le fait de pouvoir à Casablanca réserver un compartiment dans les tramways pour les femmes à partir d’une certaine heure. Mais il est vrai que nous avons du travail sur la planche et nous allons tenir compte de tout ce qui va se dire et se décider au niveau du FIT pour essayer de nous y adapter.

 

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