Au procès du Hirak, la défense soignée de Nabil Ahamjik face aux soupçons de financements étrangers

Nabil Ahamjik comparaissait le 7 mai devant le président de la Chambre criminelle près la Cour d'appel de Casablanca. Pour sa troisième audience, le n°2 du Hirak devait s'expliquer sur les soupçons de financements étrangers du Hirak.

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Nabil Ahamjik. Crédit: Facebook

Pour son troisième jour d’audience, et le 72ème du procès des 54 détenus du Hirak à Casablanca, Nabil Ahamjik semble avoir bonne mine. Tout sourire, il dispose ses documents de défense sur une table placée à côté de la barre. Il a pris soin de les classer minutieusement, dans des chemises en papier. Une couleur pour le rapport de la Brigade nationale de la police judiciaire, une autre pour celui du rapport du juge d’instruction et du Procureur.

Pour mieux se retrouver dans la paperasse, il a utilisé des trombones pour joindre les documents relatifs à chaque fait, et surligné les passages le concernant directement. Ce jour-là, le « numéro 2 » du Hirak doit s’expliquer sur les soupçons de financements étrangers du mouvement de contestation rifain.

Outre la « fomentation d’un complot formé dans le but de porter atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat« , un crime passible de peine de mort, il est également accusé de « réception de fonds destinés à mener une activité portant atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat« , il risque l’emprisonnement d’un à cinq ans et une amende de 1 000 à 10 000 dirhams, selon les dispositions des articles 129 et 206 du Code pénal.

Financements du Hirak ou « touiza » ?

Tout comme ses prédécesseurs à la barre, Nabil Ahamjik est sans concession. Pour celui que l’on surnomme « la dynamo du Hirak« , il n’y a pas lieu de parler de financements étrangers du Hirak. « La communauté rifaine est très soudée. Lorsqu’une personne se retrouve en difficulté financière, ses voisins et ses proches cotisent pour l’aider à se relever. Dans le dialecte local, on appelle ça une ‘touiza’. C’est ainsi que nous autres rifains vivons, de notre solidarité« , se défend-il.

Les enquêteurs ne sont pas du même avis. Nabil Ahamjik a, selon eux, reçu des sommes d’argent de l’intérieur et de l’extérieur du pays, destinées à financer les activités du Hirak. Des reçus de dépôt sur son compte bancaire et des attestations de réception de transferts d’argent ont été retrouvés chez lui lors de son arrestation, peut-on lire dans le rapport d’instruction. Or, ces dernières datent de 2015, plus d’un an avant le déclenchement du Hirak.

« Il s’agit du salaire que me versait un comptable marocain établi en France, avec lequel je collaborais de temps en temps. Pour ce qui est de mon compte bancaire, mon solde est négatif« , détaille-t-il. Nabil Ahamjik ne cache pas sa rancune. A ses yeux, « inclure ces documents comme pièces à conviction pour justifier les charges retenues contre lui, est un mépris de l’intelligence de la Justice« .

Nabil Ahamjik va plus loin. Il accuse le juge d’instruction d’avoir « falsifié » le contenu d’un échange téléphonique avec Nasser Zafzafi, au sujet d’une somme de 7 000 dirhams que El Mortada Iamrachen, autre figure du mouvement, aurait pu rassembler. « Dans la transcription de l’appel par la BNPJ, on lit que Nasser [Zafzafi, NDLR] m’interroge sur ce montant. Mais dans sa synthèse, le juge d’instruction écrit que Nasser m’a informé de cela. Quelle contradiction !« , s’exclame-t-il.

C’est à ce moment là que le substitut du Procureur général, Hakim El Ouardi, intervient pour la première fois de la séance. « On ne peut pas prétendre qu’il y a eu falsification, pour la pure et simple raison que le juge d’instruction n’a pas « synthétisé » le contenu de l’appel téléphonique, mais s’est basé sur ta déposition auprès des enquêteurs de la BNPJ« , corrige-t-il. Dans le box des accusés, la tension monte et Nasser Zafzafi explose de colère. « Pourquoi n’ai-je pas été interrogé sur cet appel, pourquoi n’a-t-il pas été diffusé lors de ma comparution devant la juge ?« , vocifère-t-il avant que la séance ne soit levée.

Abolition d’un dahir annulé

A la reprise, Nabil Ahamjik est interrogé sur une conversation téléphonique du 13 janvier 2017 avec Nasser Zafzafi. Il y est question d’une des revendications essentielles du Hirak, l’abrogation du « dahir de la militarisation« . Ce décret, promulgué par Mohammed V en 1958, définissait Al Hoceïma comme une zone militaire. Dans cet appel, Nabil Ahamjik et Nasser Zafzafi échangent sur la possibilité de « brûler le dahir ». C’est précisément cette expression que le juge cherche à clarifier.

« Il ne s’agissait pas de brûler physiquement le dahir, mais de le brûler « politiquement », c’est à dire l’abolir », répond-il, dans les mêmes termes que son co-détenu Nasser Zafzafi, lorsque ce dernier avait été interrogé sur le même appel au cours de l’audience du 30 avril.

Nabil Ahamjik en profite pour « exhorter le roi, premier législateur du pays, à abroger ce dahir« . L’abrogation de ce dahir représentait une des revendications essentielles des militants du Hirak. En mai 2017, le gouvernement avait réagi, par le biais de son porte-parole et du ministre de l’Intérieur. Tous deux avaient précisé que « le Dahir 1-58-381 qui définissait la province d’Al Hoceïma comme zone militaire a été abrogé et annulé suite à la promulgation du Dahir 1959 relatif au découpage administratif du Royaume« .

Après cet échange sur le décret royal, le juge décide de reporter l’audience au 8 mai.

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