Tunisie: faible participation pour les premières élections municipales libres

Les premières élections municipales libres de Tunisie ont été marquées par une forte abstention ce 6 mai, les Tunisiens se disant démobilisés par les difficultés économiques et politiques, lors d'un vote jugé crucial pour enraciner la démocratie après le Printemps arabe.

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Un citoyen tunisien vote à Ben Arous, dans la banlieue de Tunis, à l'occasion des municipales du 6 mai 2018. Crédit: Fethi Belaid/AFP

Le taux de participation à ce scrutin proportionnel à un tour, qui s’est déroulé sans incident majeur, n’a atteint que 33,7% au niveau national, et seulement 26% à Tunis, selon l’instance en charge des élections (Isie). « Le plus important pour nous, c’est que les élections municipales ont eu lieu. C’est un moment historique pour la Tunisie », a déclaré à l’AFP Mohamed Tlili Mansri, président de l’Isie. Concernant l’abstention, « nous ferons mieux la prochaine fois », a-t-il ajouté.

« Ce haut taux d’abstention signifie que les partis sont faibles », estimait pour sa part l’analyste politique Youssef Cherif. « Ces dernières années, ils se sont livrés à des combines entre politiciens sans programme d’envergure, et cela n’intéresse pas les citoyens ».

Un institut de sondage a donné le parti islamiste Ennahdha légèrement en tête (25%) talonné par le parti présidentiel Nidaa Tounès (22%), loin devant les autres formations. Mais l’Isie, qui ne donnera ses résultats que dans les jours à venir, ne confirme pas ces chiffres. Un responsable de Nidaa Tounès a reconnu que son parti était deuxième.

Selon un député d’Ennahdha, les premières tendances confirment que son parti était en tête, notamment à la mairie de Tunis. « C’est une victoire pour Ennahdha et Nidaa ainsi que pour l’équilibre démocratique », a estimé son porte-parole Imed Khemiri, se réjouissant de la poursuite des alliances forgées entre eux au niveau national, tout en invitant à « étudier les raisons de l’abstention ».

Inflation à 8% et chômage à deux chiffres

Dans la capitale, la candidate Ennahdha, Souad Abderrahim, une pharmacienne de 53 ans, ancienne député constituante et symbole du parti, pourrait devenir la première femme maire de Tunis, selon les sondages.

À Sfax, deuxième ville du pays, une quadragénaire a affirmé que nombre de ses amies n’étaient pas venues voter. « J’ai tenu bon, et insisté pour que mes enfants aillent voter aussi… mais je n’attends rien de ces élections, je fais mon devoir et c’est tout ».

Sept ans après la révolution, qui avait suscité de nombreux espoirs, beaucoup de Tunisiens se disent déçus en raison d’une situation économique difficile, avec une inflation proche de 8% et un chômage persistant au-dessus des 15%. Ils rejettent aussi les « arrangements » entre partis, aux premiers rangs desquels l’alliance entre Nidaa Tounès et Ennahdha. Le Premier ministre Youssef Chahed a pris acte de cette abstention, estimant que c’était « un signe négatif, un message fort (…) pour les responsables politiques ».

Les jeunes étaient particulièrement peu nombreux à voter, selon les observateurs. « Je suis déjà tombée dans leur piège en 2014, je ne vais pas refaire cette erreur », lançait Kamilia Mlouki, une diplômée chômeuse de 23 ans, venue voter blanc.

Décentralisation accrue

Repoussées à quatre reprises, ces municipales constituaient les premières élections depuis les législatives et la présidentielle de 2014, alors saluées par la communauté internationale. Ce scrutin constitue « un pas important pour la stabilité du pays, pour la mise en place complète de la Constitution et pour servir de modèle au monde arabe », a estimé le vice-président du Parlement européen, Fabio Castaldo, chef des observateurs envoyés par l’UE.

Les 5,3 millions d’électeurs tunisiens inscrits ont voté pour élire les conseillers des 350 municipalités – parmi 57.000 candidats. Ces conseillers devront ensuite élire les maires d’ici la mi-juin. Le principal incident a eu lieu dans le bassin minier, où le scrutin a été annulé et reporté dans 24 bureaux de vote de Mdhilla (sud), a indiqué l’Isie, après un boycott en raison d’une confusion entre des bulletins de vote dans cette zone secouée de troubles sociaux récurrents.

Quelque 60.000 policiers et militaires – qui avaient déjà voté il y a une semaine par anticipation, pour la première fois de leur histoire – étaient mobilisés : la Tunisie est sous état d’urgence depuis une série d’attentats jihadistes en 2015. Dans la foulée de la chute du régime de Zine Al Abidine Ben Ali en 2011, les municipalités avaient été dissoutes et remplacées par de simples « délégations spéciales », dont la gestion a été jugée défaillante au fil du temps.

Ces municipales marquent en outre le premier pas tangible de la décentralisation, inscrite dans la Constitution de 2014 et l’une des revendications de la révolution. Sous la dictature, les municipalités n’avaient que peu de pouvoir de décision, étant soumises au bon vouloir d’une administration centrale souvent clientéliste. Le pays est désormais doté d’un Code des collectivités locales, voté in extremis fin avril, qui en fait pour la première fois des entités administrées libres et fortes d’un début d’autonomie.

Ce scrutin sera suivi de législatives et d’une présidentielle en 2019.

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