Migration: le ballet meurtrier des pateras reprend en Méditerranée

Depuis quelques mois, les migrants subsahariens et marocains en direction de l'Espagne empruntent de nouveau la voie de la mer à bord des pateras. Un voyage couteux et meurtrier.

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AFP

84 migrants répartis dans trois pateras ont été secourus dans l’après-midi du mardi 17 avril dans les eaux espagnoles d’Alboran. Le matin, 85 personnes dont dix mineurs supposés avaient déjà été secourus dans la même zone. Idem le lendemain, mercredi 18 avril, lorsque 53 migrants ont été secourus. Ils voyageaient vers les eaux hispaniques dans une patera en provenance de Tensamen. Un peu avant encore, le 9 avril, les corps de six migrants en direction de l’Espagne s’étaient échoués sur la plage de Houara près de Tanger. Parmi les victimes, quatre Marocains.

Depuis plusieurs mois, le nombre de départs de pateras marocaines à travers le détroit de Gibraltar en direction des côtes espagnoles ne cesse d’augmenter. Selon les derniers chiffres de l’agence européenne Frontex, 6.668 migrants irréguliers ont emprunté la route de la Méditerranée occidentale au troisième trimestre 2017 contre 2.987 à la même période en 2016. Fait nouveau : les Marocains sont de plus en plus nombreux eux-aussi à y embarquer. Selon l’agence Frontex, les ressortissants marocains ont représenté le tiers du flux observé. Ils sont les premiers à partir par voie de mer vers l’Espagne, suivis des algériens et des Ivoiriens.

Fermeture des frontières terrestres

« L’augmentation pourrait être attribuée aux arrivées sur des embarcations de grande capacité qui ont continué à être utilisées pour quitter le littoral marocain principalement par des migrants marocains« , analyse dans son rapport l’agence européenne. En effet, les activistes et ONG qui travaillent sur place sont unanimes : les migrants ont bien repris la voie de la mer.

« C’est un vrai phénomène en effet. Il ne s’agit pas de cas isolés. Les migrants se redirigent vers les côtes pour prendre la mer« , confirme Mohamed Benaïssa, président de l’Observatoire du nord des droits de l’Homme. Avant d’ajouter : « Et pour preuve, le nombre d’arrestations et d’affaires en justice de personnes qui voulaient traverser en pateras a augmenté ces derniers mois« .

Selon les activistes sur place, cette augmentation des tentatives d’immigration à travers la mer s’explique avec la fermeture des frontières à Melilla : « Depuis 2016 les autorités marocaines et espagnoles ont commencé à fermer les frontières terrestres entre Mellilia et Nador. Les migrants ne peuvent plus faire de passage en force car le contrôle y est de plus en plus strict. Ils sont entrain de construire la 4ème barrière et les militaires ne laissent plus passer personne« , explique Omar Naji, membre de l’AMDH Nador.

Même chose à Sebta où la frontière est elle aussi de moins en moins poreuse. En août dernier, l’Espagne avait par ailleurs décidé, en accord avec le Maroc, de fermer provisoirement le poste-frontière de son enclave de Sebta après plusieurs tentatives menées par des centaines de migrants subsahariens de gagner le territoire espagnol.

Une voie couteuse et meurtrière

Les migrants se sont donc redirigés vers les plages de Nador, d’Assilah et de Tanger principalement. « Le moyen le plus utilisé par les migrants marocains dans la mer Méditerranée est de traverser le détroit de Gibraltar à bord de bateaux en caoutchouc« , affirme l’agence européenne. Le trajet se passe alors ainsi : les migrants montent à bord d’une barque sur les côtes nord marocaines puis le passeur les emmène jusqu’à la sortie des eaux marocaines. Ils appellent alors les secours espagnols qui récupèrent les passagers.

Crédit : capture d'écran OIM
Crédit : capture d’écran OIM

Contrairement à la voie terrestre, voyager en pateras est très couteux pour les migrants. « Migrer à bord d’une pateras ou d’un Zodiac, coûte 1000 à 3000 euros par tête. Tout est contrôlé par les trafiquants« , explique Omar Naji. Les pateras étant beaucoup moins chères que les Zodiac, elle sont davantage empruntées.

Le militant rappelle également que la traversée du détroit en barque est aussi bien plus meurtrière. Notamment dans la mer d’Alboran, face à Almeria ou Malaga, où les eaux sont moins surveillées et où la navigation est plus longue. D’ailleurs, Omar Naji affirme que l’hôpital Hassani de Nador a reçu 14 cadavres en 2017 sans parler des nombreuses disparitions. Selon l’OIM, 223 migrants y ont laissé la vie en 2017, contre 128 en 2016.

De plus en plus de mineurs marocains

Autre fait nouveau : l’augmentation de l’immigration clandestine des mineurs marocains notamment dans ces bateaux de fortune. Toujours selon l’agence Frontex, 30% des migrants marocains appréhendés en 2017 étaient des mineurs. Selon le rapport de l’agence, cette catégorie est en croissance annuelle de 5% depuis 2015.

Pour Omar Naji, qui suit de près le sujet sur le terrain, « l‘augmentation s’est particulièrement fait sentir à partir de juillet 2017 car, aux migrants subsahariens, se sont ajoutés de nombreux jeunes marocains. Surtout des jeunes issus du mouvement du Hirak« .

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Bientôt un pacte entre l’Espagne et le Maroc ?

En février dernier, l’Espagne avait affirmé qu’elle souhaitait conclure un accord avec le Maroc sur la base de celui qui a été signé avec la Turquie en mars 2016. Ce pacte prévoit, entre autres, que tous les migrants en situation irrégulière (qui ne demandent pas l’asile ou dont la demande d’asile a été refusée) arrivant en Grèce par la mer soient refoulés en Turquie. En échange, l’Union européenne verse une aide financière de 3 milliards d’euros (renouvelable) à la Turquie pour qu’elle intègre correctement ces exilés.

Autre contrepartie: les pays membres de l’UE ont accepté d’ouvrir de nouveaux chapitres dans leurs négociations d’adhésion avec Ankara. Selon le quotidien espagnol ABC, en 2017, l’immigration clandestine vers l’Espagne a augmenté de 101,4% alors que les entrées par la Grèce ont diminué de 77%. La raison de cette baisse ? L’accord UE-Turquie signé en mars 2016 qui vise à réduire la migration illégale vers l’Europe.

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