Nabil Naim Abdelfattah: "Mon histoire avec Ben Laden et al-Zawahiri"

Il a côtoyé Ben Laden et Ayman al-Zawahiri en Afghanistan. Nabil Naim Abdelfattah, membre fondateur d'Al Qaida, nous raconte son long parcours, dont près de deux décennies passées en prison en Egypte.

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Nabil Naim Abdelfattah, l'un des fondateurs d'Al Qaida et compagnon de Ayman al-Zawahiri. Crédit: DR

Nabil Naim Abdelfattah est l’un des fondateurs d’Al Qaida aux côtés d’Ayman al-Zawahiri et Oussama Ben Laden. Cet Egyptien a participé à l’assassinat du président Anouar Sadate et a passé 18 ans en prison pour avoir pris part à la guerre en Afghanistan et aussi pour avoir recruté plusieurs de ses compatriotes, dont l’auteur de l’attentat contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001.

TelQuel Arabi l’a rencontré à Marrakech pour une interview où il revient sur son parcours et analyse l’évolution des mouvances jihadistes en Egypte.

TelQuel Arabi: comment avez-vous rallié les rangs d’Al Qaida ?

Nabil Naim Abdelfattah: Dans les années 1970, à l’université, j’appartenais au groupe « Al Jihad » fondé juste après la Nakba de 1967 par Ismaïl Tantaoui et Mostafa Alaoui. A cette époque aussi, la pensée du groupe « Attakfir Wal Hijra » (Excommunication et immigration) et de son fondateur Mostafa Choukri était très répandue.

Nous étions toujours en confrontation avec les adeptes de ce groupe autour de l’excommunication et ils avaient décidé de m’assassiner: j’ai reçu des coups de sabre à la tête et au bras. Quand j’ai quitté l’hôpital, un de mes amis m’a orienté vers un chirurgien pour suivre mon état de santé. Ce médecin était Ayman al-Zawahiri.

Une année après l’invasion de l’Afghanistan par les Russes en 1979, al-Zawahiri est parti rejoindre les Moujahidines et j’ai fait de même. Nous n’avions ni vivres, ni aides, ni matériel militaire. Les conditions étaient très dures et nous nous nourrissions de maïs pendant plusieurs mois. Au bout de six mois, al-Zawahiri est rentré en Egypte. Moi, j’ai tenu dix mois.

Que s’est-il passé après votre retour en Egypte?

En 1981, le président Sadate a été assassiné. Notre groupe, « Al Jihad », a été accusé d’y avoir participé. J’ai été arrêté avec Ayman al-Zawahiri et nous partagions la même cellule. Quand il a quitté la prison, il est reparti en Afghanistan et j’ai fait de même quelque temps après. Nous avons fondé Al Qaida et nous avons vécu plusieurs années ensemble.

Avez-vous participé à l’assassinat de Sadate ?

C’est moi qui me suis chargé de trouver les munitions grâce à mes connaissances au sein de l’armée, qui faisaient partie de notre organisation. A l’époque, il était interdit de parader avec des armes chargées.

S’il m’était donné de faire un retour en arrière, je ne le referais pas. Mais, à l’époque, Anouar Sadate a signé les accords de « Camp David » avec Israël et nous étions chauffés à blanc. Et il y a avait une autre raison plus importante: Sadate venait de promulguer une loi lui permettant d’arrêter toute l’opposition. Nous avons cru que s’il nous mettait derrière les barreaux, nous ne quitterions jamais la prison. Nous avons décidé d’en découdre avec l’appui du Cheikh Omar Abderrahmane qui avait émis une fatwa dans ce sens.

Et la suite ?

J’ai été incarcéré pendant cinq ans et il faut dire que nous vivions bien en prison lors des premières années du règne de Hosni Moubarak. Les choses ont radicalement changé au début des années 1990.

Après la prison, je suis reparti en Afghanistan. C’était entre 1986 et 1990. Des années que j’ai passées en compagnie de Ayman al-Zawahiri. Je suis rentré en Egypte sous une fausse identité, mais la police m’a arrêté à cause des aveux d’anciens jihadistes. J’ai été emprisonné sans procès, ni accusation.

Que faisiez-vous en Afghanistan ?

J’étais parmi les leaders d’Al Qaida. Je recrutais et aidais les Egyptiens candidats au jihad. A moi seul, j’ai recruté entre 80 et 100 personnes, dont Mohamed Atta qui a perpétré l’attentat du Trade Wolrd Center en 2001.

Ben Laden m’envoyait de l’argent en Egypte, chaque fois que j’en avais besoin, par le biais d’al-Zawahiri. Par exemple pour faire voyager cinq personnes, cela nous coûtait 5.000 dollars US. Je me chargeais du recrutement sans trop en savoir sur le passé des recrues.

Par la suite, j’ai passé dix ans en prison dans une cellule individuelle dont la superficie ne dépassait pas trois mètres carrés. Je ne voyais personne et personne ne se doutait même de mon existence. En 2003, on m’a mis avec les autres prisonniers, mais toujours sans procès. J’ai été libéré après la révolution de 2011, après 17 ans de prison.

Quelle était la nature de vos relations avec Ben Laden et al-Zawahiri ?

En Afghanistan, j’ai passé quatre ans dans la même maison que Ayman al-Zawahiri. Il me considérait comme une référence en théologie et prenait mon avis sur plusieurs questions ayant trait à la religion. Al-Zawahiri était quelqu’un de très intelligent et de bien élevé, mais son problème, c’est d’avoir été trop influencé par la pensée des Qotb, Sayyid et Mohamed. C’est ce qui explique sa radicalisation.

Ben Laden aussi était un disciple de Mohamed Qotb qui a enseigné dans les universités saoudiennes pendant 40 ans et qui a formé des générations d’extrémistes, dont Ben Laden.

Je connais Ben Laden depuis le début des années 1990 , grâce à al-Zawahiri. Nos relations étaient cordiales et j’habitais chez lui à chaque fois que je me rendais en Arabie Saoudite pour la Omra. J’ai aussi vécu avec lui quelque temps au Soudan.

Ayman al-Zawahiri était très cultivé, mais jugeait qu’il fallait combattre les Etats-Unis qu’il considère comme la source de tous les maux des pays arabes. Ben Laden était du même avis, sauf que nous étions occupés à combattre les Russes en Afghanistan.

Avez-vous pris part aux combats ?

A plusieurs reprises, à Kandahar, Jalalabad et Mazar-e-Sharif. J’ai pris les armes dans les années 1970 au Liban. En Afghanistan j’ai appris plus sur le remaniement des armes et je maîtrisais l’usage des mortiers.

J’ai été responsable d’un camp militaire et j’ai été blessé dans la plupart des combats qui ont eu lieu dans la région de Khost.

Vous avez été en prison entre 1994 et 2011. Qui a pris la décision de vos libérer?

La sécurité de l’Etat voulait me libérer, mais Hosni Moubarak a toujours refusé. A sa chute en 2011, un officier était venu m’annoncer tout simplement que j’allais quitter la prison le lendemain. Et toujours sans procès, ni décision de justice.

En prison, avez-vous fait votre autocritique ?

Je n’ai jamais été un extrémiste. En 2003, quand j’ai rejoint les autres prisonniers, j’ai été responsable de plusieurs mises en cause d’éléments extrémistes qui étaient adeptes de la pensée wahhabite et qui diffusaient l’idéologie de l’excommunication en prison.

Actuellement, nous assistons à une insurrection contre le wahhabisme en Arabie Saoudite. Une insurrection menée par le prince héritier Ben Salmane qui a dévoilé la vérité du royaume. En Arabie Saoudite, il y a une génération révoltée.

En prison, nous avions passé près de deux ans à débattre entre les divers courants de la pensée religieuse et nous nous sommes remis en cause.

Avez-vous des souvenirs d’Abou Moussab Al-Zarqaoui ?

En Afghanistan, il était parmi les plus jeunes combattants. Mais, en Irak, il n’a pas respecté les consignes de Ben Laden en décidant de faire exploser la mosquée Al-Houssayniyah (mosquée chiite). Ben Laden était très en colère, car il l’y avait envoyé pour combattre les Américains et non les chiites. Il lui a coupé les vivres.

Al-Zarqaoui s’est par la suite allié au parti Baath et c’est ce qui a contribué à l’émergence de Daech après son assassinat.

Que pensez-vous de la nouvelle génération des jihadistes et de l’Islam politique?

Les takfiristes (adeptes de l’excommunication) tuent des musulmans et font exploser des mosquées, à l’image d’Ansar Bait al-Maqdis (groupuscule qui a vu le jour en Egypte en 2011, NDLR). De la même manière, le jihad ne signifie nullement s’attaquer à des églises. Les chrétiens étaient là bien avant nous (en Egypte, NDLR) et personne ne s’en prenait à eux.

J’estime que le juste milieu que prône Al-Azhar est ce qu’il y a de plus adéquat pour l’Egypte. Chacun agit à sa guise et on n’aura besoin ni des Frères musulmans, ni du parti Annour ou des autres mouvances similaires.

Je pense aussi que Daech va disparaître en tant qu’organisation, mais va rester comme phénomène, car les causes religieuses et sociales qui ont favorisé son émergence sont toujours là: la pauvreté et le chômage.

Mais plus précisément?

Pour comprendre un kamikaze, il faut prendre en considération ses conditions sociales. Avec quelques textes religieux, ils en font un terroriste. Cela me rappelle la même situation de Bouazizi avant qu’il s’immole par le feu. C’est ainsi que je vois les choses en général.

(Ghassane El Kechouri. Traduction: Mohammed Boudarham)

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