Tribune libre: "journée de la femme", ou le commerce de la bienveillance sexiste

Par Elsa Walter

Le 8 mars, on "fête la femme" à coup de réductions sur les épilations du maillot, de desserts gratuits et de distribution de roses rouges en quantité industrielle. Comment détourner une journée internationale de lutte contre les inégalités femmes-hommes en une opération commerciale qui reproduit les clichés sexistes ? Mode d’emploi.

Des « Bonne fête!« , les femmes en sont, en ce soir du 8 mars, repues. Un parfum d’allégresse, sucré et léger, s’est répandu sur le royaume. Un effluve doux, comme est censée l’être « la » femme : gracieuse et lisse. D’ailleurs, le 8 mars offre une occasion rêvée à celles qui auraient oublié de contenir leur pilosité, de se refaire une peau soyeuse.

Les instituts de beauté rivalisent d’imagination pour offrir à ces dames, réductions sur les épilations, gommages gratuits, crème minceur… Mais cette douceur féminine est aussi célébrée à travers les plaisirs sucrés : « espaces gourmands  entièrement dédiés aux femmes » dans un célèbre restaurant de la corniche de Casablanca, dessert offert à ces dames dans un autre… sans oublier les boites de chocolats et macarons auxquels ont droit les employées, que les collègues masculins regardent manger en silence.

Certaines entreprises optent pour des gâteaux, d’autres pour des petits bracelets… Quelques enseignes, tout en encourageant les femmes à s’adonner à leur passion bien connue pour le shopping, semblent s’aventurer sur le terrain des revendications égalitaires: « pas besoin de talons pour être à la hauteur », peut-on lire sur une offre commerciale.

Mais dans ce vacarme promotionnel aux couleurs pastels, quelles voix s’élèvent pour rappeler ce qu’est vraiment la journée du 8 mars ? Issue des luttes féministes et sociales menées aux États-Unis et en Europe au début du XXe siècle, elle est officialisée par l’ONU en 1977,  qui la décrit comme « le point de ralliement des efforts coordonnés déployés pour exiger la réalisation des droits des femmes et leur participation au processus politique et économique ».

Si, dans de nombreux pays développés, des manifestations d’ampleur sont organisées, au Maroc les initiatives des mouvements pour les droits des femmes sont quasiment inexistantes. L’AMDH (Association marocaine des droits humains) a certes appelé à un sit-in devant le parlement à Rabat, qui ne devrait pas attirer les foules au vu des 11 participants confirmés sur l’événement Facebook.

De-ci, de-là, on croise sur les réseaux sociaux des publications dénonçant « un carnaval, une kermesse« , rappelant que le 8 mars n’est pas une « fête » que l’on souhaite comme la Saint-Valentin, mais un point d’orgue de la lutte contre les inégalités femmes-hommes.

Est-il finalement étonnant, quand même le mot « féminisme » fait peur même dans les milieux progressistes, que le 8 mars ne trouve pas d’écho autre que l’aubaine économique qu’il représente? D’aucuns répondraient que l’on ne peut en vouloir aux commerçants de saisir la balle au bond.

Mais pour s’engouffrer ainsi dans les clichés sexistes de la féminité exacerbée, il faut avoir un sens de l’ironie très développé, ou alors, ne même pas se rendre compte qu’en offrant ainsi des « douceurs » aux femmes, comme pour mieux endormir leurs combats égalitaires une année supplémentaire, on pervertit au dernier degré le sens de cette journée.