Zakaria Boualem et les passages piétons

Par Réda Allali

Les amis, il semblerait bien que nous nous soyons fourrés dans une situation inextricable. Telle est la terrible conclusion de notre héros, l’infatigable Zakaria Boualem, à la suite d’une série de réflexions qu’il va sans plus attendre vous livrer ici même. Il a l’impression, le bougre, que nous nous sommes enfoncés dans une série de problèmes qui sont tellement vieux qu’ils ont fini par se calcifier. Ils se prennent pour des données, et il est impossible d’en régler un seul sans en voir surgir une douzaine, encore plus tordus. Prenons l’exemple des passages piétons.

Description de l’existant : les piétons traversent n’importe où, Zakaria Boualem compris. A chaque fois qu’ils s’engagent sur la chaussée, ils bravent la puissance du métal et les lois de l’énergie cinétique pour rallier l’autre rive, sans le moindre complexe, mais vous savez tout cela. Décision de nos responsables : il faut les verbaliser, leur coller un procès de 25 dirhams, qui possède le double avantage de leur mettre dans la tête qu’il faut traverser au niveau des passages piétons et de faire tourner un peu l’économie nationale, nous avons des stades à construire.

Les deux paragraphes précédents, tels que vous les avez lus, semblent obéir à une logique implacable. C’est beau, c’est précis, et on pourrait même penser que ça va marcher. L’idée est limpide : à force de verbaliser avec enthousiasme, on finira bien par nous transformer en peuplade nordique, alignés avec abnégation devant un passage piéton pour traverser  dans la dignité au lieu de galoper comme des gnous sur les boulevards nationaux. Or, non, ça ne peut pas marcher, et voici pourquoi. Parce que la décision de nos responsables génère un sentiment d’injustice. On connaît le principe de la hamla : une application brutale de la loi limitée dans le temps et dans l’espace, au milieu d’un bordel généralisé, avec force gesticulations. On a donc décidé de verbaliser les gens au centre-ville de Casablanca, mais ils peuvent faire n’importe quoi au Maârif. Au moment où l’accusation de séparatisme est en promo, c’est une très mauvaise idée. Personne ne peut accepter ça.

Parce que c’est une décision incomplète. Il existe des boulevards entiers sans passages piétons, des zones où ils ont été effacés, des endroits où ils ont été oubliés. Comment gérer cette affaire sans se voir contraint par la puissance de la loi à faire sa vie d’un seul côté du boulevard ? Et pourquoi ne pas avoir prévu de verbaliser dans la foulée les automobilistes qui ne s’arrêtent pas au passage quand il existe ? Vous pouvez continuer la liste tout seuls, et ce serait inutile puisqu’il est très probable que les policiers auront arrêté de verbaliser les piétons avant même que cette chronique n’atterrisse sous vos yeux. Tout est donc rentré dans l’ordre, conformément à la définition de la hamla, et merci. Mais vous avez compris l’idée du Boualem : tout est tellement tordu chez nous qu’on ne sait pas par où commencer. C’est valable pour à peu près tout, et c’est affreux. Résultat, nous nous satisfaisons de notre état d’équilibre instable avec la seule ambition de le faire durer le plus longtemps possible. C’est légitime mais un peu angoissant. Il faut le dire sans plus de précautions : le Guercifi commence à douter de notre capacité à sortir des ténèbres pour construire le Maroc Moderne dont nous rêvons tous. En bon informaticien, il aurait tendance à proposer une mise à jour globale. Fermer la boutique et reprendre à zéro. L’administration, l’école, tout. Mais tout le monde sait que c’est impossible, il y a une affaire à faire tourner, et une Coupe du Monde à organiser. Si vous avez d’autres solutions pour sortir de cette impasse, il faut vous manifester les amis, sans plus attendre, et merci.