Comment la nouvelle taxe sur la pub digitale va asphyxier la presse en ligne au Maroc

La taxe de 5% appliquée aux publicités à la télévision est désormais élargie aux médias électroniques. Un coup dur pour ces supports déjà bien fragiles.

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Crédits photos : KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

C’est un choc. La semaine dernière, les éditeurs de presse en ligne ont appris une mauvaise nouvelle: depuis le 1er janvier, les investissements publicitaires sur le digital seront désormais taxés à hauteur de 5%.

Une mesure qui était passée inaperçue dans la loi de finances et qui leur a été annoncée via une note circulaire de la Direction générale des impôts (DGI). Comme on peut le lire dans le texte, le gouvernement prévoit « un élargissement de l’assiette du droit de timbre proportionnel relatif aux annonces publicitaires diffusées sur tous types d’écrans numériques (écrans publicitaires LED, écrans d’ordinateurs, androïdes, tablettes, etc.) ».

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Ce dispositif, relatif au droit de timbre de 5% sur les annonces publicitaires sur écran, concernait jusqu’à fin 2017 les spots publicitaires diffusés à la télévision ou sur les écrans de cinéma. Mais, « dans un souci d’adaptation au développement de nouvelles technologies de l’information dans le domaine publicitaire », explique la circulaire, il a finalement été élargi « à l’ensemble des annonces diffusées sur tous types d’écrans numériques ».

Une mesure fiscale que la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) juge, dans un communiqué publié mardi 30 janvier, « dangereuse, absurde et incompréhensible« . Les professionnels de la presse, qui seront les premiers à être impactés, sont sous le choc et dénoncent ce coup porté à l’équilibre déjà fragile des médias de presse en ligne. Ces derniers déplorent également de ne pas avoir été concertés avant de prendre une telle mesure.

Asphyxie des rédactions

« On est tous sous le choc ! Cette taxe va rendre encore plus vulnérable un modèle économique déjà très fragile, car la pub est notre principale source de revenus », déclare Samir Chaouki, directeur de publication d’Horizon Presse Groupe, dégoûté.

Il explique que cette nouvelle taxe aura un impact direct sur le business model du média: « La taxe sera facturée par les annonceurs sur notre budget global. Imaginons que le média gagne un million. À cela on enlève 15 % de TVA, 5 % de taxe. Cela représente une vraie réduction de budget pour, au départ, une assez petite somme finalement ».

Pour Mohamed Ezzouak, directeur de publication du site Yabiladi, cette taxe risque de « pousser dans la tombe » les médias les plus fragiles et « asphyxier » ceux qui s’en sortaient jusqu’ici un peu mieux. « C’est à nous de faire la déclaration avant la fin du mois de la pub diffusée le mois précédent et de verser les droits de timbre. On a donc un travail administratif en plus alors qu’on manque d’effectifs. Ensuite, on va devoir reverser la somme en fin de mois, ce qui représente une avance sur trésorerie qui risque d’être compliquée à gérer puisque la plupart des supports de la presse digitale connaissent de vrais retards de trésorerie« , continue Mohamed Ezzouak, qui est aussi président de l’Association de la presse marocaine digitale qui réunit une dizaine de pure-players marocains ( dont Hesspress, H24, Yabiladi, Huffington Post Maroc, Le Desk, Medias24.com…).

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Selon lui, cette taxe risque donc, à terme, de faire perdre des annonceurs à ces médias. « Ils vont nous dire: ‘pour 100 dirhams, on avait ça et maintenant on va avoir la même chose, pour plus cher ?’ Donc soit les annonceurs vont partir soit ils vont négocier et on risque, nous les éditeurs, de devoir payer la différence pour garder nos annonceurs. Or tout le monde sait qu’on n’en a pas les moyens« .

Une taxe qui aura, selon les différents acteurs du secteur, un impact direct sur la vie de la rédaction et le traitement de l’information. « C’est très simple. Puisque cette taxe va modifier directement notre business modèle, le premier impact sera celui sur le personnel. On fera surement moins, voire plus du tout de recrutement, et certains postes existants risquent de disparaître« , déplore Samir Chaouki.

Même son de cloche chez Yabiladi: « Il y a énormément de sites qui ne font pas les 5% de marge bénéficiaire et qui sont déjà en train de laisser partir des journalistes qui partent bosser pour des supports étrangers ou en freelance. Avec cette taxe, cela va être de pire en pire« . Le directeur de publication, très remonté, confesse d’ailleurs vouloir délocaliser son entreprise de presse en France pour « passer entre les mailles du filet » lui aussi.

Concurrence déloyale

Seules les annonces publicitaires sur les sites marocains seront taxées. Mais ce ne sera pas le cas des annonces publicitaires marocaines qui choisissent comme support des médias étrangers ou des réseaux sociaux.

« Environ 400 millions de dirhams de publicité ont basculé de la presse écrite vers le canal digital. Mais seuls 15% à 20% au maximum ont choisi la presse digitale. Le reste est allé vers Google, Facebook, les supports étrangers, les sites marchands à grande audience… », explique dans une tribune le fondateur du site Medias24, Naceureddine Elafrite.

Un « modeste » pourcentage, selon lui, qui est maintenant frappé par une taxe de 5%, laquelle épargne évidemment toute publicité qui sera affichée sur Facebook ou Google. « Le pire, c’est que la publicité sur Google ou Facebook est 50 à 100 fois moins chère que sur la presse marocaine. Une concurrence déloyale contre laquelle le Maroc n’a rien fait pour le moment« , poursuit-il.

Un avis que partagent la plupart des professionnels du secteur de la presse en ligne. « Aujourd’hui, Facebook et Google accaparent 70 % de la publicité des annonceurs marocains. Le reste est pour les supports locaux. Le gouvernement doit absolument trancher cette question pour protéger cette presse contre l’hégémonie de ces grands groupes qui vont finir par s’approprier la totalité de la publicité« , s’inquiète Samir Chaouki.

Pour son confrère Mohamed Ezzouak, cet « angle mort » de la mesure est très important : « On se battait déjà avant contre l’asymétrie qui existe avec ces grands groupes internationaux qui, contrairement à nous, ne payent pas la TVA. Alors qu’ils ont beaucoup plus de moyens que nous et beaucoup moins de coûts, ils sont acquittés de 20% de taxe au total ! Au-delà de la concurrence déloyale, c’est aussi un réel manque à gagner pour l’État« .

Selon Mounir Jazouli, président du Groupement des Annonceurs du Maroc (GAM), une rencontre devrait avoir lieu lundi 5 février, entre la direction de la DGI et les différents acteurs concernés pour dialoguer autour de cette problématique.

Une taxe qui s’applique à tous les supports en ligne

Il n’y a pas que les médias digitaux qui seront touchés par cette nouvelle taxe. Comme l’affirme la circulaire de la DGI, ce dispositif relatif au droit de timbre de 5% sur les annonces publicitaires sur écran concernait jusqu’à fin 2017 uniquement les spots publicitaires diffusés à la télévision ou sur les écrans de cinéma.

Aujourd’hui le gouvernement vient de l' »élargir la notion d’annonces publicitaires sur écran à l’ensemble des annonces diffusées sur tous types d’écrans numériques ». Ce qui signifie que les publicités diffusées sur les écrans publicitaires LED, les écrans d’ordinateur, de téléphones, tablettes… sont désormais concernés par cette taxe. Des supports numériques tels que les sites de petites annonces comme Avito ou encore Maroc Annonce sont donc, eux aussi, concernés par cette taxe.[/encadre]

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