Polémique sur le risque de "politisation" du CNDH

Les amendements du projet de loi 76.15 proposant d'intégrer des parlementaires ou encore de frapper du sceau du secret des enquêtes du CNDH divisent les membres de cette institution constitutionnelle et les parlementaires.

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Le projet de loi 76.15 relatif à la réorganisation du CNDH, actuellement en discussion au sein de la commission de justice de la Chambre des représentants, a pour but de rendre le texte régissant cette instance conforme aux dispositions de la Constitution.

Le CNDH, qui fêtera au mois de mars prochain son septième anniversaire attendait en effet une loi devant « fixer ses prérogatives, sa composition, son organisation, ses règles de conduite ainsi que les conditions d’incompatibilité des membres qui y siègent« , comme le rappelle l’article premier du projet de loi en question.

C’est sur ce dernier point que le torchon brûle entre l’institution dirigée par Driss Yazami et les parlementaires de la majorité qui ont communément déposé les amendements qu’ils souhaitent apporter au texte.

Une question d’incompatibilité

Les deux parties ont des divergences de vue sur la proposition d’intégrer 4 parlementaires (2 issus de la Chambre des représentants et 2 issus de la Chambre des conseillers) parmi les membres permanents du CNDH. Un amendement perçu comme une « tentative de politisation du fonctionnement du Conseil« .

« Vu que les parlementaires sont des acteurs politiques, la représentativité au sein du CNDH risque de subir le paradigme de majorité et d’opposition. Or, le parlement défend de facto les droits de l’homme au sein de l’hémicycle par le biais de ses deux commissions de justice, de législation et de droits de l’homme« , nous explique Mohamed Sebbar, secrétaire général du CNDH, évoquant une « incompatibilité« . Pour lui, la présence de parlementaires va « impacter négativement le travail au sein du Conseil qui garantit toute indépendance vis-à-vis des partis politiques« .

Le secrétaire général du CNDH souligne que sa position est motivée par l’une des recommandations du sous-comité d’accréditation de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’Homme (GANHRI) où le Maroc a été désigné représentant de l’Afrique. « Elle juge incompatible qu’un parlementaire siège au sein d’une institution nationale de droits de l’Homme« , déclare-t-il.

Pour autant, le responsable reconnait qu’il y avait une représentativité politique et syndicale du temps où le CNDH portait le nom de Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH, crée en 1990). « Les syndicalistes sont désormais présents au sein du Conseil économique social et environnemental (CESE) et les politiques se chargent du pouvoir exécutif et législatif« , rappelle Mohamed Sebbar.

Il écarte par la même occasion toute velléité du Conseil d’interrompre la coopération avec le parlement. « Nous avons contribué à l’élaboration du nouveau règlement interne des deux Chambres en tenant compte des principes de Belgrade qui organisent les relations institutionnelles avec le parlement. De même que nous répondrons présents à chaque fois que le parlement demandera notre avis sur une question posée« , nous répond-il.

Amendement « sur mesure »?

Au sein même de la majorité gouvernementale, des voix se sont élevées contre cet amendement. Comme cette députée USFP, dont le parti a voté pour cet amendement, mais qui nous rapporte – sous couvert de l’anonymat – que le groupe socialiste a « émis des réserves » sur ladite proposition.

« Ce sont des ententes dans le cadre de la majorité gouvernementale« , nous déclare-t-elle. L’élue dénonce « des surenchères politiques »  et « amendement sur mesure dans l’éventualité de se voir siéger au CNDH ».

La députée PJD Amina Mae El Ainine a un tout autre avis. Elle nous rappelle que le CNDH est partie prenante dans les discussions autour de sa réorganisation et que « les huit membres proposés par les présidents de la Chambre des représentants et celle des conseillers siègent actuellement au sein du CNDH« .

Concernant l’incompatibilité évoquée par Mohamed Sebbar, la députée de Casablanca nous déclare qu’il y a « des instances constitutionnelles où cette problématique ne se pose pas« . Elle en veut pour exemple « le Conseil supérieur de l’éducation, le Conseil de l’action associative ou encore l’Instance d’équité et de réconciliation où des parlementaires sont représentés« . Elle affirme en outre que l’amendement en question « ne touche en aucun cas l’indépendance du CNDH, ni ne pose de risque de sa politisation« .

Notre interlocutrice oppose aux recommandations du sous-comité d’accréditation du GANHRI, citées par le secrétaire général du CNDH, les Principes de Paris. Ces derniers « incitent les institutions nationales des droits de l’Homme à coopérer et à entretenir une concertation avec les autres organes institutionnels également chargés de la protection et de la promotion de ces droits« .

Elle rappelle que ces principes ont été ratifiés par le Maroc lors de son adhésion au Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de Genève. Ils « priment sur les recommandations du Sous-Comité d’accréditation du GANHRI« , souligne la députée, pour qui l’intégration de parlementaires au sein d’une institution des Droits de l’Homme figure « parmi les bonnes pratiques onusiennes« .

Quiproquo autour de la suspension d’une enquête ou investigation du CNDH

L’autre point de désaccord sur lequel la majorité tente de peser dans le cadre de ses amendements touche à l’alinéa 3 de l’article 5 du projet de loi. Ce dernier stipule que les pouvoirs publics peuvent suspendre les enquêtes ou investigations entamées par le CNDH et faire valoir le secret professionnel « dans le cas de la défense nationale, de l’atteinte à l’ordre public ou pour des considérations urgentes ou dangereuses« .

« C’est la loi qui octroie à l’État le droit de s’opposer ou de suspendre une de nos enquêtes ou investigations pour les raisons précisées dans le texte du projet de loi », nous précise Mohamed Sebbar. Le secrétaire général du CNDH rappelle que cette disposition est déjà incluse dans les actuels des statuts du Conseil.

Pour la députée Amina Mae El Ainine, « le droit légitime de l’État de suspendre ces enquêtes ou investigations doit être codifié afin de désigner avec clarté ces situations exceptionnelles« .

Cette question a notamment été soulevée en raison d’un rapport médical du CNDH qui n’a pas été rendu officiel, et dont des extraits qui ont fuité donneraient du crédit aux allégations de torture proférées par des détenus du Hirak du Rif. Des affirmations que la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) avait fermement démenties dans un communiqué .

Lire aussi: La Justice transmet le rapport du CNDH sur les détenus du Hirak aux procureurs de Casablanca et Al Hoceima

À ce sujet, le secrétaire général du CNDH ne pense pas que le maintien de cette disposition dans le projet de loi soit lié à ces fuites. D’après lui, au-delà de la polémique suscitée, le nouveau texte dote « pour la première fois » le Conseil d’un mécanisme national de prévention de la torture, conforme au Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants.

« Ce n’est pas un mécanisme de militantisme, mais de réforme et de précaution », insiste-t-il, indiquant que les rapports du CNDH demeurent confidentiels. « Le rapport légiste que nous avons fait sur les détenus d’Al Hoceima avait été rendu au ministre de la Justice qui était encore chef du parquet, afin d’être transmis au juge d’instruction qui avait demandé une expertise médicale« , précise Mohamed Sebbar. Il ajoute que la poursuite d’une enquête ou investigation du CNDH se fait « dès la levée de la suspension par les pouvoirs publics« .

Amina Mae El Ainine relève de son côté que « l’opposition par les autorités d’une enquête ou investigation du CNDH en cas de situation dangereuse est un terme beaucoup trop vague« . Elle explique qu’un amendement « doit apporter plus de précisions sur les exceptions citées dans l’alinéa 3 de l’article 5 du projet de loi« .

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