Reportage: Ouled Ziane, trois jours après les affrontements entre migrants et habitants

L'incendie d'un de leurs campements à Derb El Kébir (Casablanca), vendredi 24 novembre, a poussé tous les migrants subsahariens du quartier à s'entasser sur un terrain de football, situé devant la gare routière d'Ouled Ziane. Trois jours après le violent épisode, Telquel.ma a passé une après-midi dans le climat tendu de ce camp.

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Après les accrochages les plus violents qu'ils aient connus depuis leur arrivée massive, il y a deux ans, les migrants subsahariens ont trouvé refuge près de la gare d'Ouled Ziane (crédits: AICPRESS)

Des barrières de chantier entourent un petit terre-plein, le long du boulevard de la Croix. Le décor est si banal qu’on croirait à de simples travaux de réaménagement urbain, comme il y en a tant dans la capitale économique. C’est bien là, pourtant, que les flammes ont pris vendredi soir.

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Il n’y a pas longtemps à attendre avant qu’un témoin nous aborde pour nous livrer sa version des faits. Souleymane se reposait sur les canapés éventrés du camp, lorsqu’il a vu des dizaines de riverains débarquer avec des couteaux, des bâtons et des bouteilles. « J’ai eu la peur de ma vie », témoigne le Guinéen de 25 ans, les yeux encore emplis de terreur. « J‘ai cru qu’ils allaient tous nous assassiner. Par la grâce de Dieu et la protection de la police, on a réussi à échapper au massacre », raconte celui qui s’en est tiré avec quelques cicatrices sur les joues.

« Des affrontements avec des jets de pierres se sont produits (…) entre des jeunes Marocains et des groupes de migrants subsahariens », annonçait à la MAP la préfecture d’Al Fida-Mers Sultan, renvoyant les belligérants dos à dos. « Les forces publiques se sont empressées d’intervenir pour rétablir la sécurité et disperser les affrontements qui ont engendré l’incendie de déchets et de bennes à ordures. Aucun blessé n’est à signaler », indiquait la même source.

Peur au ventre

Souleymane est arrivé au Maroc en octobre 2016, après un long périple à travers les déserts malien et algérien. Désireux de poursuivre ses études d’informatique en France ou au Canada, il a tenté plusieurs fois de franchir les clôtures encerclant Sebta, sans succès.

Expulsé vers Casablanca, le clandestin a trouvé un précaire refuge dans le jardin de Derb El Kébir. « Des habitants du quartier venaient régulièrement nous insulter et nous prendre en photo comme des animaux. En pleine nuit, ils nous balançaient de l’eau et des cailloux depuis leurs fenêtres », accuse-t-il, montrant les balcons des immeubles en surplomb.

Le jeune garçon ne souhaite pas trop s’attarder dans la zone. Depuis ce week-end, il craint plus que jamais les agressions, et préfère se replier dans le cantonnement où lui et tous ses « frères » sont désormais parqués, à deux cents mètres de là.

Quelques Subsahariens sortent du kiosque rouge qui jouxte le square. À l’intérieur, Abdellatif Lamnwar explique qu’il sert chaque semaine plus d’une centaine de repas gratuits à ses « camarades ». « Des femmes du quartier viennent me déposer de l’argent pour que je prépare du couscous ou des spécialités africaines. Elles donnent aussi des vêtements », assure le souriant propriétaire, pour qui le « petit problème » de vendredi est déjà oublié.

Des chefs désignés pour gérer le camp

Des grilles du stade s’échappe une forte odeur d’urine. « Depuis trois jours, on interdit à tous ceux qui ont la peau noire d’accéder aux toilettes de la gare. On doit faire nos besoins près des arbres ou dans des sachets », justifie notre guide, qui n’a lui-même pas pu prendre de douche depuis deux semaines.

L’intrusion d’un journaliste blanc au milieu de centaines de subsahariens jouant au foot, déjeunant ou conversant, ne passe pas inaperçue. Rapidement, un attroupement se forme. Depuis les échauffourées, la présence policière a été renforcée.

Les esprits se calment. Un protocole se met en place. On nous désigne un siège de camping entre deux bâches, tendues grâce à un empilement de palettes. Le plus solide gaillard s’improvise gardien, menaçant d’un virulent coup de tuyau en caoutchouc quiconque voudrait s’approcher. Seuls les chefs, élus par les ressortissants de chacune des nationalités pour gérer le bidonville, sont autorisés à s’asseoir sur les couvertures et les matelas en mousse du QG.

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Quelques candidats sont sélectionnés parmi tous ceux qui se bousculent pour partager leur histoire. Kamis et bonnet noirs, Saïd déclare dans un flot ininterrompu de paroles qu’il vit « plus que l’enfer ici ». « Je n’ai pas du tout envie de rester au Maroc. La plupart des gens sont racistes. Ils ne nous aiment pas parce qu’on est noirs. Maintenant, soit ils nous laissent partir vers l’Europe, soit ils nous renvoient chez nous. L’Union africaine et l’Union européenne doivent nous aider », supplie cet Ivoirien de 17 ans qui dit ne plus accorder « aucune confiance » aux responsables politiques réunis à Abidjan, ces 29 et 30 novembre. 

« On doit se débrouiller », renchérit son compatriote Adam. Lui aimerait obtenir un permis de séjour pour au moins régulariser sa situation, mais son passeport lui a été confisqué à la frontière algérienne. Chassé de son pays par la guerre civile de la décennie 2000 en Côte d’Ivoire, ce père de famille a travaillé un temps dans la construction d’une mosquée à Agadir. « Je pense seulement à nourrir mes enfants. C’est tout, « safi ». On me traite régulièrement de sale nègre, mais je ne réplique jamais. Si tu as un problème avec un Marocain, tu seras toujours en tort », se résigne l’homme au blouson troué.

Le représentant malien appelle lui aussi à l’apaisement, demandant simplement à ce que les autorités lui ouvrent la « porte » vers le continent européen. Filant la métaphore, ce titulaire d’une maîtrise en langue anglaise se sent comme enfermé dans une maison de laquelle on l’empêcherait de sortir, sans pour autant s’occuper de lui. « Ils disent qu’on est dans un camp de réfugiés, mais ce n’est pas vrai puisqu’on n’a même pas de quoi boire ni manger. On a à peine de quoi se couvrir », s’insurge le prénommé Lassine, redoutant les premières pluies.

Derrière nous, la nuit est peu à peu tombée. Les sans-papiers sortis « faire la salam » (mendier, NDLR) regagnent leurs tentes ou leurs nattes étendues à même le goudron, exposées aux intempéries. Un mouvement de foule se propage soudain depuis l’entrée. « Ceux qui ont brûlé nos affaires vendredi reviennent. Ils essaient régulièrement de nous intimider. On s’en remet à Dieu. Mais si notre vie est en danger, nous ne nous laisserons pas tuer », préviennent les porte-paroles des migrants.

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