EDITO - Vous avez dit régionalisation ?

Par Aicha Akalay

Au fil de ses discours, le roi évoque régulièrement la régionalisation avancée. Il en énumère les vertus et les attentes. Pourtant, elle n’est jamais explicitée. Pire, la régionalisation est absente du débat public. Un concept flou pour le commun des mortels, et franchement pas attrayant pour les médias. On évoque la régionalisation avancée comme on parle de l’édification de l’Etat de droit, croyant qu’elle reste aussi abstraite et lointaine que ce dernier concept dont nous rêvons. Seulement, nous commettons ainsi une erreur de jugement importante car la régionalisation est bel et bien une réalité, placée au cœur de la réforme constitutionnelle, encadrée par de nombreuses lois organiques et ordinaires. TelQuel publie un livre très instructif réalisé par le think tank marocain Tafra sur le sujet. Il explique avec soin et pédagogie le cadre juridique de la régionalisation déjà effectif, ses différents échelons, leurs prérogatives, et détaille les profils de ses acteurs.

Il est ainsi aisé de comprendre, à la lecture de ce travail inédit, que la manière d’élaborer les politiques publiques au Maroc subit une mutation silencieuse mais profonde. Nous le savons, les grandes stratégies publiques élaborées à Rabat dans des cabinets ministériels pour l’ensemble du territoire ne se sont pas toutes soldées par des succès. Bien au contraire, les politiques sectorielles par exemple ont failli à leur dessein : contribuer au développement du pays, notamment par la création d’emplois. La régionalisation propose un autre modèle de développement — dommage qu’aucun responsable public ne la présente ainsi — où des solutions sont attendues des régions, portées par des élus locaux, les mieux à même de connaître le terrain et de proposer les projets les plus adaptés aux besoins des populations. Sur le papier, et au-delà de la question du Sahara — la régionalisation avancée étant régulièrement brandie uniquement pour étayer le plan d’autonomie proposé par le Maroc —, cette mutation de l’architecture de l’Etat est porteuse d’importantes promesses.

Comme toujours, de là à ce qu’elles se concrétisent, il y a beaucoup plus qu’un pas. La régionalisation telle qu’elle existe aujourd’hui pose déjà de nombreuses questions sur les prérogatives, et donc les responsabilités, des différents acteurs. Dans une logique bicéphale, l’architecture de la régionalisation est composée d’un côté par les élus (présidents de région et élus communaux), de l’autre par les nommés, des agents d’autorité (walis, gouverneurs, pachas et caïds). Le travail réalisé par Tafra démontre que les premiers ne sont pas toujours les mieux armés et les plus compétents pour gérer des projets de développement. Contrairement aux seconds, qui prouvent leur efficience sur le terrain. Pour dire les choses plus clairement, dans les douze ré- gions du royaume, la déficience en élites locales est un frein majeur à la régionalisation. Et permet donc au système de justifier une gestion autoritaire. Qui va donc la porter ? Peut-être que l’Etat gagnerait à sortir d’une logique dirigiste et écrasante en favorisant réellement l’émergence de compétences, en revoyant la grille des salaires dans la fonction publique, et en dotant les régions de moyens humains et financiers. Si tout cela pouvait se faire dans la transparence et sans un interventionnisme caché, non assumé et contraire à la Constitution, le Maroc aura peut-être l’ébauche d’un nouveau modèle de développement.