A la rencontre d'Abdelwahab Sibaouaih, un collectionneur sahraoui atypique

© Houssam Hatim

Autour d’un thé sahraoui, Abdelwahab Siabaouaih, l’héritier de la bibliothèque du grand lettré Abdel Baqi Sibaouaih, nous parle de sa collection de manuscrits d’antan. L’occasion de revenir sur les origines de cette collection, l’héritage familial, Tombouctou et le Sahara. Rencontre.

Tanger, centre culturel Ahmed Boukmakh. Le collectionneur Abdelwahab Sibaouaih, issu d’une grande tribu de lettrés du Sahara, nous reçoit dans sa tente pour parler de son exposition durant la deuxième édition du Festival international Ibn Battouta. La manifestation célèbre la richesse et la diversité de la culture marocaine sous le thème « Les voyageurs, ambassadeurs de la paix ».

Comment a-t-il pu recueillir toutes ces œuvres? Les salamalecs d’usage expédiés, il nous invite sous la khaïma (tente) faite de coton écru type malican. Les réponses attendront, le quinquagénaire s’improvisant Qayam (préparateur d’un thé, NDLR). « Aucune assemblée ne peut être tenue ni aucune discussion sans le thé », nous dit-il en allumant le charbon.

© Houssam Hatim
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Passé le cérémonial du thé, nous pouvons enfin rentrer dans le vif du sujet. L’occasion de découvrir le côté bourlingueur de notre hôte. De Boujdour, sa ville de résidence, Abdelwahab Sibaouaih a dû parcourir quelque 1.600 kilomètres pour exposer à Tanger sa collection de manuscrits et documents vieux de dix siècles.

« Quand j’étais petit, mon père insistait pour que je lise ces manuscrits« , nous confie d’emblée l’héritier de la bibliothèque du grand lettré Abdel Baqi Sibaouaih. Depuis six générations, la famille d’Abdelwahab, l’une des grandes tribus du Sahara, collectionne les livres et documents anciens.

Ce qui explique, en partie, la passion particulière du descendant de cette lignée d’imams, érudits et juges pour les parchemins calligraphiés, les vieux manuscrits et les feuilles à peine reliées les unes aux autres par un lien de cuir.

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Silence. Le cérémonial reprend. « Bismillah », murmure notre hôte en nous servant un verre de thé sahraoui. « Ne me limitez pas à un simple héritier de documents historiques« , insiste-t-il. En effet, outre l’héritage de la bibliothèque familiale du grand lettré Abdel Baqi Sibaouaih, Abdelwahab fait de la collection son métier.

Livres anciens, corans, amendements, actes de mariage, correspondances, décision juridiques… aucun genre ne lui échappe. « En grandissant, j’ai compris que la sauvegarde de ces textes anciens était une responsabilité envers la société sahraouie », résume-t-il.

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Abdelwahab Siabaouaih s’est procuré plusieurs ouvrages de Tombouctou. Il décrit la région malienne comme « un marché noir à ciel ouvert » en listant tous les objets précieux qu’il a retrouvés sur place: « manuscrits, gravures, bijoux anciens… tout vient du Mali ». Les réfugiés maliens sont confrontés à un choix cornélien, entre voir mourir leurs enfants ou vendre leurs manuscrits. « Vous connaissez les effets de la guerre, le choix est évident » théorise le quinquagénaire, la voix pleine de déception.

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Abdelwahab reconnaît l’irrégularité de ses achats, mais pour lui, « c’est mieux que de laisser disparaître des livres« . Il poursuit: « ça me fait mal de voir des manuscrits écrits il y a des siècles traités comme une bouteille d’eau qu’on peut jeter et racheter. S‘ils sont détruits, qu’est-ce qu’on va faire ? C’est pour ça que je les ai achetés. » 

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Pour le collectionneur, « toute l’histoire du Sahara se trouve ici. Preuve en est que nous ne sommes pas qu’une société orale« . Ces manuscrits représentant un miracle pour notre interlocuteur qui s’en fait l’apôtre. « Ce n’est une oeuvre ni pour moi ni pour les Marocains, mais pour les citoyens du monde, pour l’humanité« , nous déclare-t-il.

© Houssam Hatim
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Aujourd’hui, Abdelwahab Siabaouaih souhaite que ces documents « ne laissent aucun doute sur l’attachement culturel et spirituel des habitants du Sahara aux différents sultans du Maroc« . Il appelle de ses voeux un musée au Sahara pour faire bénéficier son « trésor » aux « universitaires, aux assoiffés de savoir et aux aficionados de science« , mais surtout pour que cet héritage séculaire qui porte la mémoire de toute une région ne finisse pas en casse-croûte pour les insectes.

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