Reportage: Les minutes de la première audience du procès de Zafzafi

Yassine Toumi/TELQUEL

À la Cour d’appel de Casablanca, un climat de tensions entre avocats et juges a plané sur toute l’après-midi et la soirée du mardi 24 octobre lors des audiences de Nasser Zafzafi, Nabil Ahamjik et Hamid El Mahdaoui. Récit du premier passage de Zafzafi devant la Justice.

Le procès de Nasser Zafzafi s’est ouvert ce mardi 24 octobre dans une atmosphère tendue marquée par des suspensions à répétition et des joutes verbales entre le comité de défense des détenus du Hirak et le procureur du roi à la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Casablanca.

Après une interruption de plus d’une heure, la première audience du procès de Nasser Zafzafi et de 31 autres détenus du Hirak reprend vers 14h30. Alors que les avocats présentent leurs requêtes de libération provisoire des détenus du Hirak, une phrase prononcée par Me Khadija Rougani provoque l’ire du substitut du procureur, entraînant la suspension de la séance par le juge.

L’avocate estime que « l’indépendance du Parquet est une farce« . La virulence du mot se fait ressentir chez le public qui sort de son mutisme pour soutenir l’avocate. Le substitut du procureur, Hakim Elouardi, sort de ses gonds, interrompant la plaidoirie de Me Rougani, pour réclamer avec véhémence que la défense « retire ses propos« .

Un affrontement verbal éclate alors entre les deux parties, obligeant le président de la Cour, qui est resté de marbre malgré les échanges d’invectives entre les deux parties, à suspendre la séance à 16h45.

« Vous ne me battrez pas ! »

La séance reprend 30 minutes plus tard, et le juge demande à l’avocate de retirer ses propos. Celle-ci ne s’étant pas ouvertement rétractée, la tension monte d’un cran et une autre joute verbale aurait éclaté sans l’intervention de l’avocat de la partie civile, Abdelkebir Tabih, qui s’est interposé pour que cet  »incident soit oublié afin de poursuivre la séance« .

Plus tard, Me Isaac Charia prend la parole, étayant ses arguments en faveur de la libération des détenus. Sur un ton solennel, l’avocat avance que son client Nasser Zafzafi « est enfermé depuis cinq mois dans une cellule individuelle », ajoutant qu’il est « dénudé avant et après ses rencontres avec ses avocats« .

Sur l’écran géant de la salle, le leader du Hirak semble grave, la mine dépitée. À quelques mètres de nous, son père réagit aux interventions des avocats et du procureur, alternant les sourires ironiques et les mimiques de protestation. Une nouvelle dispute éclate lorsque Me Charia cite la partie civile au détour d’une phrase, provoquant les contestations de Me Tabih qui exige que l’on « discute de la liberté provisoire, et non de la partie civile« .

« L’indépendance du Parquet est indiscutable », clame le substitut du procureur, en réponse aux propos de Me Rougani. La phrase semble amuser quelques avocats devant nous, des sourires se dessinent sur leurs visages. Le magistrat explique que « le Parquet s’est référé à l’article 160 du Code de procédure pénale pour demander l’arrestation et la détention provisoire des détenus« .

La séance est de nouveau suspendue à 18h45 lorsque les avocats et l’assistance protestent contre les propos du substitut du procureur qui a estimé que les allégations de torture de Zafzafi n’étaient que « des paroles enthousiastes qui nécessitent de mûrir« . Reconduit par les policiers au box des accusés, Nasser Zafzafi enflamme à nouveau le public. « Vous ne me battrez pas! Le procureur ment! Ramenez la mafia et jugez-la« , hurle-t-il.

Nabil Ahamjik suspend sa grève de la faim

La nuit tombée, le juge ouvre la 4e séance d’un autre groupe de détenus du Hirak. Ils sont 21. parmi eux, Nabil Ahamjik, le n°2 du mouvement de protestation rifain. Appuyé à la barre, il fait savoir au président que son « état de santé s’est sérieusement dégradé« .

Sa voix est faible et il traîne les pieds pour retourner à sa place. Le bâtonnier Abderrahim Jamai fait de l’état de santé des grévistes de la faim le fer de lance de sa plaidoirie, priant à maintes reprises Nabil Ahamjik de déclarer publiquement la suspension de sa grève. Il est autorisé par le juge à se présenter à la barre. « Dieu, faites qu’il arrête sa grève« , soupire la mère d’Ahamjik.

« En réaction aux appels de mes avocats et de ma famille, en réponse à l’intervention du roi qui a démis de ses fonctions les corrupteurs…« , commence-t-il avant d’être interrompu par le juge. La salle se lève pour réclamer qu' »on le laisse parler« , mais le magistrat lève la séance avant que le détenu ne termine sa phrase. Sa mère s’évanouit. A-t-il interrompu sa grève ? Le doute reste total chez les journalistes. Ils en obtiendront la confirmation auprès des avocats au sortir du tribunal.

Plus tard, c’est au tour de Hamid El Mahdaoui, journaliste poursuivi pour « non-dénonciation de crimes portant atteinte à la sûreté de l’État« , de passer devant le juge. L’occasion pour ses avocats de déposer leur requête de libération provisoire de leur client, déjà condamné 1 an de prison par la Cour d’appel d’Al Hoceïma, pour « incitation d’individus à commettre des délits par des discours et des cris dans des lieux publics« .

Si la défense estime que cette peine privative de liberté représente une garantie totale pour la libération du journaliste, le parquet campe sur ses positions, plaidant le maintien de la détention provisoire auprès du juge. À minuit, la fatigue avait usé avocats, juges, journalistes et familles. Le président de la Cour annonce le report de l’audience au 31 octobre, soit le même jour que pour Zafzafi et Ahamjik.

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