Analyse: Aux origines de la "crise des partis politiques"

Dans un article publié sur le site du think tank Tafra, la politologue Mounia Bennani-Chraïbi décrypte les origines de la "crise des partis politiques" suite au discours de Mohammed VI du 29 juillet qui les pointe du doigt.

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Le roi est bon, la classe politique est mauvaise », un mythe à bout de souffle ? Fadel Senna/AFP

« Le roi est bon, la classe politique est mauvaise« . Ce mythe – ce « cache-sexe de l’autoritarisme » – serait-il « à bout de souffle » ? C’est ce que se demande la politologue Mounia Bennani-Chraïbi, professeure à l’Institut d’études politiques, historiques et internationales (IEPHI) et membre du Centre de recherche sur l’action politique (CRAPUL) à l’Université de Lausanne, qui publie un article publié par le think tank Tafra le 18 août.

Blâmer les partis d’avoir un « bilan décevant » lors du discours royal du 29 juillet serait alors un moyen de « remettre en place ce mythe » puisque le « récit selon lequel la classe politique est à l’origine de tous les maux perd de son efficacité » selon la politologue. « Tout en décriant les partis politiques, les protestataires affirment haut et fort que l’essentiel du pouvoir est entre les mains du roi« , explique la politologue qui se demande si « le guérisseur autoproclamé » ne serait pas « l’une des sources du mal« .

Ce ne sont pas tant « les partis » qui sont en crise (…), c’est le cache-sexe de l’autoritarisme, « le roi est bon, la classe politique est mauvaise », qui trahit des signes d’usure pour la politologue.

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Comprendre la « crise des partis » actuelle

Parler de la crise des partis n’est pas nouveau. « Le parti politique défaillant est un personnage ancien » depuis que « le Palais s’est imposé en acteur dominant du jeu politique« , note Younes Benmoumen, président de Tafra, en avant-propos. Cela remonte au roi Hassan II, qui a voulu disqualifier les partis issus du Mouvement national. Depuis le règne de Mohammed VI, les partis faibles sont une manière de légitimer la monarchie, où le roi devient le « prince éclairé au chevet de l’homme malade » qui leur « prescrit des remèdes« .

Dans l’article publié sur Tafra, Mounia Bennani-Chraïbi revient sur les divers facteurs qui expliquent l’affaiblissement des partis qui s’explique notamment par des partis qui fonctionnent comme « une confrérie et une tribu » et l’instauration du pluripartisme pour casser les aspirations hégémonistes du Mouvement national. La politologue parle aussi d’un « autoritarisme électoral » où, malgré des élections régulières et compétitives, le pouvoir tutélaire de la monarchie reste présent et dispose de domaines réservés dans être soumis à une reddition des comptes.

Capacité d’adaptation des partis

Selon Mounia Bennani-Chraïbi, « les partis politiques établis ont déployé de fortes capacités d’adaptation » à leur environnement. « L’arène protestataire s’est étendue et les challengers ont accumulé des apprentissages au point de concéder volontiers que « la classe politique est mauvaise », mais pour mieux mettre le « bon roi » au pied du mur« , analyse-t-elle. « La reconfiguration de la scène politique instituée [lors du pacte entre Youssoufi et Hassan II instaurant l’alternance consensuelle] a conduit les partis établis  à s’adapter aux nouvelles règles du jeu. (…) Désormais, leur force réside dans leur faiblesse« , conclut-elle.

Le nouveau scrutin à liste proportionnelle a été officiellement instauré par Youssoufi pour « politiser et à dépersonnaliser le vote« , explique-t-elle, alors qu' »officieusement, l’enjeu est d’endiguer la progression électorale du PJD et, plus globalement, d’empêcher un seul parti de rafler la mise de la libéralisation politique« . « L’ingénierie électorale mise en œuvre par le gouvernement de Youssoufi est révélatrice d’objectifs contradictoires, annonciateurs des ambivalences des réaménagements qui se mettent en place », analyse Mounia Bennani-Chraïbi.

Ensuite, la politologue prend pour exemple l’adaptation des partis face à la nécessité d’être adoubé par un Palais qui agite l’éventail d’une classe politique incompétente, où l’excellence technocrate devient la norme :

Pour optimiser leurs chances dans la course aux mandats, la plupart des partis établis se sont disputé des « malin chekkara » (les hommes au portefeuille). Dans certains cas, ils sont parvenus à concilier la contrainte financière avec l’injonction de la « bonne gouvernance » néo-libérale, en mettant en avant des profils « technocratiques », d’« entrepreneurs » ou de « managers ».

Le Palais plus fort que la base électorale

Pour Mounia Bennani-Chraïbi, Abdelilah Benkirane a été mis « hors jeu (…) faute d’adoubement royal« .  Doté d’une large base électorale et de militants, « ce parti est perçu comme trop fort » et dérange le Palais. « Dans le Maroc d’aujourd’hui, avoir d’importantes bases électorales et militantes a beaucoup moins de poids que l’assentiment du Palais« , explique la politologue.

Etre trop asymétrique avec les autres partis, en devenant plus puissant et majoritaire, est dangereux aux yeux du Palais. « Lorsqu’un parti aspire à participer au jeu politique marocain, avoir un réservoir de militants et faire appel aux rouages de la démocratie interne devient tôt ou tard contraignant », explique la politologue en prenant l’exemple du PJD.

Le PJD est tiraillé entre deux tendances : ceux qui mettent en avant la démocratie interne et l’«indépendance » du parti (ce sont les mêmes qui ont été écartés du gouvernement et qui sont en position de mobiliser la base militante partisane) ; ceux qui persistent à accorder la priorité au « pragmatisme » (et qui ont été adoubés par le Palais).

A ce jeu-là, le PJD sort perdant. « La faiblesse du PJD réside dans sa force : l’asymétrie électorale grandissante entre lui et les autres joueurs continue à entraver sa normalisation« , souligne Mounia Bennani-Chraïbi. Au contraire, la plupart des partis politiques ont érigé leur faiblesse en force, en transformant leur minorité en force. La politologue prend l’exemple des dernières élections législatives où la présence de l’USFP, 5% des sièges, a été le prix d’un blocage gouvernemental long  de six  mois.. De même , la politologue estime que  le RNI, qui a obtenu 10% des sièges, « a bénéficié de ministères stratégiques » et Aziz Akhannouch, « homme du Palais, s’est érigé en chef de gouvernement de fait« .

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