CAN 2019: partie d'échecs entre le Cameroun, le Maroc, et la CAF

Depuis que la capacité du Cameroun à organiser la CAN 2019 a été publiquement remise en question par le président de la CAF, les sorties des responsables camerounais, jusqu'aux plus hauts sommets de l'État, se multiplient pour rassurer. Derrière, se pose toujours la question du changement du cahier de charges en pleine exécution du contrat.

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Le trophée de la Coupe d'Afrique des nations. Crédit: AFP
Le trophée de la Coupe d'Afrique des nations. Crédit : AFP

Pour Ahmad Ahmad, président de la Confédération africaine de football (CAF), « au jour d’aujourd’hui avec les standards et le cahier de charges qui est en place aujourd’hui, aucun site au Cameroun n’est disposé à accueillir la CAN« . Le président de la CAF s’exprimait ainsi le 5 août lors d’une visite au Burkina Faso.

Une sortie médiatique qui a suscité de vives réactions au pays des champions d’Afrique en titre. Issa Hayatou, prédécesseur d’Ahmad à la tête de la CAF, estime ainsi que le Malgache aurait dû « d’abord venir constater avant de sortir ce qu’il a sorti », alors qu’une mission d’inspection commanditée par la CAF est attendue au Cameroun dans les prochains jours.

L’affaire est même remontée jusqu’au sommet de l’État. Paul Biya, président de la République en personne, a même pris la parole. « Le Cameroun sera prêt le jour dit. J’en prends l’engagement« , a-t-il déclaré, sous les ovations de son auditoire, lors d’un discours prononcé au palais présidentiel le 10 août.

La presse camerounaise a mis la puce à l’oreille de la CAF

Si les déclarations se sont multipliées depuis la sortie musclée d’Ahmad Ahmad, les inquiétudes sur la capacité du Cameroun à honorer le rendez-vous de 2019 remontent à plusieurs mois déjà. « C’est la presse camerounaise qui a commencé à tirer la sonnette d’alarme. Nous avions constaté qu’à deux ans de l’échéance nous n’étions qu’à 25% de réalisation du chantier », nous explique le journaliste Hervé Junior Menom.

« Il a fallu ce courroux de la presse pour que les entreprises chargées de la construction des stades nous expliquent que le mode de livraison serait différent. Les stades prévus pour cette CAN sont en fait des stades préfabriqués qui seront assemblés sur place. Des ingénieurs de génie civil que nous avons interrogés nous ont confirmé que c’est la nouvelle norme utilisée pour la construction des stades« , poursuit notre source. D’après Hervé Menom c’est ce processus qui aurait d’ailleurs servi pour les stades olympiques d’Athènes, et de Rome.

La même source nous certifie que la réception des éléments devant servir pour la construction du stade de Japoma (50.000 places, en périphérie de la capitale économique Douala, NDLR) a débuté début août. Le programme initial prévoit que l’enceinte soit inaugurée en 2018…

Le symposium qui a tout bouleversé

Les inquiétudes des médias camerounais sont visiblement remontées jusqu’à la CAF qui tenait au Maroc un symposium suivi d’une assemblée générale du 18 au 19 juillet. Quelques jours avant, Faouzi Lekjaa, président de la Fédération royale marocaine de football, et accessoirement l’un des vice-présidents de  la CAF, déclarait lors d’un entretien accordé à L’Economiste: « Le Cameroun devait l’organiser dans un ancien format. Le Cameroun sera-t-il capable de remplir les nouveaux cahiers des charges, nous le saurons dans les prochains jours. En cas de non-capacité, l’ouverture à la candidature d’autres pays sera annoncée« .

Le président de la FRMF a également affirmé que « le Maroc n’hésitera pas une seconde à répondre favorablement à une doléance de la CAF pour abriter cette CAN. D’ailleurs en 2015, à cause de l’épidémie Ebola, le management camerounais nous a privés de l’organisation de cette compétition. En 2019, nous remplacerons le Cameroun pour accueillir la CAN. C’est la revanche de l’histoire« .

À l’issue de sa réunion au Maroc, le comité exécutif de la CAF entérine le passage à 24 équipes dès la prochaine CAN, et accentue la pression sur le Cameroun qui ne se démonte pas pour autant. Dès le 18 juillet, le ministre des Sports camerounais, Pierre Ismaël Bidoung Mkpatt, donne une conférence de presse lors de laquelle il affirme: « L’examen général de l’Etat des infrastructures nous permet de relever que sur les 32 stades dont disposera le Cameroun, les 11 qui ont servi lors de la CAN (féminine, NDLR) 2016 sont prêts, disponibles, et fonctionnels. Les 21 autres sont en construction ou à réhabiliter. Parmi ceux-ci, 14 sont à réhabiliter. Restent 7 à construire. Les travaux des deux complexes les plus prestigieux, en l’occurrence Olembe (60.000 places, en périphérie de Yaoundé, NDLR) et Japoma ayant déjà démarré« .

Le Cameroun ne se résigne pas

Le ministre des Sports reconnait lors de cette même conférence des perturbations dans l’agenda, qu’il impute notamment à « la conjoncture économique actuelle et à la préservation de la sécurité » du pays, en lutte depuis de longs mois contre les extrémistes de Boko Haram. Junior Menom concède de son côté que les entreprises chargées de la construction des complexes de Japoma et Olembe ont été confrontées à « des lourdeurs administratives« , et ne pourront livrer, dans les délais impartis que les stades, sans les infrastructures annexes (terrains de handball, piscines, etc.).

Tous se rejoignent néanmoins pour dire que pour 2019, le nécessaire sera disponible. Une position réitérée par le gouvernement lors d’une conférence de presse tenue le 4 août, à la veille de la sortie du président Ahmad. « Je voudrais réitérer ici le ferme engagement du gouvernement à organiser la CAN 2019 dans le format décidé par la CAF, c’est-à-dire à 24 équipes« , avait martelé le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary.

Une question de droit

Au-delà des infrastructures qui seront disponibles (ou pas) pour la CAN 2019, une question essentielle se pose: celui du changement de format de la compétition, alors que les phases éliminatoires pour celles-ci sont déjà engagées. En effet, la CAN 2019 a été attribuée au Cameroun en 2014, et le format des qualifications prévoit 12 groupes dont les premiers sont directement qualifiés, en plus des trois meilleurs deuxièmes et du pays organisateur. La CAF n’a d’ailleurs pas encore communiqué sur un nouveau format à adopter pour ces éliminatoires.

« On ne réforme pas une compétition déjà engagée« , insiste Hervé Menom. En effet, des changements de formats ont également été décidés pour des compétitions majeures comme l’Euro et la Coupe du monde, sans que cela prenne effet directement après la décision. Le passage à 24 équipes en Coupe d’Europe a par exemple été décidé en septembre 2008, mais n’a été appliqué qu’à partir de l’Euro 2016 en France, après l’édition de 2012 co-organisée par la Pologne et l’Ukraine. De même, le passage à 48 équipes en Coupe du monde, acté en janvier 2017 par la FIFA, ne sera appliqué qu’à partir de la Coupe du monde 2026. La Coupe du monde de 2022 au Qatar ne devrait donc pas voir son cahier de charges modifié.

L’empressement de la CAF à exécuter sa décision aussitôt après sa dernière assemblée générale alimente la théorie d’une décision contraire aux intérêts du Cameroun. Les déclarations de Fouzi Lekjaa à L’Économiste donnent du grain à la machine. « Lorsque nous sommes arrivés au Maroc (pour le Symposium et le Comité exécutif de la CAF, NDLR), les gens nous ont approchés. Ils nous ont dit que notre CAN avait déjà été achetée par d’autres. Au départ, nous n’avons pas voulu écouter ces gens-là. Mais les choses se passent comme si c’est vrai« , a lâché Sidiki Tombi A Roko, président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), sur RFI le 8 août, après avoir exprimé sa « profonde consternation dans un communiqué publié au lendemain des déclarations d’Ahmad Ahmad.

Si officiellement, le Cameroun a opté pour la tempérance et joue la carte de l’assurance quant à sa capacité à honorer le nouveau cahier de charges, il pourrait saisir le Tribunal arbitral du sport (TAS), et même obtenir gain de cause.

« On n’aura pas de mal à casser la décision de la CAF, nous en avons les moyens et d’excellents avocats« , nous affirme Abdouraman Hamadou Babba, le président de l’Étoile filante de Garoua. Seulement, il n’est pas sûr de voir la Fécafoot avoir recours à l’instance qui avait annulé la suspension infligée au Maroc par la CAF, lorsque le Royaume avait renoncé à organiser la CAN en raison du risque d’Ebola. Et pour cause: « L’exécutif actuel de la Fécafoot est un exécutif sans mandat », relève Abdouraman Hamadou. En effet, le processus électoral qui a porté Tombi A Roko à la tête de la Fécafoot en 2015 a été contesté par le président d’Étoile filante, qui a obtenu raison auprès du TAS.

En d’autres termes, le bureau actuel de la fédération camerounaise ne dispose pas de la légitimité nécessaire pour saisir le TAS. « La qualité fait défaut à Tombi A Roko, qui ne peut pas parler au nom de la Fécafoot. Tous ses actes sont nuls et sans effet« . Une situation qui place donc la CAF et Ahmad Ahmad en position de force. Pour autant, la partie d’échecs qui s’est engagée promet encore quelques rebondissements.

C’est en tant que président d’un club affilié à la Fécafoot, Abdouraman Hamadou a saisi le TAS pour contester l’applicabilité du changement de format de la CAN – et donc de son cahier de charges – en pleine exécution du contrat. Le TAS a accusé réception du dossier, et ouvert son instruction le 3 août, d’après le président d’Etoile filante, qui se dit convaincu que le président de la CAF « a retiré la CAN au Cameroun depuis longtemps« .

Avec un imbroglio juridique en toile de fond, la visite de la commission d’inspection mandatée par la CAF du 20 au 28 août prochain s’annonce décisive. En effet, un avis défavorable de cette mission d’inspection pourrait lancer un long feuilleton juridique, à deux ans seulement d’un évènement que le Cameroun, quintuple champion d’Afrique, n’a plus organisé depuis 1972. Un autre siècle.

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