Fatym Layachi - L’herbe est plus verte

Par Fatym Layachi

Tu viens de rentrer et tu es épuisée. Tes vacances étaient moralement éreintantes. Tu viens de passer une semaine avec ta famille. Tu te demandes comment tu as bien pu accepter de partir avec eux dans cette grande maison louée sur Internet. Ta mère et ses sœurs sont tellement bruyantes que tu adorerais t’offrir une cure de silence. Et puis, il y avait tes oncles et leurs grandes certitudes, tes cousines et leur envie de faire la fête à tout prix, tes cousins et leur arrogance à toute épreuve. Tu étais donc entourée de ces personnes à qui tu ressembles autant qu’elles t’angoissent. Une belle ambiance de fraternité apparente saupoudrée d’une bonne dose de relations dysfonctionnelles que la psychologie de comptoir adorerait analyser.

Tous les ingrédients d’une parodie de tragédie grecque étaient réunis. Ça aurait pu péter mais, comme toujours avec vous, ça n’explose pas, ça sauve les apparences. Vous êtes arrivés dans cette charmante petite ville en bord de mer après une traversée de la Méditerranée en cortège de grosses voitures : berlines noires pour les parents, 4×4 pour les jeunes. Tout ce beau monde se suivait sur la route. Vous aviez beau être les uns derrière les autres, ça ne vous a pas empêchés de vous appeler au téléphone. La route t’a paru interminable. Vous avez fini par trouver la maison. Chacun s’est installé et a défait ses valises. Puis direction le supermarché. Ta tante s’extasiait sur le moindre yaourt avec une étiquette écrite en espagnol. A la voir triper sur les produits colorés, on aurait pu croire qu’elle sortait d’un bagne ! Elle sortait juste de sa zone de confort. Et c’est assez passionnant de voir comment on réagit quand on ne se sent plus “chez soi”. Un des trucs qui t’a fait halluciner c’est de voir ta mère trier ses déchets. Cette image t’a fascinée. Ta mère, c’est plutôt le genre de femme pour qui l’ozone est un mot qui compte triple au scrabble. Mais là, elle a mis ses petits sacs-poubelles dans des bacs en couleur et elle l’a fait avec beaucoup de soin. Quand tu lui as demandé pourquoi quand elle est dans son pays, elle jette ses kleenex sales dans la rue, elle a soupiré et n’a pas daigné te répondre. C’est assez délirant que le civisme soit plus développé à l’étranger ! Ton oncle a conduit sans la moindre infraction et ton cousin a commandé des taxis quand il a trop picolé. Le type passe tous les weekends de l’année à conduire bourré et trouve ça normal. Comme il sait qu’il peut s’en sortir avec un billet glissé au flic, il en oublie les dangers. Ça aussi c’est très con : ne devenir responsable que parce qu’on n’a plus ce sentiment d’impunité. La corruption ça peut éviter un retrait de permis, mais pas de crever sur la route.

Lors d’un déjeuner, tout le monde s’est extasié sur les qualités des pays étrangers autour d’une paella. “C’est formidable”. “C’est propre”. “Les gens sont polis”. “On respecte les passages piétons”. “Il y a plein de trucs à faire pour les gosses”… Tu les as écoutés sagement en attendant le moment fatidique où l’un de tes oncles se lancerait dans une comparaison avec le plus beau pays du monde. Ça n’a pas tardé ! Il a commencé sa diatribe avec “eux, c’est différent”. Il a enchaîné avec “eux, ils ne sont pas prêts”. Tu as cru halluciner, mais non, en disant “eux” il parlait de ses compatriotes, de toi, de sa femme, de lui donc. Mais il n’a jamais dit “nous”. C’est quand même fou d’incarner la soi-disant élite d’un pays mais ne pas se sentir partie intégrante de ce pays ! En fait, c’est surtout très triste. Et c’est peut-être pour ça que ce pays n’avance pas très droit.