Les robes glamour architecturées de Said Mahrouf

Tout en continuant de se produire régulièrement sur les podiums d’Amsterdam et de Dubaï, le créateur maroco-néerlandais a décidé que sa vie et sa carrière étaient définitivement à Casablanca. Parcours et propos d’un fashion designer de très haut niveau.

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Les robes de Mahrouf ont ce quelque chose du savant drapé de Madame Grès

Bien qu’installé à Casa depuis dix ans, Said Mahrouf ne parle toujours pas le français. Notre conversation s’engage donc, comme d’habitude — nous sommes de vieilles connaissances —, dans ce pittoresque parler chamali, truffé de locutions en anglais, qui participe au charme de ce créateur à la personnalité aussi désarmante de chaleur et de simplicité, qu’au talent unanimement consacré. Né en 1973, à Asilah, Mahrouf a neuf ans quand il s’installe, avec ses parents émigrés, à Amsterdam. Nous plaisantons, encore une fois, sur le malentendu engendré par la mauvaise orthographe — due à l’administration hollandaise — de son patronyme, qu’il faut lire ma3rouf au lieu de ma7rouf. Ça l’agace toujours autant, mais il est trop tard pour changer la chose, sa signature étant, aujourd’hui, référencée, ainsi, à l’international.

Le temps des expérimentations

C’est à la Gerrit Rietveld Art Academy à Amsterdam qu’il étudie le stylisme, avant de parfaire sa formation au Pratt Institute à New York. Lors de son séjour américain, il collabore, en tant que costume designer, avec la Julia Mandle Performance Compagny. En 1999, son premier défilé de mode lui vaut de figurer parmi les designers de l’année sélectionnés par le magazine néerlandais de référence, Items.

2001, Moussem culturel d’Assila — la petite cité a changé d’orthographe officielle entre-temps ! – Said Mahrouf réalise sa première performance sur son sol natal, “Médina”. Deux fois par jour, à heure fixe, deux danseuses, costumées de blanc, transportent puis placent des panneaux de bois blanc, modifiant ainsi, temporairement, l’aspect de telle ruelle ou place zaïlachies. La réaction positive de la population surprend l’enfant du pays qui s’attendait à rencontrer un mur d’incompréhension, ou pour le moins d’indifférence. Il se dit, comme ça, sans trop y croire, que quelque chose est de l’ordre du possible pour lui, au Maroc. À travers ses diverses performances et installations, Said Mahrouf s’interroge sur le corps humain et l’espace public. Ses travaux s’exposent à Amsterdam, New York, Monaco, Sydney… La mode, la danse, la vidéo, sont autant d’expressions qu’il mixe allègrement pour dire son monde. Les publics rbatis et casablancais découvrent son univers avec une très belle vidéo projetée dans les Villas des arts des deux capitales, en 2007. La même année, il est invité à participer à la deuxième édition du défilé collectif casablancais annuel hype d’alors, FestiMode. Un coup d’essai où il se fait nettement remarquer. Mais c’est lors de sa participation à l’édition 2008 qu’il se fait littéralement ovationner par les quelque 600 invités. Un créateur de mode marocain majeur est né. Il ouvre son atelier à Casa et s’attèle à développer et à peaufiner, au fil des ans, sa ligne de robes semi-haute couture, reconnaissable, entre toutes — abandonnant définitivement, au passage, le côté art contemporain de son travail. “J’ai décidé, à ce moment-là, de me définir comme un fashion designer, inscrit dans une certaine tradition. Une tradition noble”.

Du Bauhaus à Madame Grès

Quand on l’interroge sur ses influences, sa réponse ne nous surprend pas, tant lesdites influences tombent sous le sens. D’un côté, l’architecture Bauhaus des années 1920-1930, qu’il dit avoir compulsivement étudiée dans des ouvrages, étant jeune. Influence à la base de ses lignes et traits, de sa composition, à la rigueur et au minimalisme tout germaniques. De l’autre, la légendaire Madame Grès et ses drapés ultrasophistiqués, inspirés de la statuaire gréco-romaine, si caractéristiques des silhouettes des vamps des années 1940, et dont on retrouve, indubitablement, le souvenir dans l’art du plissé et du moulage dans lesquels est passé maître notre créateur. De Madame Grès, Said Mahrouf a également retenu l’usage, quasi exclusif, de l’étoffe unie au tombé implacable de justesse. Comme les couturiers de la grande époque, le créateur découpe, d’ailleurs, très rarement le parton de ses robes à plat, sur la table, préférant, la plupart du temps, sculpter la matière directement sur le mannequin, quand ce n’est pas sur la cliente — lorsque le degré d’intimité le permet, évidemment.

Des robes à traîne pour descendre des escaliers

Sur la relation privilégiée qu’il entretient avec ses clientes, Said Mahrouf se fait particulièrement disert. Il a plus que de l’affection pour elles, une véritable considération : “Elles sont extrêmement exigeantes car au courant de ce qui se fait de mieux dans le monde. Très souvent, lorsqu’il s’agit d’une commande, je ressors enrichi de la négociation qui s’établit entre nous. Elles comprennent très bien que je reste fidèle à mes fondamentaux. De mon côté, je reste à l’écoute de leurs suggestions, souvent pertinentes, en fonction de leur morphologie, mais aussi du cadre et de la circonstance où elles vont porter leur robe.” Contrairement à cette autre valeur sûre de la mode marocaine, Noureddine Amir, installé à Marrakech et dont une bonne partie de la clientèle reste étrangère, celle de Mahrouf est quasi exclusivement casablancaise. “Soyons clairs, sourit-il à notre étonnement. Je ne fais pas du prêt-à-porter de luxe pratique à porter. Mes réalisations sont des robes de représentation qui ont leur place dans les réceptions des grandes villas d’Anfa. Quand je dessine une robe à traîne, j’imagine ma cliente descendant un grand escalier en bas duquel l’attendent ses invités…” Et de s’empresser de corriger son propos : “Mais il ne faut pas croire que toutes mes clientes sont des filles et femmes de. J’ai de plus en plus de femmes indépendantes, des professions libérales (psychiatre, avocate, cheffe d’entreprise) qui bossent dur pour se payer leur petit luxe.”

Garder un pied dans la scène internationale

Mais puisque l’essentiel de sa clientèle est casablancaise, pourquoi donc notre créateur s’obstine-t-il, chaque année, à participer à la Mercedes Benz Fashion Week d’Amsterdam, ainsi qu’à la Fashion for Ward de Dubaï ? D’autant que sa production, très “moderne classique”, ne s’inscrit nullement dans le cycle saisonnier, très prisé des tendanceurs à tout crin ? “C’est un challenge personnel. J’ai besoin de me confronter, régulièrement, au public et à la presse spécialisés du milieu de la mode internationale pour me prouver que j’y ai bien ma place, sachant que ces gens-là ne font pas de cadeaux. Ça me rassure. Et puis, cela fait tellement plaisir à mes clientes casablancaises…”, conclut-il, avec sa simplicité et sa franchise coutumières. Celles des grands.

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