Hygiène, respect de la loi et de la chaîne du froid... nos abattoirs (très) loin des normes

La Cour des comptes épingle le secteur de la production et de la distribution des viandes au Maroc: les abattoirs ne sont souvent pas aux normes. Un rapport qui peut vous faire passer l'envie de manger de la viande.

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Viande suspendue dans une boucherie
Crédit : MarocStoun / Flickr

Après un référé très critique sur les lacunes du secteur de l’éducation, la Cour des comptes récidive en pointant les défaillances des abattoirs dans un nouveau rapport publié ce lundi 10 juillet. La production et la distribution de la viande se font « fréquemment » -pour reprendre un terme qui revient souvent dans le rapport- au mépris des règles d’hygiène, exposant un produit hautement sensible pour la santé humaine aux différents risques de contamination.

Pour vous donner une idée: le rapport pointe par exemple du doigt l’absence d’eau potable dans certains abattoirs, des crochets rouillés ou encore des camions réfrigérés… qui ne le sont pas. Les autorités reconnaissent l’existence de lacunes et promettent – chiffres et document à l’appui – d’y remédier (voir encadré et documents à télécharger en bas de l’article).

Hygiène: des abattoirs … sans eau potable !

L’abattage comprend trois étapes: la saignée, l’habillage et l’éviscération. Ces opérations doivent en principe être effectuées dans des salles différentes pour éviter les contaminations. « Les trois actes se font dans la même salle en contradiction avec les normes prescrites par le cahier de charges« , note le rapport de la Cour des comptes.

Et quand bien même l’abattoir dispose de locaux séparés pour les différentes étapes, le personnel passe du « secteur propre au secteur souillé sans transiter par un dispositif de désinfection », relève la même source. De plus, « plusieurs abattoirs » ne disposent pas de locaux correctement agencés, ce qui les expose au risque que des insectes ou des animaux s’y introduisent. Évidemment, cela présente un risque de contamination et de transmission des maladies.

Par ailleurs, les sols et les murs d’abattoirs ne répondent pas toujours aux normes de « résistance« , d’ »imperméabilité« , de « nettoyage » et de « désinfection« . « Parfois, même la hauteur des murs des salles de saignée est inadaptée introduisant des facteurs d’insalubrité dus au contact des viandes avec le sol et les murs« , décrit le rapport.

Et ce n’est pas fini. D’après la Cour des comptes, un « nombre important » d’abattoirs « n’est pas raccordé aux réseaux d’eau potable, d’électricité et d’assainissement ». Pis, l’approvisionnement en eau « se fait parfois à partir des puits non contrôlés »! Le rapport note aussi l’absence de dispositif sanitaire notamment… de produits de nettoyage et de désinfection, de moyens hygiéniques de séchage des mains, ou encore de dispositifs pour nettoyer les outils.

On vous épargne la longue liste de tout ce qui ne va pas, pour prendre cet exemple glaçant :

Le matériel et les équipements des abattoirs, notamment les crochets, rails et treuils utilisés pour la manutention des carcasses des animaux de boucherie, souffrent d’une importante oxydation, situation souvent aggravée par le manque d’entretien.

Parfois, ces équipements sont disponibles, mais des « méthodes traditionnelles et non hygiéniques » peuvent toujours être utilisées. Par exemple, « les carcasses sont basculées manuellement vers les chambres froides quand les équipements de manutention ne fonctionnent pas correctement ».

Aussi, les sous-produits et déchets générés par le processus d’abattage ne sont pas toujours traités dans le respect des « conditions élémentaires d’hygiène et de sécurité alimentaire ».

Les abattoirs devraient aussi selon la loi être excentrés par rapport aux zones d’habitation. Or, « une bonne partie des structures concernées se trouve actuellement localisée à proximité ou au milieu de ces agglomérations ». Cette situation présente un « risque sanitaire », relève la Cour des comptes.

L’emplacement inadéquat de ces entités entraîne des effets croisés sur la population et sur les viandes étant donné les risques sanitaires induits par les conditions de traitement et d’évacuation des déchets et par l’existence de vecteurs de transmission de pathologies.

Seulement cinq abattoirs agréés dans tout le Maroc!

« L’essentiel de structures d’abattage sont des microstructures », écrit  la Cour des comptes qui ajoute que ces dernières « ne réunissent pas les conditions de base ». Résultats : seules cinq structures ont été agréées par les autorités.

Si l’étape de production de la viande souffre de telles lacunes, la situation est encore pire au niveau de la distribution où les cahiers des charges sont tout simplement inexistants. Le rapport recommande de compléter le cadre juridique. Une mesure d’autant plus nécessaire que le secteur s’ouvre désormais aux opérateurs privés, depuis la fin du monopole de la gestion des abattoirs par les communes.

Problème: cette ouverture n’est pas accompagnée d’une législation concernant ce point spécifique et qui est censé préciser les rôles des différents intervenants, les modalités de régulation, ou encore le régime de taxation.

La situation est encore plus problématique dans le cas particulier du monde rural. Le rapport de la Cour des comptes est catégorique: « les abattoirs, notamment en milieu rural, ne disposent pas de chambres de réfrigération« . Qui plus est, les carcasses sont mises en vente directement après l’abattage, « entraînant, sous les effets combinés de la poussière, de la température élevée et de la présence des insectes, des risques de contamination de la viande et des abats« .

Près de la moitié de la viande produite n’est pas contrôlée

« Il a été observé dans la majorité des abattoirs contrôlés que les animaux abattus ne font pas l’objet de procédés de traçabilité ». Pourtant, la loi oblige les propriétaires d’animaux destinés à la consommation humaine de marquer leurs animaux et de tenir à jour un registre d’élevage. Un chiffre illustre ces lacunes en termes de contrôle: 45% des viandes produites ne proviennent pas des abattoirs et n’ont pas fait l’objet de contrôle.

En 2016, la production totale des viandes rouges a été estimée à 550.000 tonnes alors que la quantité produite et contrôlée au niveau des abattoirs n’a été que de 300.029 tonnes. Cette situation montre que plus de 45% des viandes produites ne proviennent pas des abattoirs et n’a pas fait l’objet de contrôle.

Les « viandes foraines« , c’est-à-dire celle qui sont produites dans des communes éloignées – généralement rurales – , continuent de provenir d’abattoirs non agrées, et ce malgré une loi qui encadre ce type de produit. Le directeur général de l’Office national de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) délivre des certificats sanitaires pour les autoriser. Une situation provisoire qui doit évoluer pour être conforme à la loi, note la Cour.

Des camions réfrigérés… « fréquemment » non réfrigérés

Le fameux bon vieux camion flanqué de l’inscription « transport de viande » n’est pas toujours conforme à la loi qui définit plusieurs normes que les engins de transport « isothermes, réfrigérants ou frigorifiques » doivent en principe observer. L’une des principales règles concerne les insignes à mettre sur le véhicule et les attestations de conformité dont doit disposer le véhicule.

« Ces engins sont fréquemment non réfrigérants et non isothermes et ne sont pas soumis à l’examen de la visite technique et sanitaire prévue à l’arrêté susmentionné« , note le référé de la Cour des comptes. « Ces prescriptions ne sont pas toujours observées comme en attestent les faits relevés de manière récurrente par les cours régionales des comptes« , se désole la Cour des comptes.

Plus loin: Le rapport in extenso de la Cour des comptes / Référé du premier président de la Cour des comptes relatif à la gestion des abattoirs

Les mesures pour remédier à cette situation

Le ministère de l’Intérieur a réagi au référé de la Cour des comptes. Il reconnaît l’existence des dysfonctionnements et annonce plusieurs mesures concrètes, notamment la mise en place d’une circulaire interministérielle (Agriculture-Intérieur) pour mettre à niveau les équipements. Elle prévoit ce qui suit :

Un cahier des charges fixant les conditions et les normes sanitaires, hygiéniques et d’équipement auxquelles doivent répondre les abattoirs

Un cahier des charges modèle pour la gestion déléguée des abattoirs afin de sensibiliser les communes sur la nécessité d’amélioration des conditions d’abattage et de préparation des viandes rouges, en respectant les normes d’hygiène et les conditions sanitaires, et de les inciter à développer des partenariats avec les opérateurs du secteur privé.

Le ministère annonce aussi 40 projets de réhabilitation d’abattoirs pour un coût total de 224 millions de dirhams (dont des contributions du Ministère de l’Intérieur qui s’élève à 39 millions de DH). Aussi, 39 nouveaux abattoirs aux normes sont en chantier. Pour remédier au souci de transports et de stockage, le ministère précise qu’il finance  » l’acquisition de camions de transport des viandes équipés  » et qu’il œuvre à mettre en place des cahiers des charges au profit des communes.

Le ministère rappelle aussi le programme de mise à niveau du secteur, élaboré dans le cadre du Plan Maroc vert. Ce dernier comprend notamment :

Construction ou réhabilitation de 12 abattoirs municipaux dans le but de concéder leur gestion au secteur privé ;

• Renforcement des contrôles sanitaire et vétérinaire et lutte contre l’abattage clandestin ;

• Soutien de création de projets intégrés englobant des unités d’engraissement, des abattoirs et des unités de découpe ;

• Aménagement et équipement de 14 marchés de bétail ;

• Révision des textes de loi régissant le secteur des viandes rouges.

La réponse complète du ministère à télécharger ici : Réponse du ministère de l’Intérieur[/encadre]

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