Carnet de voyage: Surprenante Séoul

Modernisée en un temps record, Séoul est devenue le symbole de la victoire du sud sur le nord communiste. Métropole insomniaque et ultra-connectée où le citoyen-consommateur est roi, la capitale du dragon asiatique fascine, mais paie aussi le prix de ce développement tous azimuts.

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Crédit: AFP / KIM JAE-HWAN

Dans cette mégalopole où vivent plus de 10 millions d’habitants, les gratte-ciel côtoient les temples bouddhistes, les églises et quelques Hanok (maisons traditionnelles). Le pays des Hanbok – habits traditionnels portés notamment par les jeunes filles dans les palais historiques — est aussi celui de la très en vogue K-Pop et des populaires dramas traduites même en darija sous nos latitudes. La Corée du Sud est à la fois ultra-moderne et empreinte de traditions vivaces — le kawai flirte avec le séculaire à tous les coins de rue. Et tout y est étonnant : des étalages de poissons encore frétillants dans les marchés, aux bars à chats où l’on boit son café en jouant avec un félin, en passant par la simple visite de supermarchés où l’on découvre l’existence d’un thé à l’oignon.

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Dans les bars à chat, les félins sont rois. Pas question de les toucher ou même de pénétrer dans ce café sans s’être lavé les mains avec une colusion hydro-alcoolique.  Crédit: ZC
Oui, du thé à l’oignon, vous avez bien lu. Crédit: ZC
Oui, du thé à l’oignon, vous avez bien lu. Crédit: ZC

Le “Pays du matin calme” ne galvaude pas son nom. Dès l’atterrissage, on est surpris par le calme stoïque des automobilistes et l’absence de klaxons. Les multiples voies des autoroutes sont bondées, mais les automobilistes filent droit. Ici, pas de vociférations, mais des nuées de voitures Hyundai et Kia bien alignées et silencieuses. Les Coréens sont également extrêmement polis. Un pur bonheur qui nous fait déjà redouter le retour à Casablanca.

Paradis du shopping

Jin, Coréenne, nous fait remarquer : “On aime ici les voitures noires et blanches. Cela fait classieux”. Ce conservatisme est aussi notable dans les rues, où les extravagances vestimentaires sont rares, contrairement au voisin japonais. Au Pays du soleil levant, on peut croiser en pleine rue les looks les plus farfelus, mais à Séoul point de Gunguro Gyaru — ces jeunes filles ultra-bronzées aux cheveux platine. Les tatouages et les piercings sont aussi plutôt discrets.

En revanche, on note d’emblée l’incroyable nombre d’échoppes dédiées aux cosmétiques, auxquels les Coréens vouent un véritable culte. Les Coréennes prennent particulièrement soin de leur peau, les plus jeunes autant que les seniors (ces fameuses Ajumma enturbannées de partout pour fuir tout rayon de soleil). Masques au ginseng et crèmes à base de mucus d’escargot tombent des étals où l’offre est pléthorique.

La ville regorge de centres commerciaux, et même les stations de métro sont parcourues d’immenses allées de magasins à faire pâlir de jalousie tous les malls du Maroc. Pour découvrir tout ce que Séoul peut offrir en matière de shopping, le must est de visiter les quartiers commerçants Dangdaemun et Namdaemun. Les férus de high-tech iront faire un tour au Derb Ghallef local, Yongsan. Mais où que vous soyez, il est vivement recommandé de manger sur les différents étals de street food. Essayez les pâtisseries en forme de poisson (Bungeoppang), fourrées avec une pâte de haricots rouges. Un délice !

Le fameux barbecue coréen. Crédit: ZC
Le fameux barbecue coréen. Crédit: ZC
La street food est partout. Et c'est délicieux. Crédit: ZC
La street food est partout. Et c’est délicieux. Crédit: ZC

Pour échapper au tumulte de la vie ultramoderne, il suffit de visiter un temple ou un des somptueux palais intemporels qui remontent à la dynastie Joseong. Mais où que l’on se trouve, on remarque que la consommation est pour les Coréens un sport national. Armés de leurs smartphones, ils commandent à tour de bras sur les sites spécialisés. La ville est d’ailleurs quadrillée par les livreurs.

Dans cet univers sans cesse plus performant, le recours à la chirurgie esthétique se banalise. Cela concerne aussi bien les femmes que les hommes, lesquels veulent mettre toutes les chances de leur côté pour affronter le très concurrentiel marché de l’emploi. Exit les 35 heures à la française, et même les 44 heures de travail du Maroc : la norme coréenne est de plus de 52 heures.

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Dans le quartier Insadong, les couples accrochent un badge en symbole d eleur amour. Crédit: ZC

Le goût du Soju

Beaucoup de Coréens travaillent encore plus que le nombre d’heures exigées, que ce soit pour avancer dans leurs projets ou simplement pour être “bien vus” par leur patron. Ici, le respect de la hiérarchie est capital. Une Marocaine installée à Séoul nous confirme la formidable capacité de travail des Coréens : “Ils ne sont pas plus intelligents, comme le veut le cliché entretenu au Maroc, mais simplement appliqués et excellents travailleurs en équipe”. A Séoul, il est très courant de voir les immeubles de bureaux illuminés jusqu’à 1h du matin. Après minuit, on croise des cadres cravatés sortant à peine des bouches de métro, un sac d’ordinateur sur le dos, ou quittant les bars avec des collègues un verre de trop dans le nez, après avoir forcé sur le Soju (alcool de riz traditionnel coréen). Mais rassurez-vous, Séoul est très sécurisée et le seul risque encouru au milieu de la nuit consiste à se retrouver à discuter avec un inconnu. C’est d’ailleurs le meilleur moment, car en journée le salary man coréen a un emploi du temps de ministre.

 

Le goût du travail hérité de la tradition confucéenne a permis à ce petit pays, ruiné au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, de devenir la 13e économie du globe en seulement 60 ans. C’est le miracle du fleuve Han, du nom de la rivière qui coupe Séoul en deux.

Au lendemain de l’occupation japonaise et de la guerre de Corée, le pays est au même niveau de développement que les nations les plus pauvres d’Afrique et d’Asie. La capitale n’est alors que champs de ruines. La population, largement analphabète, vit dans la misère des bidonvilles et de la malnutrition. Alors que l’Allemagne a payé le prix de la guerre en se scindant en deux parties, la Corée — qui n’a jamais attaqué personne — se retrouve également coupée en deux, au niveau du 38e parallèle nord. La partie communiste de la péninsule coréenne, dirigée alors par Kim Il Sung, est même dans un premier temps beaucoup plus prospère que le sud, ultralibéral et également sous le joug d’une dictature à l’époque. Mais le pays se met rapidement au travail et se lance, dès 1961, sous l’impulsion du général Park Chung Hee, dans une vaste politique d’exportations qui lui portera chance.

Conglomérats conquérants

C’est l’émergence des fameux Chaebols, ces conglomérats ultra-puissants dirigés par des familles qui réalisent à eux seuls le plus gros du PIB du pays. Ce sont les géants Samsung, Hyundai, LG, Kia, etc. dont vous êtes certainement clients. C’est à partir de ce moment que le pays entame sa mue et devient leader dans l’industrie électronique, jusqu’à faire de l’ombre aux Keiretsu (équivalents des Chaebols) au Japon.

Dans les locaux de LG par exemple, on ne manque pas d’exprimer la fierté d’avoir damé le pion à Sony sur le terrain des téléviseurs. Cette fierté nationale et le sens du détail et du dévouement sont palpables à tous les niveaux… jusqu’aux toilettes. Une ambiance que résume bien cette BD accrochée sur le mur d’un WC du groupe. Le message est destiné aux juniors qui rejoignent l’entreprise. “Alors comme ça t’as un vieux smartphone ? Je parie que ce n’est pas un LG !”, bizute-t-on le nouvel arrivé.

Dîtes le avec un dessin. Crédit: ZC
Dîtes le avec un dessin. Crédit: ZC

Sur le mur d’une salle de réunion, mais aussi devant une usine, cette phrase du fondateur du groupe, In Hwoi Koo : “Si un seul défaut est retrouvé dans 100 unités, alors les 99 autres seront considérées comme défectueuses par les consommateurs”. De simples mots pour galvaniser les troupes ? Pas vraiment, car ce mantra rappelle une anecdote du même acabit. Insatisfait des premiers téléphones fabriqués par ses employés, le PDG du concurrent Samsung avait convoqué ses équipes pour détruire devant eux les premiers stocks. Les équipes redoublent alors d’efforts et se remettent au travail. Un effort qui finira par payer et faire de la marque le leader mondial du smartphone.

Cette crainte de “perdre la face” est un trait culturel. Si elle est un formidable outil de croissance pour le pays, elle rend cette société intolérante envers l’échec. Couplée à l’ultralibéralisme et à l’esprit de compétition, elle peut être redoutable. Le pays détient ainsi le triste record du plus grand taux de suicides au monde, après la Lituanie. À l’image des émissions américaines de course-poursuite, la télévision passe ici des vidéos de pompiers qui sauvent de manière spectaculaire des candidats au suicide.

Sempo génération

Il existe même un terme pour désigner les trentenaires en proie aux difficultés économiques et à la pression sociale : “Sempo génération”. Dans une société certes moderne, mais où il est tout à fait commun qu’une femme arrête de travailler après le mariage, ces jeunes ont renoncé aux fiançailles, au mariage et à avoir des enfants. Ce sont eux notamment qui ont manifesté par millions, permettant l’arrivée au pouvoir du nouveau président de centre-gauche Moon Jae-In. Ce mal-être est aussi vécu par une partie de la population âgée. Alors qu’à l’instar des Marocains, les Coréens valorisent l’âge mûr, dans la rue, on croise des seniors qui n’arrivent pas à vivre de leur maigre retraite. Ils se reconvertissent alors en vendeurs ambulants ou en collectant des objets à recycler.

L’évolution de l’économie à vitesse grand V a laissé des personnes sur le carreau, mais il serait réducteur et injuste de ne retenir que cela. Séoul est surtout un condensé de tout ce que le développement et la technologie peuvent apporter. Et un véritable modèle. Traversée de fibre optique, elle est la mieux connectée au monde. Il est ainsi tout à fait possible de passer des appels rien qu’avec le wi-fi public. Le nombre de ponts et d’ouvrages est impressionnant, et “Smart Seoul” est actuellement la référence mondiale en villes intelligentes. Futée, mais aussi attachante.

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