Chômage: pourquoi l’économie marocaine peine-t-elle à absorber les nouveaux arrivants?

Les indicateurs du HCP révèlent que depuis 2010 la courbe du chômage chez les jeunes urbains est en augmentation constante. Une situation qui remet en question la capacité de la "machine" économique marocaine à absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail.

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Le taux de chômage est passé de 9,1 % à 9,6 % entre le troisième trimestre 2013 et celui de 2014. Crédit : Yassine Toumi

Au moment où l’on tablait sur une baisse du taux de chômage au vu des performances plutôt positives qu’a affichées l’économie nationale, la dernière note d’information du Haut-commissariat au plan (HCP) sur la situation de l’emploi dévoile que le taux de chômage est passé de 10,4% à 10,7% entre le premier trimestre de 2016 et celui de 2017, soit 63.000 personnes en plus, exclusivement en milieu urbain.

Taux de chômage au milieu urbain selon les tranches d’âge:

Chômage1

Source: Haut-Commissariat au Plan

Cette tendance haussière est particulièrement marquée parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans, qui ont vu leur taux augmenter de 24,9% à 25,5%. Il se trouve que cette catégorie est la plus vulnérable sur le plan social puisqu’elle peut constituer une proie facile à la délinquance et à l’extrémisme.

Par ailleurs, la note d’information du HCP signale-t-elle qu’au moment où le taux de chômage a baissé de 4,2% à 4,1% en milieu rural, il est passé de 15 à 15,7% en milieu urbain, portant ainsi l’effectif total des chômeurs de 1.233.000 à 1.296.000.

Une tendance conjoncturelle ?

Cette hausse du chômage au Maroc est bel et bien une situation conjoncturelle d’après Idriss Abassi, professeur à la faculté des sciences juridiques et économiques Rabat-Agdal. Il explique cette situation par la crise qui a précédé la formation du gouvernement et le retard sans précédent dans l’adoption de la Loi de finances 2017. « On sait pertinemment que la commande publique est une variable clé dans le moteur de la croissance du Maroc », a-t-il relevé.

En raison du retard dans la formation de l’exécutif, 23.768 postes au sein de la Fonction publique, prévus dans le cadre du projet de Loi de finances 2017, n’ont pas encore été pourvus. De plus, un repli de 10,7% des dépenses d’investissement public a été enregistré. Et finalement, cette situation a engendré une absence de visibilité pour les investisseurs privés qui ont préféré ne pas s’engager dans de nouveaux projets en l’absence d’interlocuteurs au sein du gouvernement.

D’un autre côté, l’évolution du chômage peut s’expliquer par les politiques publiques adoptées ces dernières années qui ne favorisent pas la création de nouveaux emplois. Selon Omar El Kettani, professeur d’économie au sein de la même faculté, cette situation n’est pas une tendance conjoncturelle. Pour l’universitaire, c’est « la conséquence logique de choix économiques et financiers particuliers. L’État a mené une politique de réformes financières urgentes (Caisse de compensation, réforme de la retraite, etc.), un effort d’investissement économique trop centré sur le capital et donc peu créateur d’emplois, mais l’axe social à part une couverture sociale non complète reste le parent pauvre du modèle économique marocain ».

El Kettani estime aussi que les résultats peu flatteurs réalisés dans le domaine social sont des indicateurs de l’essoufflement du modèle économique marocain. « Le Maroc marche avec deux pieds, un pied musclé et en bonne santé, et un pied rachitique et en mauvais état », déplore-t-il.

Même avec les prévisions optimistes du HCP sur la croissance au Maroc (4,6 % pour le deuxième trimestre 2017), il est peu probable que les chiffres du chômage puissent être revus significativement à la baisse, car les activités économiques non agricoles ne connaîtront qu’une amélioration de 3,2 % contre 14% pour les activités agricoles. Par conséquent, les jeunes citadins, les jeunes diplômés et les femmes, qui représentent les catégories les plus affectées par le chômage, seront peu impactés.

Les femmes toujours plus exposées que les hommes

Les politiques du genre menées au Maroc n’ont toujours pas porté leurs fruits en termes d’intégration des femmes dans le marché de l’emploi. Les statistiques du HCP indiquent que le chômage des femmes reste assez élevé passant de 13,8% dans le premier semestre 2016 à 14,7% au premier semestre 2017. Et quand on va un peu plus loin dans les détails, on trouve que les femmes citadines sont les plus touchées par le chômage avec 25,2 %, contre seulement 3,1 % dans le monde rural.

Selon une publication récente de l’OCP Policy Center, réalisée en partenariat avec le ministère de l’Économie et des Finances, et intitulée Égalité de genre, politiques publiques et croissance économique au Maroc, « ce sont les femmes diplômées de niveau supérieur qui souffrent plus du chômage et ce, malgré la tendance baissière enregistrée entre 1999 et 2013, passant de 36,2% à 26,7% ».

M. Abbassi reconnait que les femmes sont moins bien loties au niveau de toutes les statistiques relatives à l’échiquier économique. Une situation qui ne permet pas au Maroc d’utiliser pleinement ses compétences. Le poids de la culture et des traditions pèse encore sur les opportunités offertes aux femmes dans le marché de l’emploi.

Vers une stratégie de rupture

L’OCP Policy Center avait déjà tiré la sonnette d’alarme dans une publication parue en 2015 sur le déséquilibre existant entre « performance économique » d’un côté, et la « création de l’emploi », de l’autre. Il a souligné que si le chômage reste « obstinément élevé« , c’est à cause de quatre facteurs principaux : « un taux de croissance qui reste insuffisant pour absorber pleinement l’expansion de la force de travail, un investissement privé insuffisant dans les secteurs porteurs, des rigidités institutionnelles, et l’inadéquation entre le type de compétences produites par le système éducatif et celles nécessaires pour passer à un régime d’innovation« .

Aujourd’hui, le Maroc est confronté à une problématique assez complexe : une croissance économique non agricole assez faible et peu génératrice d’emplois, et une croissance économique agricole dépendante des aléas météorologiques. Cette dernière, dans les meilleurs des cas, ne bénéficie qu’à la population rurale. Et dans les pires des scénarios, elle engendre de jeunes chômeurs d’origine rurale qui viennent s’ajouter aux nombres déjà élevés de chômeurs dans les villes.

Au lendemain du lancement par la Banque mondiale du Mémorandum économique pays (MEP) qui donne les projections de l’économie marocaine à l’horizon 2040, il est nécessaire de dresser un état des lieux des politiques de l’emploi au Maroc et d’envisager une stratégie de rupture qui puisse d’un côté trouver de nouveaux leviers de développement économique, et de l’autre, faire des jeunes une locomotive de croissance en les initiant à l’entrepreneuriat et en leur donnant les moyens de réussir leurs propres projets.

Par Ilias Khalafi

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