Zakaria Boualem et le stade rénové

Par Réda Allali

Vous le savez, le Boualem était de ceux qui grognaient contre la longue fermeture du stade d’honneur. Il faut le comprendre : privé d’une bonne partie de sa vie sociale, ces mois d’attente l’avaient mis sur les nerfs.

Réjouissez-vous les amis, le stade a rouvert ses portes. Faites-le toutefois avec modération, parce que c’est encore pire qu’avant. C’est comme ça chez nous, il faut se garder de réclamer du changement : le danger est grand qu’il ne se produise à vos dépens. Ceux qui ont assisté aux matchs de Botola la semaine dernière le savent : les accès sont abominables, les pièges nombreux, les sanitaires dépassés, les tourniquets coincés, les bousculades systématiques… Et si vous hésitez à basculer dans le hooliganisme, on vous y encourage puisque vous trouverez sans peine des cailloux et autres poutres un peu partout, c’est une sorte de self-service, et merci.

Le Guercifi a donc écouté avec attention les explications du responsable de ce projet, venu se justifier dans la presse avec abnégation. Il faut lui reconnaître ce mérite, ce n’était pas facile. Voici donc un résumé de la ligne de défense officielle, elle tient en trois points :

1. Oui, il y a eu quelques dysfonctionnements, rien de très grave, on va y remédier.

2. Les Marocains sont des sauvages.

3. Les travaux ne sont pas terminés, on nous a demandé d’ouvrir trop tôt.

Analysons ces trois points sans plus attendre. Le premier est étonnant, mais logique. Nous avons développé chez nous une capacité d’adaptation phénoménale, une sorte de sérénité teintée de fatalisme, qui nous permettent d’accepter à peu près tout, y compris l’inacceptable, avec en plus le message subliminal qu’il faudrait s’estimer heureux. Dans un pays qui est capable de transporter les corps des victimes d’inondations dans un camion prévu pour les ordures, on ne va pas s’émouvoir outre mesure pour quelques bousculades. Surtout lorsqu’elles ne concernent que quelques supporters de foot, populations habituées à toutes les humiliations. Le second point est lui aussi classique. On connaît la chanson. Nous sommes indisciplinés, mal élevés, inciviques, et nous faisons capoter à peu près toutes les belles initiatives prévues pour nous faciliter la vie. En résumé, nous entravons l’avancée du Maroc Moderne.

C’est un discours abominable, on a l’impression que le peuple marocain est une sorte de fléau venu s’abattre sur ce pays. On ignore par quel atavisme il est aussi catastrophique, on ne sait pas dire en vertu de quel déterminisme climatique il est indiscipliné, mais il est admis que son état ne s’améliorera jamais. On ne raconte jamais que le type qui manque de civisme a été lui-même victime d’une violence économique, culturelle et sociale depuis ses premières années. On ne dit jamais que le type qui dégrade les sièges s’est pris des coups de matraque sans raison depuis le petit matin, on n’explique jamais que s’il manque de respect pour l’autorité, c’est parce qu’il y est confronté au quotidien et qu’il en a une vision tristement désabusée. Passons. Non, juste un dernier point, pour relativiser. Il faudrait qu’un seul jour dans leur vie, les gens qui organisent les matchs se trouvent confrontés à des hooligans, des vrais. Des Polonais néonazis, par exemple, ou des Serbes armés qui s’ennuient depuis la fin de la guerre civile, sans parler des Russes gonflés aux stéroïdes. On passe au troisième point, et merci.

Le stade n’était pas prêt. C’est objectivement un argument recevable, mais il porte en lui une interrogation et un mystère. Pourquoi donc avoir ouvert (c’est la question) ? Et, surtout, qui a pris cette décision (c’est le mystère) ? On n’en sait rien, c’est ainsi. Il y a un type chez nous, Abdeljabbar Majhoul, qui valide des constructions inachevées ou mal foutues, des terrains qui prennent l’eau, des tunnels qui sombrent, des immeubles qui s’écroulent, des routes qui se dissolvent… Il n’a malheureusement pas réussi à nous dissuader de réclamer avec insistance l’organisation de la Coupe du Monde. C’est tout pour cette semaine, et merci.