H Partners: le fonds moribond de la SNI

Créé il y a dix ans, le fonds touristique contrôlé indirectement par le holding royal n’a tenu aucune de ses promesses. Au bord du gouffre, il continue d’essuyer des pertes sèches, prenant en otages les investisseurs institutionnels embarqués dans l’aventure.

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Abbas Azzouzi, ex-patron de Medi1, a été fraîchement nommé à la tête du fonds H Partners. © Yassine Toumi/TELQUEL

« On n’est pas dans une optique de communication ».  C’est en substance la réponse que nous livre l’ex-patron de Medi1 Abbas Azzouzi, fraîchement nommé à la tête de H Partners, le premier fonds dédié au tourisme. Contrôlé par la SNI, à travers Attijariwafa bank, ce véhicule d’investissement fait de la discrétion son crédo. Et pas seulement pour garder le holding royal loin des projecteurs. Créé il y a dix ans, le fonds aspirait à donner un coup de pouce au Plan Azur, qui avait l’ambition de mettre sur pied six stations balnéaires disséminées aux quatre coins du royaume.

H PARTNERS graphGrisés par les discours grandiloquents sur la Vision 2010, les responsables du fonds réussissent même un tour de table qui sied au rang de la SNI : la BCP, le fonds koweïtien Al Ajial ainsi que la CMR et la CIMR. Se faisant le chantre de la stratégie balnéaire, Adil Douiri, alors ministre du Tourisme, savait inciter les investisseurs à se jeter à l’eau, surtout les « zinzins ». « Toutes les études démontraient la rentabilité des projets du fonds. Parce que ce qui nous intéresse avant tout, c’est la rentabilité », nous déclare Mohamed Bendriss Benahmed, qui dirigeait la CMR au moment de la création de H Partners.

L’euphorie est telle que Fouad Chraïbi, appelé à présider aux destinées de H Partners, va jusqu’à annoncer qu’« au terme de la période d’investissement d’une durée de près de cinq ans, H Partners devrait être introduit à la Bourse de Casablanca ». L’avenir donnera entièrement tort à tous ses calculs. Le fonds, n’ayant pas, depuis dix ans, engrangé un seul dirham de bénéfice, croule sous le poids de ses pertes sèches : un cumul de déficit dépassant 500 millions de dirhams. « Un désastre ! », s’exclament des experts du tourisme. Désastre qui illustre à merveille l’échec du Plan Azur.

Ainsi fonds, fonds, fonds…

Décrétée en 2001 par une poignée de professionnels du tourisme et portée par Mohammed VI, la stratégie balnéaire voyait grand. « On était sur un nuage. Comment peut-on lancer six stations en même temps. C’est comme si, en Égypte, on décidait de créer six Sharm Shaykh d’un seul coup. Une hérésie », témoigne, irrité, un vieux routier du secteur. Mais les actionnaires de H Partners n’étaient pas de cet avis. Réunis le 1er novembre 2007 au siège d’Attijariwafa bank, ils donnent ainsi naissance au fonds touristique, doté d’un capital de départ de 1,4 milliard de dirhams.

« Le fonds est destiné à investir plus de 6 milliards de dirhams au cours des 5 prochaines années dans le foncier touristique, la construction ou la reprise de projets hôteliers et touristiques qui seront loués ou donnés en gestion à des opérateurs nationaux et internationaux de renom », expliquait le top management, en se targuant d’avoir réuni « un tour de table prestigieux ». « Il y avait une volonté de relancer le tourisme, mais on n’est pas entrés pour faire plaisir au gouvernement. L’idée était intéressante dans la mesure où elle permettait une certaine diversification des investissements des caisses de retraites et des assurances, surtout que les taux d’intérêt des obligations commençaient déjà à chuter », se rappelle Mohamed Benahmed Bendriss.

Même topo du côté de Khalid Cheddadi, patron de la CIMR, actionnaire de H Partners depuis sa création : « L’idée était d’apporter un peu d’oxygène à certains projets. La conjoncture était euphorique ». L’équipe passe à l’action début 2008 en s’associant au célèbre groupe belge Thomas et Piron pour le développement des stations Mogador à Essaouira, et Lixus à Larache. Au même moment, le fonds noue un partenariat avec le groupe espagnol Barcelo, appelé à gérer les établissements hôteliers construits par H Partners, à Saïdia et à Marrakech. Puis, toujours en 2008, c’est au tour de Louvre Hôtels de nouer un partenariat avec le fonds royal.

Bref, enivré par l’euphorie générale, le management ne lésinait pas sur les moyens pour « apporter de l’oxygène » au Plan Azur. L’asphyxie n’était pourtant pas loin, car cinq ans plus tard, loin d’avoir fait son entrée en Bourse comme le promettait son premier président, H Partners enchaînait déjà les déficits. Encore plus étonnant, en dix ans, un seul projet a jusque-là été réalisé : l’Oriental Bay Beach, dans la station Saïdia. Un hôtel d’ailleurs fermé depuis 2013, attendant désespérément un gestionnaire.

Projets fantômes

Construit sur une superficie de 15 hectares, Oriental Bay Beach, à Saïdia, a coûté la coquette somme de 600 millions de dirhams. Le luxueux hôtel, qui compte pas moins de 1200 lits, soit la moitié de la capacité de la station balnéaire, peine à trouver un gestionnaire depuis 2013. Le jugeant peu rentable, l’Espagnol Barcelo a jeté l’éponge en 2012, condamnant le fleuron hôtelier de Saïdia à la fermeture. Mis devant le fait accompli, le fonds d’investissement confie la gestion de l’Oriental Bay Beach à Atlas Hospitality, chaîne hôtelière rachetée par H Partners à la RAM en 2012. « Nous avons été les seuls à ouvrir l’hôtel tout l’hiver dans une station qui ne fonctionne qu’en été, mais ça n’a pas marché », regrette un cadre de l’entreprise. Résultat : Atlas Hospitality  jette l’éponge à son tour en 2013. « On n’arrive pas à trouver une solution satisfaisante pour l’hôtel de Saïdia. On avait exploré un certain nombre de pistes, mais aucune n’a abouti, d’ailleurs toute la station est sinistrée », déplore le patron de la CIMR.

Selon nos informations, H Partners a tenté de céder l’établissement en le bradant à 300 millions de dirhams (soit la moitié de son coût d’investissement), sans succès. Il en va ainsi pour le projet prévu dans les stations de Mogador et Lixus : après avoir acheté des parcelles de terrain, où devaient être érigées des unités hôtelières, les projets ont été remis aux calendes grecques. Pareil du côté de Casablanca et Marrakech, où des hôtels 3 et 4 étoiles sont en chantier depuis plus de cinq ans et qui n’ouvriront leurs portes que fin 2017. Résumons : fondé il y a dix ans, H Partners, qui enregistre un déficit cumulé de plus de 500 millions de dirhams, n’a réalisé entièrement qu’un seul hôtel, fermé depuis trois ans et qu’on cherche à céder à moitié prix, en vain.

Zinzins en otages

La cause du « désastre » ? « C’est un fonds moribond qui semble dépassé par les évènements. Ils ont été entraînés avec l’euphorie de la Vision 2010, euphorie qui s’est éteinte et le fonds avec elle », analyse un ancien haut cadre du secteur. « C’était une dynamique déclenchée par le gouvernement pour accompagner le tourisme. L’État nous encourageait par les prix des terrains, assurait une certaine rentabilité. De toute façon, il s’agissait d’un fonds qui obéissait à une logique de rentabilité. Maintenant, si ça ne marche pas, il faut savoir pourquoi », lâche Benahmed Bendriss, qui a quitté la CMR en 2010.

La situation du fonds fait l’unanimité au sein de la profession, mais la cause fait débat. « Malheureusement, ils n’ont pas performé autant qu’on le souhaitait. Mais cette mésaventure n’est pas le propre de ce fonds-là. On pâtit tous de la conjoncture », nuance Khalid Cheddadi, pour qui la situation du fonds n’est pas due à une mauvaise gestion. « La gouvernance fonctionne très bien. La société de gestion fait ce qu’elle peut. Nous avons d’ailleurs la semaine prochaine une réunion du conseil de surveillance », poursuit le patron de la CIMR. Question : pourquoi les investisseurs institutionnels s’obstinent-ils à rester dans un tour de table moribond ? « Si vous avez une idée pour sortir du fonds, vous me le direz. Un fonds d’investissement, vous en sortez au moment de la liquidation des actifs et tant que tous les actifs ne sont pas liquidés, les actionnaires sont obligés de rester ensemble », nous répond Khalid Cheddad. Les zinzins sont des otages.

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