Zakaria Boualem et les missions étrangères

Par Réda Allali

C’est un Zakaria Boualem perplexe qui vous accueille cette semaine. Il semble bien que nous prenions l’eau, les amis, dans tous les sens du terme.

Ce qui se passe autour de nous commence à ressembler à un naufrage. Mais nous avons des ressources, Alhamdoulillah : chaque semaine, des hommes courageux prennent leurs responsabilités pour lutter contre l’inéluctable, et se dressent avec orgueil contre le terrible spectre de l’échec qui se dessine au loin, dans les ténèbres. C’est le cas pour notre ministre de l’Éducation nationale, par exemple. Notant avec perspicacité que la multiplication des écoles étrangères dans notre paisible contrée était une menace pour notre cohésion nationale, il a décidé de faire enfin appliquer une loi qui — c’est une véritable découverte — en limite l’accès aux étrangers et aux MRE de retour au pays. On ne peut que s’incliner devant le courage d’une telle position. Rappelons que les Marocains se divisent en deux catégories : ceux qui ont placé leurs Marocains dans les missions étrangères et ceux qui cherchent un piston pour placer leurs Marocains dans les missions étrangères. Zakaria Boualem exagère, bien entendu, il reste la dernière catégorie, celle de notre héros, qui n’a pas assez d’argent pour placer ses enfants dans les missions étrangères.

Revenons au ministre. On aura du mal à contester son constat : il n’y a rien de pire pour un pays que de perdre la main sur ce qu’on met dans la tête de sa jeunesse. On peut ajouter que le fait de privatiser l’éducation est un désastre social. Nous avons pourtant bien fait ces deux erreurs, avec une application qui tend vers l’acharnement. Voilà pour le constat. C’est au niveau des solutions que ça semble un peu bizarre. C’est que Zakaria Boualem pensait que l’urgence était de réparer nos écoles nationales — qui relèvent justement de la responsabilité du ministre—, pas d’essayer de fermer les autres. Quelque chose a dû lui échapper. Ça doit être trop compliqué, en fait, cette option. Depuis le temps qu’on entend parler de commission penchée, de plans d’urgence et de réformes sans arriver à endiguer notre chute dans les abysses des classements mondiaux, c’est qu’il doit bien y avoir des difficultés insurmontables dans cette affaire. Va pour une tactique défensive, donc, comme l’Italie de la grande époque : on n’arrive pas à marquer, alors on bloque les autres et on joue le zéro-zéro, arcboutés sur nos buts. Avec en ligne de mire l’égalité, la vraie. Personne ne fera d’études, et merci.

Et il paraît que c’est Zakaria Boualem qui est nihiliste…

Ce n’est pas tout : il faut noter dans cette affaire trois gestes techniques de très haut niveau, des classiques bien de chez nous qu’il est impossible de passer sous silence, les amis.

1. La hamla. Rappelons qu’il s’agit de se réveiller un matin et de décider d’appliquer soudain une loi qu’on a bafouée pendant des années en toute décontraction. Devenir la Suisse sans crier gare, voilà en gros le principe. S’ensuivent en général quelques convulsions spectaculaires, puis on bascule de nouveau vers un laisser-aller apathique, épuisés par les efforts imposés par ce geste technique très exigeant.

2. La loi absurde. Il s’agit de placer dans nos textes officiels une loi parfaitement inapplicable, et qu’on n’essayera même pas d’appliquer sauf pendant une hamla (voir le paragraphe précédent).

3. La raison cachée. Comme pour la CAN annulée pour cause d’Ebola, l’affaire consiste à nous présenter une décision étrange comme motivée par l’intérêt général, sans parvenir à nous en convaincre vraiment. On nous explique aujourd’hui que les missions étrangères menacent la cohésion nationale. Oui, la cohésion nationale. On aurait pu s’attaquer à l’économie de rente, aux passe-droits, et à plein d’autres choses qui sont la base de notre économie et qui menacent la cohésion nationale, mais non. Du coup, on imagine qu’il doit y avoir autre chose, et on cherche. Pour la CAN, on cherche toujours.

C’est tout, et merci.