Bras de fer entre la direction de Dell Maroc et 200 salariés

Les employés de Dell Maroc, en conflit avec leur direction depuis plusieurs mois, dénoncent un licenciement économique déguisé en cession d'activité. De son côté, le management assure que le transfert s'effectue dans la légalité la plus totale.

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Les salariés de Dell Maroc s’interrogent sur leur avenir. Tout a commencé le 28 mars 2016 lorsque NTT Data, une branche de la multinationale japonaise Nippon Telegraph and Telephone, annonce le rachat pour près de 3 milliards de dollars de la branche Services de Dell. Tous les pays où est implantée cette activité du géant américain de l’informatique, dont le Maroc, sont concernés. 217 salariés de Dell Maroc sont concernés par cette opération et s’inquiètent du sort qui leur sera réservé sous le nouvel actionnariat.

Flou autour du transfert de l’activité

Les employés s’interrogent sur les conditions de ce transfert d’activité au Maroc et dénoncent « le flou qui entoure leur situation et leur avenir« . Le conflit dure depuis août dernier où ils se sont tournés vers l’inspection du travail. Trois mois après, soit en novembre, les salariés entament une grève à la « japonaise« , durant laquelle ils ont travaillé en arborant un brassard. Leur inquiétude, n’ayant pas été prises en considération, ils se sont mis en grève le 7 février dernier, donnant une nouvelle ampleur au bras de fer avec la direction de Dell.

Les salariés reprochent notamment à leur actuel employeur de vouloir transférer leurs contrats de travail à NTT Data en vertu de l’article 19 du Code du travail qui dispose que les contrats de travail subsistent entre les employés et le nouvel employeur, dans les cas de « succession, vente, fusion ou privatisation« . L’ancienneté et les avantages sociaux sont préservés dans ces cas. Un courrier adressé par l’avocat des salariés à celui de Dell Maroc leur fait part de leur opinion quant à l’inapplicabilité de cette disposition législative. Pour eux, cet article 19 ne s’applique pas en cas de cession partielle d’un fonds de commerce, ce qui est le cas de cette opération, selon eux.

Sous couvert d’anonymat, plusieurs salariés nous confient craindre que lors du transfert, leur ancienneté et les avantages qu’ils possèdent au sein de Dell Maroc ne soient pas pris en compte avec leur nouvel employeur. Ils redoutent par ailleurs que lors du rachat, NTT Data se sépare d’eux. Ils en veulent pour preuve que la direction de Dell Maroc n’a pas été en mesure de leur présenter des documents signés témoignant du rachat de l’activité par l’entreprise. Les concernés, en grande majorité, ont d’ailleurs refusé que leurs données personnelles soient transférées à NTT Data lorsque Dell Maroc en a fait la demande par un mail consulté par Telquel.ma. Le courriel en question ne peut ni être transféré, ni copié, ni imprimé, ce qui a suscité le doute des employés.

Des accusations balayées par Ahmed Khalil, directeur général de Dell Maroc pour qui ces craintes sont infondées. Il assure que « tous les bénéfices contractuels ou non contractuels seront maintenus ». Le responsable nous explique que Dell Maroc « travaille dans le cadre de la loi. Nous avons une équipe de six avocats qui nous ont assurés que nous étions dans la légalité ».

Une polémique de plus

Les salariés craignent que ce transfert d’activité ne masque un licenciement économique dissimulé, en cédant une activité peu rentable sans avoir à rentrer dans une procédure de licenciement économique coûteuse. Ce n’est pas la première fois qu’une opération de Dell Maroc fait polémique.

En 2015, le transfert d’une partie des activités de Dell Maroc à la multinationale Sutherland avait déjà suscité l’opposition des salariés concernés. Ces derniers craignaient déjà que leur ancienneté et les avantages acquis chez Dell Maroc ne s’évaporent.

Les employés nous assurent que « beaucoup de personnes qui sont passées chez Sutherland ont depuis quitté l’entreprise ou ont été remerciées« . Du côté de Dell Maroc, c’est l’inverse qui est clamé, puisqu’Ahmed Khalil assure que « l’activité de Sutherland s’est maintenue et a même progressé depuis le transfert« .

Cependant, la réalité est moins rose du côté de Sutherland. Sous couvert d’anonymat, un des salariés transférés de Dell Maroc nous explique que « certes, le salaire est resté le même« , mais que deux ans et demi après le transfert de l’activité, les employés sont « toujours dans le flou quant à leur ancienneté« . Les contrats de travail signés avec Sutherland débutent le jour du début de ses activités, même s’ils mentionnent les années passées chez Dell. Pour l’instant, personne ne sait si ces « années Dell » seront prises en compte. Les conditions de travail se seraient également dégradées au sein de Sutherland. On nous explique ainsi que des « conventions avec des médecins ou des organismes de crédit dont bénéficiaient les employés de Dell ont été annulées« . Sur les 68 personnes qui étaient concernées par ce transfert, seules, 30 sont effectivement passées chez Sutherland. Les autres ont « soit accepté une négociation pour un versement de 70% de leurs indemnités de licenciement, soit porté plainte contre Dell« .

C’est ce précédent qui suscite la crainte des employés restants de Dell Maroc. Selon eux, rien ne garantit que le repreneur de l’activité, NTT Data, poursuive les activités de la branche marocaine. Ils en veulent pour preuve que pour l’instant, NTT Data n’a ni locaux, ni représentants au Maroc. Seule une boite aux lettres ouverte à Rabat pour une SARL au capital de 8.000 dirhams témoigne de la présence de l’entreprise au Maroc. De son côté, Ahmed Khalil répète « qu’une fois que le transfert de l’activité sera acté, les salariés garderont les mêmes avantages, la même ancienneté. Ils continueront à bénéficier des avantages contractuels ou non contractuels dont ils bénéficiaient auparavant« .

Le transfert définitif de l’activité de Dell Maroc vers NTT Data doit être acté le 6 mars. Plusieurs mois après le début du conflit, les salariés n’arrivent pas à être rassurés sur leur sort par la direction. L’affaire est désormais entre les mains du délégué préfectoral à l’emploi, après plusieurs mois de tentatives de médiation sous les auspices de l’inspection du travail.

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