Zakaria Boualem et la réalité virtuelle

Par Réda Allali

C’est officiel, la fin du monde est proche. Zakaria Boualem a été frappé par cette évidence la semaine dernière, alors qu’il déambulait benoitement dans une galerie marchande. Il est entré dans le stand d’exposition d’un vendeur de téléphones et il a découvert un produit qui — il l’a compris sur le champ — allait nous précipiter dans les ténèbres à grande vitesse. Un casque de réalité virtuelle, les amis, voilà de quoi il s’agit. Le Guercifi l’a placé sur ses yeux, et il s’est aussitôt retrouvé propulsé dans un espace parallèle terriblement réaliste, plongé au cœur d’un monde de synthèse effrayant de précision. Un prodige ! Autour de lui, des dinosaures batifolaient avec sérénité, c’était effrayant. Il a vite arraché cet objet diabolique de son visage. Ce truc est trop puissant, nous sommes foutus. Nous allons basculer collectivement vers le virtuel, c’est une évidence. Regardez autour de vous, ça a déjà commencé. Il y a des gens qui vont voir des matchs de foot et qui observent la plupart des actions à travers l’écran de leur téléphone, en filmant. Ils y prennent du plaisir, c’est même le but de leur déplacement. Autrefois, on allait au stade pour vivre le truc sur place, avec la force de sa réalité, comme une expérience collective intense, totale et instantanée. C’est fini. Même chose dans les concerts. On se demande si ces gens se repassent les images le lendemain en se disant qu’hier, c’était bien. C’est clair : le virtuel a plus de poids que le réel.

Avec ces casques, ça va être pire. Imaginez un peu un type qui est sur Facebook. Il se promène au milieu des photos d’une demoiselle qui l’intéresse, puis fait volte-face pour participer à un débat sur la Syrie tout en likant, à droite et à gauche, les publications de ses potes. Oui, vous avez raison, c’est ce que la plupart d’entre nous font déjà, mais ce casque devrait achever de couper les faibles liens qu’ils entretiennent encore malgré eux avec leur environnement réel. La suite va arriver très vite, les gants tactiles 7achakoum et tout le barda. Imaginez les applications ! Une soirée en discothèque sans sortir, un café virtuel avec des potes transformés en hologrammes (et d’ailleurs, est-ce que nos hologrammes pourront consulter leurs téléphones à leur tour ?), un Hajj à distance avec ses tonnes de débat sur sa “halalité” ? Tout ça va arriver très vite, l’humanité ne va pas s’en remettre. Ce casque coûte à peine plus de 1000 dirhams, c’est bien le signe que c’est l’œuvre du malin. Son entreprise de destruction a déjà commencé, les amis.

En Scandinavie, on donne des cours d’empathie aux enfants, qui ne trouvent rien de naturel au fait de s’intéresser aux gens autour d’eux. Au Japon, c’est encore pire : la nouvelle génération ne voit pas l’intérêt de se mettre en couple, elle préfère fantasmer sur des personnages de manga, on doit organiser des séminaires pour lutter contre cette tendance. En France, les Parisiens errent dans le métro comme des zombies le nez fixé  sur leur téléphone. Ils ont le plus grand mal à se retrouver physiquement, et lorsqu’ils le font, ils sont dévorés par l’envie de se replonger dans leurs réseaux virtuels. Là-bas, il est possible de passer une journée entière sans la moindre interaction réelle avec un humain. Al hamdoulillah, au Maroc, nous n’en sommes pas encore là. Il y a toujours quelqu’un de bien réel pour vous pourrir un peu la vie, c’est une très bonne chose. Ça peut être un voisin, un automobiliste, un moqaddem, un dragueur des rues, nous ne manquons pas d’options. Mais ça ne va pas durer, nous suivrons la tendance forcément. Imaginez à quoi va ressembler la famille du futur, posée dans son salon : chaque membre avec son petit casque qui lui propose un programme personnalisé. La maman, en transe, qui regarde une série turque, le papa qui s’engueule sur Hespress, prêt à se battre virtuellement, et les ados perdus dans leurs réseaux sociaux respectifs, occupés à commenter du vide avec abnégation. Dans un coin, un bébé pleure, mais personne ne l’entend. C’est l’horreur. Voilà les amis, bonne année 2017, et merci.