Faut-il un ministère de l'Economie aux prérogatives élargies?

Emise par Adil Douiri, l’idée d’un "super-ministère" de l’Économie chargé de coordonner l'action gouvernementale pourrait dynamiser l’économie marocaine. Toutefois, la proposition ne fait pas l'unanimité parmi les économistes.

Par

Ancien ministre et actuel président de l’Alliance des économistes de l’Istiqlal, Adil Douiri a défendu dans une interview accordée au site Ihata.ma l’idée d’un gouvernement organisé en pôles. Selon la vision de Douiri, « ce gouvernement doit avoir un ministre désigné au pôle économique à qui on déléguerait l’autorité pour coordonner et diriger au quotidien l’action des administrations qui interviennent dans les programmes gouvernementaux du pays ».

« Tous les programmes gouvernementaux sont concernés par plusieurs ministères et administrations. S’il n’y a personne pour assurer la coordination entre ces différents acteurs, ces programmes risquent d’être exécutés avec lenteur et influer négativement sur la croissance marocaine ». S’agirait-il d’une simple instance de coordination interministérielle entre les différents acteurs concernés par des projets de développement économique, ou d’une instance regroupant les prérogatives de plusieurs structures et ministères existants ?

Une idée intéressante… mais difficilement applicable

L’idée sous-jacente à un tel ministère est de confier l’ensemble des leviers économiques et budgétaires à une seule et même autorité, afin d’éviter la dispersion et les contradictions dans l’action gouvernementale et de mener une action transversale et efficace. Pour l’économiste Rachid Achachi, l’idée de mettre en place des pôles ministériels, si elle est intéressante, n’est pas en phase avec le contexte économique.

« L’idée serait d’accroître l’efficacité de l’action gouvernementale dans la théorie, mais dans un cadre non souverain, c’est difficilement réalisable. Un tel pôle n’aurait que peu de latitude: la politique monétaire est décidée indépendamment du gouvernement par Bank Al-Maghrib, le taux de change passera bientôt à un régime flottant. Les seuls leviers dont disposerait ce pôle seraient l’accroissement du déficit par des politiques budgétaires ou le recours à l’endettement extérieur« .

Deux leviers qui seront difficiles à manoeuvrer: un accroissement du déficit budgétaire mettrait le pays en délicatesse avec le FMI, et le fait que le Maroc ait besoin de réserves de changes importantes pour passer au régime flottant, limitant la marge de manœuvre. Pour Achachi, « un tel pôle pourrait prétendre à un rôle de coordination et d’arbitrage entre les différents plans sectoriels qui ont souvent été développés indépendamment les uns des autres. Pour qu’un tel projet ait une chance d’aboutir, il faudrait développer une vision économique transversale et à long terme entre ces différents plans ».

Quelles prérogatives pour un tel ministère ?

Les finances, et le budget sont déjà regroupés sous un seul ministère aux larges prérogatives, notamment en matière budgétaire et financière : élaboration de la loi de finance, surveillance et gestion des grands équilibres financiers du royaume, recouvrement des recettes et paiement des dépenses publiques. Le ministère a aussi sous sa tutelle un certain nombre d’agences et de directions importantes, dont l’Inspection générale des finances, la Direction du budget, ou encore la Direction des Entreprises publiques et de la privatisation. L’un des ajouts possibles à cette configuration serait de joindre à ce super-ministère les compétences du ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique, ainsi que le ministère de l’Emploi. Cela aurait le mérite de mettre entre les mêmes mains ces domaines complémentaires, et d’associer la stratégie industrielle, budgétaire, et l’emploi à des politiques transversales.

Cependant, pour Najib Akesbi, économiste, au-delà de la question des leviers économiques et des prérogatives se pose celle de la cohérence du gouvernement. Pour lui, une telle idée nécessiterait « un gouvernement ramassé, homogène, avec un organigramme lisible et des orientations claires. L’idée de créer de grands pôles ministériels et d’établir des synergies est extrêmement intéressante, mais ce n’est pas possible avec le système actuel, dans la mesure où il n’y a pas de programme gouvernemental, mais un programme royal. L’absence de gouvernement ne pénalise ni les axes stratégiques, ni les plans sectoriels, ni les grands chantiers, qui ne sont pas de son ressort et qui continuent de fonctionner, avec ou sans gouvernement ».

De même, Mohamed Chiguer, ancien directeur des études à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), considère que la priorité n’est pas la création de pôles, mais d’abord l’élaboration d’une vision. « Le Maroc a besoin d’une politique économique en termes de résultats et pas de moyens. Avant de parler de la structure, on doit avoir une idée sur les objectifs qu’on veut atteindre. Il n’y a pas de débat sur le fond de la question, ça n’a rien à voir avec le nombre de pôles ou de ministères. Le problème se situe davantage au niveau des dirigeants que de la structure« .

Pour lui, les contraintes extérieures ne reposent que sur des choix politiques, qui sont réversibles. « Pour les contraintes liées au FMI par exemple, celui-ci est dans son rôle, mais c’est nous qui lui avons demandé de venir. C’est un choix politique. Les pays qui ont réussi à enclencher une dynamique de développement sont ceux qui l’ont fait en dehors des contraintes imposées par le FMI, notamment l’Équateur, l’Argentine, ou encore la Malaisie« . Même son de cloche du côté de Rachid Achachi qui estime qu’il est « difficile de sortir du sous-développement en adoptant des politiques libérales ».

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer