Edito. Le choix démocratique

Par Aicha Akalay

Un gouvernement définit et conduit la politique d’un pays. Avec cette nuance de taille au Maroc, sous le contrôle du roi qui fixe les “grandes orientations”. La charge du gouvernement n’en est pas moins lourde, et ses responsabilités doivent l’être autant. Depuis quelques semaines, Abdelilah Benkirane essaie d’en constituer un. Mais les échos que nous en avons, c’est que ses tentatives ne sont pas concluantes. Quelle vision commune les partis de la majorité vont-ils partager ? Quelles sont leurs priorités pour le Maroc ? Sur quels critères seront attribués les maroquins ? Autant de questions auxquelles les politiques actuellement en négociations n’apportent pas de réponses publiquement. Même Benkirane ne s’en cache pas, lui qui, l’été dernier, nous confiait “que le programme du gouvernement s’impose de lui-même une fois arrivé au pouvoir”. Pour la vision et l’État stratège, il faudra repasser.

Il était question de constituer un gouvernement unissant le PJD et la Koutla, ce que d’aucuns appellent une « Koutla historique ». L’intention affichée étant de faire barrage aux partis de l’administration. Dans quel but ? Constituer un gouvernement autonome des directives du Palais ? Aucun des politiques qui défendent ce scénario n’a osé assumer l’explication. L’USFP se cherche toujours alors que sa déconfiture est amorcée. Et puis, surtout, Benkirane sait qu’il devra compter avec l’expérience et la crédibilité d’un Aziz Akhannouch, ami du roi, à un secteur-clé pour le Maroc. Alors, nous assistons à un marchandage pour satisfaire les uns, ménager les autres, essayer de placer un Sahraoui influent ici, la fille d’un tel là. Les programmes de ces partis qui disent vouloir s’allier sont diamétralement opposés sur de nombreux points, mais l’irénisme forcé n’effraie pas nos politiques. Tant pis si cela dessert l’action publique et éloigne le gouvernement de ce qui devrait animer toutes ses composantes : l’intérêt des Marocains. 

Le roi, pourrait-on penser, a raison de rappeler à l’ordre tout ce beau monde, Benkirane en tête. “La formation du prochain gouvernement ne doit pas être une affaire d’arithmétique, où il s’agit de satisfaire les désidératas de partis politiques et de constituer une majorité numérique, comme s’il était question de partager un butin électoral”, a-t-il rappelé alors qu’il était à Dakar, le jour de la commémoration de la Marche verte. Seulement, le souverain œuvre lui-même à déresponsabiliser la classe politique. Dans le même discours, il assure qu’il veillera lui-même à ce que des critères objectifs de compétences soient respectés pour former un gouvernement. Où est la responsabilité du Chef du gouvernement, que les Marocains doivent blâmer si son casting est mauvais ? Mohammed VI exerce un pouvoir qu’Alexis de Tocqueville décrivait ainsi : “Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse”. Le rôle d’arbitrage du roi est précieux au Maroc, mais il doit s’exercer avec impartialité. Car le rôle d’agent responsable auprès des citoyens dévolu, par les urnes et par la nomination royale, à Benkirane, ne peut être méprisé si l’on veut encore respecter le “choix démocratique”, qui est une constante sacrée depuis un certain discours du 9 mars 2011.